Nous avions évoqué la semaine dernière les routes Afrique / Europe des trafics de migrants, en nous appuyant sur les analyses et les enquêtes d’un rapport conjoint d’Europol et d’Interpol. Or l’essentiel des flux migratoires ne sont pas du sud vers le nord mais s’effectue à l’intérieur même du sud. Un phénomène là aussi étudié par le rapport Migrants smuggling networks (Europol) et celui de l’Office des Nations unies sur la drogue et le crime Global study of smuggling of migrants (UNODC) qui fournissent de nombreuses informations capitales.
Migrations inter africaines : de l’ouest vers le nord
Les migrants qui traversent le Sahara pour rejoindre l’Afrique du Nord sont en grande majorité des jeunes hommes issus pour la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest (Mali, Niger, Côte d’Ivoire, Sénégal, Burkina Faso). Au Mali, les mineurs représentaient 7 % des migrants observés entre 2016 et 2017. Ces enfants auraient pour la plupart été envoyés en Libye par leur famille dans le but de gagner de l’argent à renvoyer dans leurs foyers.
La majorité des départs en Afrique de l’Ouest se font pour des raisons économiques, à la différence des populations provenant de la Corne de l’Afrique qui elles fuient les guerres internes (notamment Éthiopie et Somalie).
Deux routes mais un seul désert
Il existe deux routes en fonction des pays de départs : par le Niger ou par le Mali. Le périple se poursuit ensuite en direction du Maroc, de l’Algérie ou de la Libye. Les individus qui empruntent la route du Niger sont à majorité des Nigériens, tandis que dans le cas du Mali les migrants viennent en premier lieu de la Guinée, ensuite suivie du Mali, du Sénégal et de la Gambie. En 2016, l’UNODC estime que plus de 380 000 personnes ont migré de l’Afrique de l’Ouest vers le nord du continent. Le Maghreb joue ainsi le rôle de glacis pour l’Europe. Il est à la fois émetteur et récepteur de migrants. Berlusconi avait ainsi signé un contrat de rétention avec la Libye de Kadhafi : celle-ci devait conserver les migrants chez elle et éviter les passages à travers la Méditerranée en échange d’une aide financière. Un contrat qui avait bien fonctionné mais qui a volé en éclat à la suite de l’opération de 2011.
Bon nombre de réseaux locaux profitent d’une situation migratoire qui est pour eux une source de revenus. Le rôle de l’ethnie est déterminant dans ces flux, car celles-ci sont organisées pour faciliter les voyages. Les premiers déplacements au départ des pays s’effectuent bien souvent sans aide des réseaux criminels. C’est une fois au Mali ou au Niger, du fait de l’hostilité de la région à traverser (sécheresse, dessert, conflits armés) que l’aide des passeurs s’impose.
Le rapport de l’UNODC dresse le profil de ces passeurs. Les groupes ethniques locaux nomades, tels que les Touaregs et les Toubou, sont activement impliqués dans le trafic. Un partage du marché s’effectue selon les zones d’influence. Les Toubous présents à l’est du Niger et au Tchad contrôlent les flux vers la Libye, tandis que les Touaregs s’étendant du Mali au Niger prennent part au trafic dans la région frontalière avec l’Algérie. Les passeurs se réunissent dans les principaux points de passage, les routes qu’ils créent sont souvent flexibles et leurs activités restent souvent opportunistes. En Libye, il apparait qu’une grande partie de l’activité criminelle est bien mieux organisée que sur le reste du parcours. On retrouve ici, par le rôle essentiel des ethnies Toubous et Touareg, les antiques voies de passages, de circulations et de commerces, que celui-ci soit d’objets ou d’hommes. Les Européens partis, les routes des trafics et de l’esclavage se sont reconstitués et chaque ethnie a rejoué le rôle qui était le sien avec leur arrivée. Ce que décrit ce rapport n’est guère différent des descriptions des géographes français du début du XXe siècle, notamment dans la Géographie universelle d’Élisée Reclus. On retrouve la même géographie, les mêmes groupes humains, les mêmes trafics, comme si la présence européenne et française, très brève, à peine 80 ans, ne fut qu’une parenthèse déjà refermée.
Face à la dangerosité des routes, le nécessaire recours aux passeurs
La plupart des États d’Afrique de l’Ouest appartiennent à la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). En principe, l’espace CEDEAO est un espace de libre circulation, mais la libre circulation des personnes en son sein y assez difficile. Les lois nationales de certains États membres enfreignent les règles de la communauté. De plus, l’accès limité aux visas voyage des autres pays membres, le manque d’information des citoyens et la dangerosité de certaines frontières poreuses affectent la mise en œuvre de la zone de libre circulation. Les visas de voyage sont soit très coûteux soit très difficiles à obtenir. Certains passages frontaliers sont même encore soumis à des péages informels dressés par les agents frontaliers. Par conséquent, un grand nombre de passages frontaliers sont effectués irrégulièrement, simplement en évitant le point de passage officiel de la frontière.
Le niveau d’irrégularité impliqué dans le voyage semble augmenter au fur et à mesure que les migrants se dirigent vers le nord. Au nord du Mali et du Niger, il n’y a pas de bus et le terrain désertique est inhospitalier. Les migrants doivent nécessairement compter sur la criminalité locale pour pouvoir avancer sur la route. Une fois arrivés au Niger, bien souvent en bus, ils sont approchés par des rabatteurs qui leur proposent un hébergement dans un « ghetto » et un moyen de transport vers la Libye. Ces rabatteurs sont des petites mains au service des « chefs de ghetto » qui les paient en fonction du nombre de migrants rabattu. Ces chefs sont des chefs de réseaux qui possèdent un ou plusieurs ghettos, complexes où sont logés les migrants et stationnés des véhicules. Les préparatifs de voyage sont effectués dans ces endroits. La Libye n’étant pas membre de la CEDEAO et ne possédant que très peu d’accords bilatéraux avec les pays subsahariens pour la délivrance de visa, la plupart des migrants qui se rendent en Libye utilisent un réseau de passeurs, pour des services de falsification des documents ou des passages illégaux de frontières.
Le Sahara est le lieu de nombreux dangers comme les enlèvements contre des rançons et la traite des personnes. Ce voyage des migrants à travers le Sahara est rendu aujourd’hui encore plus dangereux par la présence de groupes armés opérant le long de cette route. Certains d’entre eux n’hésitent pas attaquer les voitures des trafiquants avec l’intention d’enlever des migrants pour demander ensuite une rançon. De plus, les migrants introduits clandestinement à l’intérieur de la région manquent souvent d’argent pour payer le voyage, et cela les rend vulnérables à la traite à des fins de travail forcé ou d’exploitation sexuelle. Des migrants interrogés par les Nations Unies en Libye ont également signalé que des détentions avaient cours à la frontière du pays, et leurs libérations n’était effectuée que contre le paiement d’une rançon d’argent. Le prix d’un trajet de bus entre Agadez au Niger et Sabha en Libye était d’environ 500€ en 2017.
Les migrations vers les États-Unis
Les migrations vers les États-Unis proviennent essentiellement du Mexique et d’Amérique centrale. Le rapport a comptabilisé plus de 186 000 migrants qui ont franchi la frontière mexicaine en 2016.
L’Amérique centrale est la principale zone d’origine, mais elle aussi une zone de transit pour les migrants voyageant vers le nord par voie terrestre. Les migrants sud-américains qui utilisent cet itinéraire ont pour la plupart du temps voyagé via la Colombie ou l’Équateur, avant d’atteindre l’Amérique centrale par voie terrestre ou aérienne. Il existe également dans cette partie du monde des hotspots dans toutes les grandes villes de l’Amérique centrale, ceux-ci servent de plaques tournantes pour les réseaux criminels.
Le Mexique est le point de passage obligé pour toute personne désireuse de rejoindre les États-Unis ou le Canada par la voie terrestre. Les migrants qui empruntent la voie aérienne sont nettement minoritaires. La région la plus active en matière de trafics de migrants en Amérique centrale est la région frontalière du Mexique avec le Guatemala et, dans une moindre mesure, le Belize. Les migrants contactent et organisent leur voyage auprès des passeurs dans différentes villes aux frontières des États. Les paysages de jungle qui séparent le Mexique de l’Amérique centrale en font un territoire poreux, qui donne la possibilité de passer la frontière en toute discrétion que ce soit à pied, en bateau ou avec d’autres véhicules à moteur. Une fois au Mexique, les migrants continuent leur chemin vers le nord par voie terrestre, souvent via Mexico. Ensuite, entre les États-Unis et le Mexique, il existe plusieurs points de passage. La ville de Tijuana, construite dans l’extrême nord-ouest du Mexique le long de la frontière, a historiquement été un point de passage régulier et irrégulier dans la région, en direction de San Diego en Californie.
La superposition des acteurs
Sur tout le continent, la plupart des passeurs opèrent à une petite échelle, souvent au sein de leurs communautés ethniques ou à l’étranger en mobilisant des relations personnelles. La grande majorité n’a pas d’antécédents criminels. Les grands cartels violents semblent ne pas être impliqués dans la contrebande réelle, mais en profitent en imposant une « taxe » sur le passage des migrants.
Des milliers de petits passeurs forment un réseau informel et fournissent des services localement et de façon occasionnelle aux migrants. Il arrive qu’ils s’associent avec d’autres passeurs dans d’autres pays, pour répondre au besoin de leurs activités. La plupart des passeurs impliqués dans des opérations plus complexes se connaissent en vertu de lien de parenté ou d’amitié. Il arrive même que certains passeurs soient des migrants, et qu’ils s’impliquent dans certains aspects du trafic dans le cadre de leur propre voyage. Si la plupart des passeurs sont des hommes, les femmes sont également actives, notamment dans la fourniture de services tels que la prise en charge des enfants et des personnes âgées, la gestion de l’intendance des réseaux et l’entretien des infrastructures.
La coopération entre les différents réseaux est souvent efficace pour offrir non seulement des services aux migrants « à la carte » (étapes spécifiques du voyage, traversées, modes de transport, etc.), mais aussi pour les offres proposant de couvrir l’ensemble du voyage des migrants du départ à la destination finale. Par exemple, certains migrants paient pour un voyage très court d’une rive à l’autre du Rio Grande, tandis que d’autres payer pour être pris en charge de leur ville natale à une destination finale aux États-Unis ou au Canada. L’Agence des Nations-Unis pour les réfugiés estime dans son rapport de 2018, que pour les années 2014 et 2015, les réseaux de trafics de migrants dans cette région ont réalisé un chiffre d’affaires compris entre 3,7 et 4,2 milliards de dollars par an.
Pour 100 000 milliards de dollars
Le prix estimé fixé par les passeurs pour un passage vers États-Unis est de 5 000 $ depuis Mexico et 7 000 $ depuis l’Amérique Centrale. Une somme à mettre en rapport avec les faibles revenus de ces populations. Certains passeurs proposent également des offres spéciales, plus chères, qui comprennent un nombre spécifique de tentatives de franchissement des frontières, ou qui tiennent compte de la probabilité d’arrestation. Les délais de paiement sont presque toujours l’objet d’intenses négociations. Un rapport de 2016 cite une fourchette de prix de 6 000 $ à 8 000 $ pour acheter les services de passeur entre le nord du Mexique et les États-Unis. (Olson, Trafic de migrants au Rio Grande Valley : dix observations et questions, Programme latino-américain, Wilson Center, septembre 2016.)
Il existe une variété de risque auquel les migrants sont exposés sur leur route : l’enlèvement, la traite des personnes, les violences sexuelles, les arrestations et incarcérations arbitraires, la torture. Il arrive parfois que les passeurs et les migrants soient soumis au paiement du derecho de piso, une taxe permettant d’emprunter des itinéraires sous contrôle des cartels de la drogue. Ne pas payer le derecho de piso, peut entraîner la torture ou la mort. Certaines de ces organisations ont été impliquées dans des exécutions massives de centaines de migrants pris en train de voyager le long de la route du nord, sans avoir payé leur taxe.
La migration, un juteux trafic, dont les mafias savent tirer bénéfice.
Auteur: Jean-Baptiste Noé
Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).
Hoche38
30 janvier 2022Peut-être ne faudrait-il pas oublier le rôle des ONG, qui en termes économiques, assurent pour les passeurs la fonction de lobbying auprès des clients en Europe et de marketing en Afrique pour recruter les produits humains qui sont l’objet de ce fructueux commerce.
Dominique
29 janvier 2022Cher Jean-Baptiste Noé,
Je trouve bizarre de votre part que vous regardiez plus l’écume des vagues sur la plage que la houle de la mer.
Iil y a évidemment des « passeurs », en fait de puissantes organisations mafieuses ou non comme ces ONG allemandes qui affrêtent les bateaux qui font les navettes entre la Lybie et l’Italie et états qui s’activent, par exemple la Turquie d’Erdogan contre la Grèce.
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Mais d’où vient l’argent qui coule à flots dans les poches des « migrants » pour qu’ils se paient de tels voyages, et pour payer aux « passeurs » les énormes moyens matériels. Et qui créé aux plus hauts niveaux les politiques appropriées afin de creér et organiser les migrations ?
Le traité de Marrakech n’a pas été rédigé ni signé par les « passeurs ». Cqfd.
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On sait que ces migrations de populations vers l’occident européen et états-unien sont organisées par l’ONU et l’UE ( entre autres ).et financées directement par ces créatures des grands banquiers, comme directement par les grands banquiers eux-mêmes.
Le financier Soros, membre du CFR américain ne se prive pas de se vanter des sommes qu’ils leur alloue régulièrement tous azimuts.
Et des lanceurs d’alertes ont révélé comment il a financièrement corrompu les membres de la CEDH.
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En considérant exclusivement le rôle des « passeurs » vous créez un rideau de fumée sur la gigantesque conspiration des grands banquiers qui visent, grâce à leurs complices qu’ils ont placés dans tout l’occident, à substituer les populations occidentales par d’autres populations. Il y a bien une conspiration Les diigeants comme Biden, Trudeau, Merkel, Macron etc. en font partie.
Alors que les « passeurs » ne sont que de misérables rouages en bout de chaine, comme les kapos dans les camps.
Bien à vous.
LANDRAS Philippe
29 janvier 2022Excellent article. Petit commentaire. L’Afrique profonde, est toujours tribal. Mon expérience d’avoir vécu au Congo de Kinshasa. L’origine tribal permet l’accès a une vie correcte à l’Africaine. Ne pas appartenir à la tribu majoritaire peu devenir la raison d’émigrée.
La décolonisation de l’Afrique n’a pas respectée la tribu comme élément essentiel de la nation. Beaucoup de tribus ont été coupées, ce qui fait que certaines tribus sont minoritaires dans plusieurs nations adjacentes. L’Afrique post colonial est composée de Démocraties tribal, ce qui veut dire que ne pas supporter un membre de sa tribu est impensable, même une trahison. Ce qui veut dire que la tribu majoritaire gagne toutes les élections et favoriseras les membres de sa tribu.
Les membres des tribus minoritaire, sont les « Colles Blues » sans beaucoup d’avenir. Pour les femmes le mariage avec un membre de la tribute majoritaire devient la possibilité d’un avenir plus certain. Dans certain cas elle devient la numéro 2 et la bonne à tout faire.
L’émigration venant de l’Afrique profonde a pour origine en majorité, d’être membre éthique d’une tribu minoritaire, sans pouvoir accéder aux bienêtre, plus ou moins réserver aux tribus majoritaires.
Dominique
29 janvier 2022Philippe,
Intéressant mais cette émigration resta marginale. Aujourd’hui la déferlante des migrations africaines provient elle de tribus malmenées ?
Et les Latinos, les Pakistanais, les Algériens etc. font ils partie de tribus ethniques minoritaires.