Rares sont les recettes où les dénominations dont l’on peut dater avec une certaine précision l’apparition. Ce n’est pas le cas du tournedos Rossini.
La recette est restée immuable depuis son apparition à la fin du XIXe siècle. Voici comment Auguste Escoffier décrit la préparation de ces tranches de filet de bœuf (Guide Culinaire, c. 1901):
– Sauter les tournedos ; les dresser sur croûtons frits nappés de glace de viande fondue.
– Placer sur chaque tournedos une escalope de foie gras sautée au beurre, et quelques belles lames de truffe sur l’escalope.
– Déglaçage au Madère et sauce Demi-glace à l’essence de truffe.
L’appellation de “tournedos” est récente. La première mention écrite de ‘tournedos’ semble être dans La Cagnotte, pièce d’Eugène Labiche créée le 22 février 1864 par la troupe du Palais-Royal et l’un des chefs-d’oeuvre de notre scène comique. Le Tournedos à la plénipotentiaire est mentionné sur la carte du jour du restaurant où des provinciaux de La Ferté-sous-Jouarre viennent dépenser à Paris la “cagnotte” de leurs parties de cartes. La recette donnée par Labiche est clairement humoristique:
‘C’est un plat nouveau… ce sont des déchirures de chevreuil saisies dans de la purée de caille et mariées avec un coulis d’anchois, d’olives, d’huîtres marinées, de laitues, de truffes.’ (Acte II, scène III).
Ce serait donc Labiche qui aurait inventé le terme en même temps que celui de “cagnotte”. Ce dernier terme eut lui aussi une fortune rapide et son origine est souvent oubliée.
C’est seulement après la pièce de 1864 que l’appellation de tournedos est reprise dans les livres de cuisine avec le tourne-dos ravigote, sauce piquante ou poivrade, du Grand dictionnaire de cuisine, ouvrage posthume d’Alexandre Dumas père (1873), le tournedos béarnaise de L’Ecole des cuisinières d’Urbain-Dubois (2e édition de 1876) puis le tourne-dos mariné du Livre de cuisine de Jules Gouffé (4e édition de 1877).
L’appellation à la Rossini apparaît la première fois en 1833 et donc avant l’apparition du tournedos. Elle est crée par le grand Carême lui-même en l’honneur du grand compositeur qui était aussi un cuisinier réputé et un fin gastronome. Le Potage de purée de gibier à la Rossini est décrit dans L’art de la cuisine française au XIXe siècle (1833) mais il faudra attendre près de trente ans après la pièce de Labiche pour trouver, les premières recettes de tournedos à la Rossini dans le Dictionnaire universel de cuisine de Joseph Favre (1e édition de 1892) et dans La cuisine de tous les mois de Philéas Gilbert (2e édition de 1895-99). Le tournedos Rossini – forme grammaticalement moins correcte que celle de tournedos à la Rossini – se retrouve ensuite dans le Guide culinaire d’Escoffier dont la 1e édition semble être de 1901.
En résumé le premier hommage à Rossini est du grand Carême mais ce sont ses élèves Dubois et Gouffé qui ont utilisé la dénomination “tournedos” après l’invention humoristique de Labiche.
Divers contes font remonter l’invention du tournedos aux femmes de la marée vendant du poisson hâlé – peu frais – et qui devaient “tourner le dos”, ou à un maître d’hôtel qui tournait le dos au client pour que ce dernier ne le voit pas préparer un plat si curieux. Tout cela est du domaine de la fantaisie.
Le tournedos Rossini fut une pure création de synthèse de la grande cuisine. Contrairement à nombre de plats classiques il semble bien être sans attache avec la cuisine de terroir. C’est un des rares vestiges de la cuisine de palace.
Alors le rapport avec la politique?
Les politiques tournent aisément le dos à l’économie en prétendant l’asservir à leurs rêves et en dépensant l’argent des autres: les cagnottes des électeurs et aussi celles à venir de leurs descendants grâce au “miracle” de l’emprunt qui permet d’anticiper les recettes fiscales des générations futures. C’est du Labiche mais ce n’est pas comique.
Auteur: François Brocard
Gastronome amateur. HEC et Harvard (MBA). Investment Banking à New-York, Paris puis Londres (Morgan Stanley 1968-1986 ; BNP 1986-1997). Passionné par la cuisine et l’histoire de la gastronomie française. Membre de clubs gastronomiques (Club des Cent, Académie de la truffe et des champignons sauvages, etc.). Contributions au Oxford Symposium on Food & Cookery (conférence sur « Authenticity and gastronomic films » 2005) et au Oxford Companion to Food (article « Film and Food » 2006).