La pratique référendaire est au cœur du programme de gouvernement de Marine Le Pen. Du moins le croyait-on. En réalité, elle est au cœur de sa stratégie de conquête du pouvoir.
Il a fini par le lâcher. Le vice-président du Rassemblement national répondait de biais. Aussi le journaliste de France Info a-t-il voulu être certain de ce qu’il avait cru comprendre. C’était mercredi dernier. L’échange avec Jordan Bardella se trouve ici à partir de 16’ 45 : « Vous réclamez aujourd’hui au gouvernement un référendum sur la retraite, mais si vous arrivez au pouvoir, vous n’organiserez pas de référendum ? » Réponse de Bardella : « Non. » Non ? Non. Ce ne sera plus utile. Si le RN réclame aujourd’hui un référendum, a-t-il expliqué, c’est pour que le gouvernement retire sa réforme, alors que « si nous arrivons au pouvoir, forts du succès et de la confiance que nous aurons accordés les Français dans les urnes, alors nous […] retirerons ce système par points ».
L’une serait légitime, l’autre ne le serait pas
Cet aveu, que peu ont relevé, est révélateur à plus d’un titre.
D’abord de la très étrange conception qu’a Jordan Bardella – et, au-delà de sa personne, le Rassemblement national – de la démocratie. Sans entrer en aucune manière dans le débat sur la réforme des retraites, l’instauration d’un système par points figurait bien dans le programme du candidat Macron. L’instauration d’un âge pivot, non, mais le système par points, si. Or, le 7 mai 2017, le peuple français a porté Emmanuel Macron à la présidence de la République. En grande partie pour faire barrage à Marine Le Pen, certes, mais telle est la règle : « Au premier tour, on choisit, au second, on élimine. »
Qu’on le veuille ou non, nous l’avons élu. Nous, c’est-à-dire vous et moi. Que nous ayons ou pas voté pour lui. C’est bien « fort du succès et de la confiance » que lui ont accordé les Français qu’Emmanuel Macron a lancé sa réforme des retraites. Si, en 2022, nous choisissions, nous Français, dans un duel de second tour entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, d’éliminer le président sortant et de porter à l’Elysée la présidente du RN, en quoi celle-ci serait-elle plus légitime que ne l’est l’actuel chef de l’Etat ? Jordan Bardella doit avoir la réponse, nous pas.
En raison de la forte contestation sociale actuelle, on peut demander un référendum sur la réforme des retraites. La question ne sera pas simple à poser mais on peut le faire. En revanche, on ne voit pas pourquoi un changement à la tête de l’Etat rendrait le procédé caduc. Marine Le Pen voudrait-elle en faire le point central de sa prochaine campagne présidentielle ? Ce n’est pas exactement sur cette thématique que des millions de Français votent pour elle… Et quand bien même le déterminant du vote lepéno-mariniste changerait-il, la question sociale se substituant aux sujets identitaires et sécuritaires, rappelons à Jordan Bardella qu’en vertu de l’article 27 de la Constitution, « tout mandat impératif est nul ». Ce qui signifie que les députés, eussent-ils été élus, comme c’est devenu la coutume depuis l’instauration du quinquennat, pour apporter une majorité au président de la République, en l’occurrence à la présidente, ne seraient pas tenus de voter en faveur de la suppression du système de retraite par points. Quand bien même Marine Le Pen aurait-elle axé sa campagne sur ce thème.
Un plébiscite anti-Macron maquillé en référendum sur les retraites
« Aveu » de Bardella, disions-nous, car en un coup un seul, l’étoile montante du RN, qui se voit déjà mener son parti à la victoire aux élections régionales de fin 2021 là où Marion Maréchal, alors Maréchal-Le Pen, avait échoué de justesse en 2015, a jeté le discrédit sur l’idée de « République référendaire » défendue, dès la présidentielle de 2012, par Marine Le Pen. Un référendum, oui, mais seulement si on est dans l’opposition ? Parce qu’alors, on ne risque rien ? Rien à perdre, tout à gagner ?
L’exigence référendaire sur la réforme des retraites est pure tactique. Tout comme, d’ailleurs, l’avaient été les arguments développés par le RN lors des européennes de 2019. Si la liste du RN menée par Jordan Bardella devançait celle conduite, au nom de la majorité présidentielle, par Nathalie Loiseau, martelait l’ensemble des dirigeants du parti, Emmanuel Macron n’aurait alors d’autre choix que de changer de politique ou de dissoudre l’Assemblée nationale.
L’argument avait porté, bien que totalement déconnecté de la réalité de ce scrutin et de l’expérience des scrutins européens antérieurs. Depuis 1984, les partis au pouvoir, à l’exception de l’UMP en 2009, ont toujours pris des raclées mémorables aux européennes sans que cela ait des conséquences majeures sur la politique suivie par le chef de l’Etat. Pour « sanctionner » Macron, pour le forcer à « entendre le peuple », nombre d’électeurs qui penchaient pour d’autres listes (celle de Bellamy, celle de Dupont-Aignan, certains même pour celle de Manon Aubry) avaient décidé de se reporter sur celle du Rassemblement national. Pour qu’elle arrive en tête et alors, on allait voir ce qu’on allait voir. On a vu.
Si le Rassemblement national exige aujourd’hui, à défaut de l’abandon de la réforme des retraites, un référendum sur le sujet, c’est qu’il mise sur le fait qu’en règle générale, et plus encore dans le climat actuel, les Français répondraient, non pas à la question qui leur serait posée mais à celui qui la leur poserait, Emmanuel Macron. Question : « Etes-vous favorable à l’instauration d’un système de retraites par points ? » Réponse : « Macron, casse-toi ! » Au final d’ailleurs, rien ne dit que c’est l’expression de la détestation du président de la République qui l’emporterait, mais ce serait à coup sûr la tonalité d’une campagne menée « au nom du peuple ». Pour « La France apaisée », on verrait plus tard.
Objectif : faire le plein des voix de gauche en 2022
Marine Le Pen n’a qu’une hâte : rejouer le second tour de la présidentielle de 2017. Etre, cette fois, à la hauteur de la fonction à laquelle elle postule. Et, puisqu’il lui faut encore attendre, tenter de forcer le destin en réclamant ce référendum anti-Macron dont elle se voit sortir grand vainqueur sur une ligne résolument… de gauche. Sur une thématique, pour reprendre la formule de Bardella, de dénonciation de la façon dont Emmanuel Macron est en train de « détricoter tout l’héritage social de la France », étant entendu que celui-ci est tout entier contenu dans le programme du Conseil national de la Résistance, à l’exception, sans doute, de ce qui avait déjà été conquis sous le Front populaire.
Aux clins d’œil appuyés de Marine Le Pen en direction de la CGT, le secrétaire général de la confédération, Philippe Martinez, a répondu : « Le jour où je validerai ses propos, il faudra m’exclure de la CGT. C’est clair ce que je dis ? » Très clair. En revanche, pour avoir une idée précise de ce que pensent les adhérents – et les électeurs habituels – du Rassemblement national de l’accentuation de la chasse à l’électorat de gauche, c’est moins aisé.
Il y aurait bien une solution mais il y a peu de chances qu’elle soit mise en œuvre : organiser un référendum interne au RN. Questions, au choix : « Pensez-vous que “tout est à jeter“ dans le projet de réforme des retraites avancé par le gouvernement ? » ; « Pensez-vous que le combat contre la “régression sociale“ soit la priorité absolue ? » ; « Auriez-vous apprécié que le RN s’indigne officiellement de l’enlèvement des affiches d’Alliance Vita à la demande d’Anne Hidalgo ? » Ou, histoire de rire un peu : « Marine Le Pen ayant validé les propos de Philippe Martinez, pensez-vous qu’il faille l’exclure du Rassemblement national ? »
Jordan Bardella nous expliquera certainement que Marine Le Pen ayant été élue à la présidence du parti en 2011 contre Bruno Gollnisch, puis réélue triomphalement à deux reprises depuis, sans qu’aucun rival ne se soit présenté, « forte du succès et de la confiance » qui lui a été accordée, il ne saurait être question de faire valider sa stratégie par référendum. N’empêche : ce n’était pas la peine de se débarrasser de Florian Philippot si c’était pour s’en aller faire des risettes à Martinez.
Bruno Larebière
Auteur: Bruno Larebière
Journaliste indépendant, Bruno Larebière collabore à divers titres de la presse parisienne, dont le mensuel L’Incorrect dont il dirige les pages politiques. Auteur d’une vingtaine d’ouvrages, la plupart en tant que « prête-plume », il exerce aussi l’activité de conseiller en communication.
petitjean
16 janvier 2020Donc ici on tire à boulet rouge sur le RN ! Qui est au pouvoir depuis plus de 40 ans en France ? Qui est responsable et coupable du naufrage de la France ? Le RN ?
Mais que proposez vous pour stopper la descente aux enfers de la France ? Attendre ??
Il est minuit moins 2 et dans peu de temps il sera trop tard pour sauver notre pays de sa destruction. Mais peut être certains seront satisfaits de l’africanisation et de l’islamisation de notre pays
Servons nous du RN pour virer toute cette clique euro mondialiste destructrice des états nations et de leur identité !……
Bruno Larebière
20 janvier 2020Non, je ne tire pas à boulets rouges sur le RN. Je me contente de traiter succinctement de certaines contradictions (l’abandon du référendum en cas d’arrivée au pouvoir, confirmé depuis cet article par MLP en personne) et d’une ligne économique et sociale dictée par les calculs électoraux. Sur les questions centrales de l’immigration et de l’islamisation, il est évident que seul le RN a la volonté d’apporter des solutions, même si celles qu’il propose maintenant sont en très recul par rapport à celles émises du temps de Bruno Mégret.
Denis
15 janvier 2020Bonjour,
Décidément, vous exprimez fort bien, mon ressentit sur le RN de M. Le Pen… à pouvoir changer la vie des Français… Je ne perçois pas de vision d’avenir… ou alors avec des relents identitaires. La différence avec les manifestations actuelles ne seraient plus Police contre peuple, mais contre une catégorie d’humains… Tenter de temporiser à la sauce de l’autruche Pétain pour déclencher une nouvelle guerre fratricide, qu’attisent bien d’autres pays aussi, en vue de ?…de quoi ? D’une 3ème guerre générale pour réduire la population à sa plus simple expression pour un nouvel ordre mondial ?…
Pessimisme ? Divagation ?…
Philippe Dubois
13 janvier 2020Bonjour
Les électeurs potentiel de Bellamy aux européennes ont rejoint la liste Loiseau.
Ces bourgeois loden-Barbour des beaux quartiers ont abandonné ce pauvre Bellamy en rase campagne pour venir au secours du soldat Macron, représentant du parti de l’ordre qui allait permettre de sauver leurs économies menacées par ces gueux de Gilets jaunes.
Si la liste Bellamy avait réalisé le score prévu dans les sondages, soit environ 13 %, il est probable que la liste LREM n’aurait pas dépassé 15 %.
Certes, cela n’aurait pas changé grand chose quant à la politique suivie par cette clique de nuisibles, mais on aurait évité de les entendre pérorer.
Cela dit, comme le disait Charles Gave hier sur Sud Radio, MLP n’en fiche pas une rame et son staff de branquignols n’en fait guère plus.
Il n’y a aucune réflexion doctrinale ou programmatique, juste une course aux slogans porteurs pour tenter de fidéliser un noyau d’électeurs de 20% environ, permettant de vivre grassement sur la bête.
Charles Heyd
14 janvier 2020Comme vous, et CG, avez raison!
breizh
11 janvier 2020madame Le Pen ne cherche pas à être élue, mais à rester présidente du RN et dans l’opposition : c’est très confortable et sans trop de risque.
JLP
11 janvier 2020Comme le dit et redit son père, Marine Lepen ne veut surtout pas le pouvoir et Bardella ne fait qu’obéir aux ordres de la chef : tout faire pour déstabiliser l’électorat lepéniste afin de perdre les prochaines élections grâce à un bon coup de barre à gauche.
Pour paraphraser la présidente du RN en parlant de la droitisation de l’UMP : pourquoi voter pour l’immitation (le RN) quand on peut avoir l’original (Mélenchon, Martinez…)?
Bruno Larebière
20 janvier 2020Je crois pour ma part qu’à la différence de son père, MLP veut réellement accéder au pouvoir. Elle saura en 2022, et nous aussi, si sa stratégie était la bonne… Sur le fond, c’était la même pour le second tour de 2017 : séduire, ou, a minima, neutraliser l’électorat de gauche, c’est-à-dire faire en sorte que l’électorat de Mélenchon se reporte sur elle ou s’abstienne.
Pierre 82
11 janvier 2020Certes, le RN est bel et bien devenu un parti d’extrême-gauche, à l’idéologie hyper-étatiste qui ne diffère de Mélenchon que sur la question de l’immigration. Rien à attendre d’une telle bande de bras cassés.
Sauf que… s’ils arrivaient à la « magistrature suprême » avec une majorité parlementaire, il est fort à parier que les administrations se mettraient à désobéir, semant une pagaille indescriptible dans nos institutions. De plus, le système judiciaire (qui a tendance à confondre « indépendant » et « autocéphale ») passeraient le plus clair de son temps à chercher des poux sur la tête à tous les nouveaux dirigeants, qui devraient passer au tribunal le plus clair de leur temps. Bref, avec un peu de chances, l’état tout puissant pourrait commencer à tousser sérieusement, et à se gripper furieusement, et peut-être même vaciller.
Dans un système comme le nôtre, verrouillé de partout, il ne sert à rien d’espérer l’arrivée de l’homme providentiel. La « droite » classique passe le plus clair de son temps à repérer toute personnalité susceptible de devenir un Boris Johnson, un Donald Trump , un Salvini ou un Sebastian Kurz pour l’éliminer dans l’œuf. Et je ne me laisserai plus convaincre par un nouveau cornichon mandaté par ces LR du style Sarkozy qui nous expliquera qu’on va enfin appliquer un programme libéral et résolument anti-étatique.
Non. La France n’est pas prête pour recevoir un sauveur, pour l’instant elle a besoin d’un liquidateur (ou liquidatrice, peu importe) qui, probablement à son corps défendant, fera exploser en vol ces institutions pourries. Penser que MLP serait capable de sauver la France est juste risible. Par contre elle pourrait concourir, malgré elle, à la chute du régime… avec un peu de chance, il pourrait en sortir quelque chose de mieux torché… ou pas.
Note: je fais un parallèle avec le point de vue de Charles Gave concernant Donald Trump, le premier article, je pense qu’il a écrit à son sujet. Pour rappel: https://institutdeslibertes.org/a-propos-du-donald/
OK, c’est risqué. Mais je pense que conserver ce système dans un tel bourbier mondial serait bien pire…
breizh
11 janvier 2020les administrations n’obéissent guère aux politiques : elles vivent leurs vies, laissant les politiques faire leur théâtre et pérorer.
Toutes les réformes présentées par les politiques sont en fait poussées par les administrations pour étendre leur pouvoir et leur emprise
Nox
13 janvier 2020« le RN est bel et bien devenu un parti d’extrême-gauche, à l’idéologie hyper-étatiste qui ne diffère de Mélenchon que sur la question de l’immigration ».
Il diffère aussi sur la question de la sécurité. A ma connaissance seuls le RN et DLF ont un programme de rétablissement de la sécurité civile, passant notamment par une augmentation du nombre des prisons et par la reconquête des cités.
Bruno Larebière
20 janvier 2020« Le système judiciaire (qui a tendance à confondre “indépendant” et “autocéphale”) passerait le plus clair de son temps à chercher des poux sur la tête à tous les nouveaux dirigeants, qui devraient passer au tribunal le plus clair de leur temps » : en effet et d’où la proposition de Marion Maréchal (alors Maréchal-Le Pen) de ramener le bloc de constitutionnalité à la Constitution stricto sensu. MLP ne l’a pas retenue, craignant qu’on ne la soupçonne de vouloir faire un coup d’Etat, alors que ce sont les juges qui l’ont opéré… et réussi.
Thierry Balet
11 janvier 2020Il n’y a rien à attendre du RN ni de la majorité des autres partis politiques qui sont tous soumis à la moraline européistes.
Il ne s’agit que de « familles politiques », sans vision et projet clair pour la france. Seul l’accès au pouvoir compte et tant pis si la rhétorique se doit d’être adaptée en fonction des circonstances…….
Il n’y a qu’une personnalité qui pour l’instant sort clairement du lot, mais il est systématiquement banni des médias. Suivez mon regard……
Alexandre
10 janvier 2020Quelle tristesse que cette politique politicienne.
Charles Heyd
10 janvier 2020Il n’y a rien (de bon et encore moins de sensé) à attendre de Mme Le Pen;
lors des dernières élections présidentielles elle ne savait plus s’il fallait sortir de l’€ et de l’Europe alors que c’était son dada peut avant; maintenant elle veut (peut-être!) le référendum mais sans avoir à en user; très (trop) fort!
Vite le RIC qu’on puisse dégager ce genre de charlot.