11 février, 2014

Les deux Libéralismes

Un mal ronge la France, aussi indécent que le fascisme ou la pédophilie : le libéralisme. C’est lui le galeux, le responsable de tous nos maux. Du Front national à l’extrême gauche, la condamnation est unanime, sans oublier celle de l’ancien président Jacques Chirac expliquant dans la Figaro du 16 mars 2005 que le libéralisme » perversion de la pensée humaine serait aussi désastreux que le communisme » Ce qu’on entend par ce terme est mystérieux : doctrine de limitation des pouvoirs définie par John Locke, Benjamin Constant et Alexis de Tocqueville ou apologie du marché, de la libre concurrence ?

S’il existe une pensée unique en France, c’est bien  dans la manière dont tous les camps sans exception vomissent cette théorie pourtant brillamment illustrée chez nous de Montesquieu à Raymond Aron. L’aversion est double : dans l’héritage de 1789, on délaisse la liberté au profit de l’égalitarisme, qui a de grands liens avec le despotisme, le nivellement  de tous par le bas. Triomphent alors au nom de cet impératif, »l’envie, la jalousie, la haine impuissante » (Stendhal), ces maladies de sociétés démocratiques. Cette allergie au libéralisme est ensuite dirigée contre les Etats-Unis et le monde Anglo Saxon  en général, qui proposent une autre relation à l’Etat, à la citoyenneté, une autre conception de la tolérance et de la liberté d’expression.

D’un mot, le libéralisme surgit en Europe dans le combat contre la monarchie et le fanatisme religieux au moment où l’homme, à la fin de l’ancien régime, se substitue peu à peu au divin et à la tradition comme fondement de la loi. Basé sur un individualisme radical, il est inséparable d’une réflexion sur les abus de la souveraineté populaire, sur la justice et et le droit comme moyens de garantir la coexistence pacifique des libertés. Sur ce substrat philosophique d’une extrême fécondité surgit la question nouvelle et fantastique du marché, ce « dieu mortel » censé dispenser ses bienfaits à ceux qui favorisent sa croissance. Si les uns lui reconnaissent des qualités évidentes à condition de l’encadrer et de la réguler, d’autres sont tentés de le hisser sur un piédestal, de lui attribuer des vertus quasi magiques ; il serait bénéfique à tous les peuples grâce à la « main invisible » qui permet de mettre les vices individuels au service du bien collectif. Il devient un processus quasi rédempteur qui répartit l’information et les besoins, et distribue les richesses selon les mérites de chacun. Il se confond alors avec l’ordre établi et se contente d’entériner les inégalités en cours.

Il y a donc au moins deux libéralismes : le premier, qui défend les droits civiques et sociaux comme principe au progrès et voit dans la politique l’arène indispensable pour arbitrer les conflits et s’engager  dans une histoire inachevée ; le second, qui réduit l’Etat à un veilleur de nuit, le gouvernement à un mal provisoire qui doit laisser le pouvoir aux seuls entrepreneurs et spéculateurs. Va donc émerger ce qu’on appellera d’un terme polémique le « néolibéralisme », qui commence en Californie et en Angleterre avec Ronald Reagan, Margaret Thatcher et leur « révolution conservatrice », axée sur la baisse des impôts et le reflux de l’administration. Celle-ci installe une sorte de rêve sans tragique qui espère conjuguer justice, prospérité et morale grâce aux seuls échanges marchands et à la financiarisation. C’est cette croyance qui a failli en 2008 et qui pour beaucoup, signe la fin de la doctrine libérale. On aurait tort toutefois de l’enterrer trop vite, de le réduire aux errements de ceux qui ont partagé, avec les marxistes la même volonté démiurgique  de refonder l’Histoire à partir du mode de production. Dans l’esprit  de ses théoriciens d’origine, le marché  était plutôt le fruit de l’incertitude de nos actions que le garant d’une quasi infaillibilité. Son talent est d’épouser les faiblesses humaines pour les dépasser, tout en laissant à chacun la possibilité de se construire. Si le libéralisme n’est pas le socialiste, il peut y avoir un socialisme libéral qui accorde aux acteurs économiques une certaine autonomie et leur reconnaît le droit au risque et à l’innovation. Le libéralisme se caractérise par sa confiance dans le génie humain, capable de dompter les peurs et de surmonter les problèmes. Au moment ou triomphe chez nous un pessimisme généralisé, cette doctrine nous appelle à repousser les frontières de l’impossible, à chercher le remède à nos doutes dans un surcroît d’initiative, une explosion à la créativité.

Le libéralisme bien compris reste une philosophie du refus de la fatalité.

 

 

Par Pascal Bruckner, écrivain et philosophe

Article original paru dans le Point

Auteur: idlibertes

Profession de foi de IdL: *Je suis libéral, c'est à dire partisan de la liberté individuelle comme valeur fondamentale. *Je ne crois pas que libéralisme soit une une théorie économique mais plutôt une théorie de comment appliquer le Droit au capitalisme pour que ce dernier fonctionne à la satisfaction générale. *Le libéralisme est une théorie philosophique appliquée au Droit, et pas à l'Economie qui vient très loin derrière dans les préoccupations de Constant, Tocqueville , Bastiat, Raymond Aron, Jean-François Revel et bien d'autres; *Le but suprême pour les libéraux que nous incarnons étant que le Droit empêche les gros de faire du mal aux petits,les petits de massacrer les gros mais surtout, l'Etat d'enquiquiner tout le monde.

12 Commentaires

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  • jcgruffat

    19 février 2014

    Pour ma part, j’avoue avoir de la peine a separer les composantes du liberalisme.
    Ce courant de pensee s’est developpe par opposition au conservatisme reactonnaire, et il serait paradoxal de le limiter a sa dimension economique – moins d’Etat- LIBRE ENTREPRISE, BREF PRINCIPE DE SUBSIDIARITE – pour faire l’apologie de l’intervention de la puissance publique dans le domaine de la sphere privee sur les themes dits societaux.
    A moins que l’on n’empiete sur la liberte d’autrui, ou que l’on porte atteinte a l’ordre public, qui ne saurait etre defini, comme un ordre moral..

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  • bernard

    13 février 2014

    C´est le gouvernement social démocrate de Clinton qui a incité les banques a préter de l´argent à des familles insolvables et ceci à des fins électoralistes. La crise des subprimes n´est pas une crise du libéralisme mais une crise de l´emprise du gouvernement Clinton dans l´économie.

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  • Fucius

    12 février 2014

    Il n’y a qu’un libéralisme, qui ne correspond à aucune des deux compréhensions de PB.
    Et dire qu’il y a 150 nos intellectuels étaient Bastiat, Say ou Tocqueville…

    De nos jours la dialectique socialiste, avec sa novlangue, brouille le langage et la pensée.
    Il parle de « liberté dénombrable » quand il légifère pour permettre de réaliser des projets prédéfinis par l’État avec les ressources des autres.
    Ce sont les « droits à » – ou le « mariage pour tous ».

    Le libéralisme n’a rien à voir.
    Il est centré sur « la liberté » indénombrable: L’interdiction de contraindre.
    C’est une définition négative parce que l’usage de la liberté est au choix de chacun.
    Il en découle:
    1 – La propriété de ce qu’on a reçu d’une transaction libre
    2 – La responsabilité : Faire assumer se choix par autrui c’est attenter à leur liberté

    Les « droits à » sont illibéraux parce que:
    – Ce sont des choix prédéfinis par l’État et non libres
    – Les possibilités offertes aux bénéficiaires le sont par la spoliation des contribuables (je décide, tu paies)

    « Une liberté » est donc le contraire de « la liberté », et une formule à bannir.

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  • bruno

    12 février 2014

    Il est un peu triste de voir que ce que nous avons quasiment de mieux en France en terme d’intellectuel défendant le libéralisme, c’est des philosophes du type de Pascal Bruckner.

    Son texte est quand même un peu confus et approximatif.

    Déjà, cette distinction entre « deux » libéralismes me paraît très artificielle et circonstanciée, beaucoup plus que fondée sur une analyse logique et de principe.

    En effet, le marché résulte naturellement de la limitation des pouvoirs, quasiment par définition. Ce qui n’est pas du ressort du Souverain est nécessairement du ressort de l’initiative privée et de l’échange libre, c’est-à-dire justement du marché. Distinguer les deux paraît donc absurde. L’un ne peut exister sans l’autre.

    La suite des propos, partant sur cette mauvaise base, ne peut donc que se perdre dans des contrevérités et des approximations, bien soulignées dans certains commentaires précédents.

    Comme on est loin de l’analyse praxéologique d’un Mises, infiniment plus rigoureuse et profonde…

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    • Fucius

      12 février 2014

      Bientôt comme en anglais « libéralisme » signifiera « socialisme »

  • ticonderonga

    11 février 2014

    « Il y a donc au moins deux libéralismes : le premier, qui défend les droits civiques et sociaux comme principe au progrès et voit dans la politique l’arène indispensable pour arbitrer les conflits et s’engager dans une histoire inachevée ; le second, qui réduit l’Etat à un veilleur de nuit, le gouvernement à un mal provisoire qui doit laisser le pouvoir aux seuls entrepreneurs et spéculateurs.  »

    Entre les 2, mon choix et fait: je vois trop la capacité destructrice du second. Ce libéralisme là, c’est la loi du plus fort qui, alors qu’il défaille, vient exiger l’aide de l’état. Une erreur de la nature que de soit disant « penseurs » maintiennent en vie là ou la loi de la nature l’aurais déjà fait définitivement disparaitre, en 2008. Moins d’Etat, oui, moins de Police, non.

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    • Fucius

      12 février 2014

      PB est un intellectuel français, donc ignorant du libéralisme et de l’économie – celui-là ne se limitant pas à celle-ci, il a raison au moins sur ce point.

      L’aide de l’État ne peut jamais être justifiée par le libéralisme.
      Le libéralisme s’oppose à spolier les uns au bénéfice des autres, et réciproquement.

  • orsu

    11 février 2014

    Oui il était de bon ton de salir Margaret Thatcher (qui a surement été un des politique les plus compétent et courageux qu’ai connu le RU depuis l’après-guerre !) car elle cumulait deux immenses défauts :
    – remettre en cause le keynésianisme dans ses fondements
    – saper irrémédiablement l’image qu’était entrain de concocter les états majors parisiens de la Femme, Avenir de l’Homme, porteuse de nouvelles promesses (même si en fait c’est n’était qu’un maquillage d’une même idéologie, voir les municipales a Paris !!)

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  • yoyo6963

    11 février 2014

    « Va donc émerger ce qu’on appellera d’un terme polémique le « néolibéralisme », qui commence en Californie et en Angleterre avec Ronald Reagan, Margaret Thatcher et leur « révolution conservatrice », axée sur la baisse des impôts et le reflux de l’administration. Celle-ci installe une sorte de rêve sans tragique qui espère conjuguer justice, prospérité et morale grâce aux seuls échanges marchands et à la financiarisation. C’est cette croyance qui a failli en 2008 et qui pour beaucoup, signe la fin de la doctrine libérale. »

    A mon sens ce qui a failli en 2008 n’est pas le libéralisme mais bien le socialisme qui s’est infiltré partout et insidieusement, que ce soit aux USA avec les subprimes (un exemple parmi d’autres), ou en Angleterre avec Blair qui a glorieusement fait exploser la dépense publique…
    Ce ne sont pas les actions ou idées de Reagan ou Thatcher qui ont failli, mais bien celles de leurs successeurs.

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  • Gerald Muller

    11 février 2014

    Il me semble un peu léger de mettrer Benjamin Constant et Tocqueville dans le même sac. Seul Constant, à mon sens, a développé une véritable doctrine du libéralisme. Tocqueville, lui, était resté assez aristocratique, même s’il voyait bien que l’avenir n’appartenait plus à son groupe.
    On confond, de nos jours, trop souvent libéralisme -au sens du XIXème siècle- et libertairialisme. De cette confusion nait une bonne part des critiques « de gauche », alors que le libéral n’a jamais voulu un « laissez-faire » total. Il faut des règles et des régulateurs, mais en aucun cas que l’état soit acteur (sauf dans le domaine de la sécurité, tant intérieure qu’extérieure).
    La garantie de la propriété privée, la liberté au sens large et notamment d’entreprendre, des impôts modérés à taux bas et assiette large seraient déjà une avancée telle que j’y souscrirais bien volontiers.
    Reste à voir comment éviter la situation actuelle aux USA où les seuls financiers captent une bonne partie de la richesse créée sans mettre à mal la liberté. Et où des banquiers centraux peuvent manipuler les monnaies au point de détruire la vraie liberté. Une question à laquelle je n’ai pas de réponse claire.

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  • Robert Marchenoir

    11 février 2014

    « Va donc émerger ce qu’on appellera d’un terme polémique le « néolibéralisme », qui commence en Californie et en Angleterre avec Ronald Reagan, Margaret Thatcher et leur « révolution conservatrice », axée sur la baisse des impôts et le reflux de l’administration. Celle-ci installe une sorte de rêve sans tragique qui espère conjuguer justice, prospérité et morale grâce aux seuls échanges marchands et à la financiarisation. C’est cette croyance qui a failli en 2008 et qui pour beaucoup, signe la fin de la doctrine libérale. »

    C’est fatigant, ces mensonges toujours renouvelés. Margaret Thatcher était une chrétienne fervente et ne peut certainement pas être soupçonnée d’avoir voulu baser la morale sur « les échanges marchands et la financiarisation ». Sa première déclaration officielle, une fois élue, a été une prière de Saint François d’Assise :

    http://www.margaretthatcher.org/document/104078

    Après quoi, elle a rendu hommage à son père. Ceux qui l’accusent d’avoir voulu détruire les valeurs traditionnelles sont donc des ignorants ou des menteurs. Ce n’est pas comme s’il manquait d’excellentes biographies de Margaret Thatcher, y compris en français.

    D’autre part, la « révolution conservatrice » n’est certainement pas une croyance, puisqu’elle a réussi. La crise de 2008 n’est évidemment pas due au libéralisme.

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    • idlibertes

      11 février 2014

      Tout à fait d’accord avec vous Robert. Toutefois, le texte était assez intéressant dans sa conclusion surtout pour mériter le débat, il nous a semblé.

      Amicalement

      idl

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