22 octobre, 2024

L’affaire Doliprane

C’est le genre de tempête qui secoue le monde politico-médiatique à échéance régulière. S’affoler sur un sujet, regarder le monde par le petit bout de la lorgnette puis en appeler au secours de l’État stratège et aux mannes de l’État protecteur. Cette fois-ci, il s’agit de l’affaire Doliprane. Arnaud Montebourg appelle à la nationalisation de l’entreprise, comme le groupe LFI de l’Assemblée. On y voit les conséquences néfastes de la mondialisation, le symbole de notre désindustrialisation. Il semble urgentissime que l’État intervienne pour sauvegarder cet élément clef de notre souveraineté.

 

De quoi s’agit-il ?

Le Doliprane est le nom commercial du paracétamol, comme le Dafalgan et l’Efferalgan ; le paracétamol étant le médicament le plus vendu en France. La molécule et le composé chimique sont familiers des groupes pharmaceutiques, le procédé est dans le domaine public depuis de nombreuses années. Le principe actif est fabriqué en Chine, puis importé en France pour être conditionné, c’est-à-dire produit en cachet et mis en boîte. Sanofi considère que cet actif n’est plus stratégique et souhaite donc s’en séparer. L’argent ainsi gagné lui permettra d’investir dans les technologies médicales de demain. Donc quitter un médicament du passé pour investir l’avenir.

Mais le symbole est là, indéboulonnable. Le Doliprane, c’est la France, la France doit donc intervenir. Pour une fois, Roselyne Bachelot, qui est pharmacienne de formation, a fait une très bonne intervention à la télévision en expliquant les tenants et aboutissants du sujet et pourquoi cette tempête médiatique ne tient pas le choc. Elle est en réalité le symptôme plus ancien de problèmes structurels de l’industrie pharmaceutique qui proviennent de l’existence de la Sécurité sociale (fondée sous Pétain par Pierre Laroque et René Belin soit dit en passant).

La question du prix

Nous touchons ici à un élément crucial de l’économie, celui du prix. Le prix est une information, révélateur notamment, mais pas seulement, des rapports entre l’offre et la demande. Quand le prix est librement fixé, alors l’information fournie est juste. Quand le prix est contrôlé et fixé par l’État, alors l’information est fausse, ce qui s’appelle un mensonge. Le mensonge des prix conduit toujours à deux choses : la pénurie et la baisse de la qualité.

C’est ce qui se produit dans le logement lorsque les loyers sont plafonnés, dans la fonction publique lorsque les salaires (qui sont un prix) sont soumis à une grille indiciaire et donc dans le médicament, où les prix sont contrôlés par un organisme de la Sécurité sociale.

Puisque la sécu est très lourdement endettée et que ses dépenses ne cessent de croître, il eut été nécessaire de l’engager dans une voie de réforme. C’est une autre voie qui fut choisie, celle qui consiste à bloquer les prix du médicament afin que ceux-ci coutent moins cher à rembourser. Comme les prix sont bloqués, la rentabilité chute et il n’est plus rentable de vendre des médicaments sur le sol français, surtout quand leur valeur ajoutée est faible. Donc les laboratoires pharmaceutiques délocalisent leurs usines, notamment en Chine, afin de produire à moindre coût et ainsi pouvoir affronter le blocage des prix. Le problème a été révélé lors de la crise du Covid où tout le monde est venu pleurnicher en se lamentant de la destruction du tissu industriel, provoqué par des mesures socialistes absurdes. Quatre ans plus tard, rien n’a changé et le blocage des prix continu à produire ses effets néfastes.

Sanofi, qui a priori sait mieux comment fonctionne le marché industriel pharmaceutique que des députés communistes, a donc décidé de céder un actif qui ne rapporte pas grand-chose pour investir dans ce qui est estimé comme étant des technologies de pointe et essentiel pour le futur. Si l’entreprise ne fait pas cela, elle meurt. Ceux qui veulent nationaliser le Doliprane sont donc prêts à mettre beaucoup d’argent public, c’est-à-dire d’impôt, dans une technologie d’hier et ainsi de sacrifier l’avenir du pays.

L’exemple de Renault

À propos d’industrie sacrifiée, l’automobile en est un bon exemple, détruite par les normes absurdes de l’Union européenne et de la France.

Cette semaine est celle du salon de l’automobile et Renault fait peine à voir face à ses concurrents chinois. Renault est le cas typique d’une entreprise en fin de vie. La marque a ainsi présenté ses deux nouveautés, qui sont des reprises de la 4L et de la R5. Des voitures innovantes en leur temps, mais qui ne le sont plus aujourd’hui. Quand une entreprise n’est plus capable d’innover et qu’elle est contrainte de ressortir de vieux modèles d’il y a 50 ans, c’est qu’elle va vraiment mal. La R5 électrique, voiture basique, est ainsi vendue autour de 25 000€. Pour le même prix, on peut acheter une voiture chinoise d’un niveau de confort d’une Mercedes ou d’une BMW. On peut aussi acquérir une Toyota hybride d’un confort et d’un standing supérieur à la R5. C’est donc la chronique d’un échec annoncé.

La réponse du gouvernement est connue : il va augmenter les droits de douane sur les voitures chinoises pour empêcher les Français modestes d’acquérir des voitures à moindre coût. Ils devront donc se contenter de Renault bas de gamme et cher. En réponse, la Chine augmentera ses droits de douane sur d’autres produits, par exemple le luxe, et nous aurons ainsi non seulement perdu l’industrie automobile, mais également d’autres secteurs victimes de la guerre commerciale. Tout cela parce que certains croient encore à l’État stratège et préfèrent sauver les industries du passé plutôt que d’investir dans l’avenir. La nostalgie, surtout quand elle repose sur des mythes et des visions fausses, elle le pire des acides pour l’indépendance nationale et la souveraineté.

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

24 Commentaires

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  • adrien

    4 novembre 2024

    Bravo non seulement pour le fond, mais aussi la forme qui est brillante.

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  • fred

    30 octobre 2024

    Bonjour,
    Une excellente analyse comme toujours, merci Mr Noé.

    En complément, voici une petite analyse financière qui montre que le dossier SANOFI n’est rien d’autre que du partage de deux marchés très lucratifs entre deux puissances économiques : https://www.youtube.com/watch?v=S5PC0pcYB2Y

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  • Gui2

    30 octobre 2024

    Renault salarie plus de 40’000 employés en France et par conséquent fait vivre plus de 40’000 familles en France. Ce sont nos voisins nos rues respectives, sur nos paliers,… personnellement, je préfère que mes proches, mes voisins, les personnes qui vivent dans ma ville et dans mon pays aient un emploi décent, sans pour autant tomber dans du protectionnisme extrême.
    Alors oui, un peu de protectionnisme pragmatique permettra à quelques uns de garder la tête au dessus de l’eau.

    Et encore : les industries du passé ne sont pas synonymes d’industries en fin de vie. les entreprises se réinventent en permanence; plus ou moins vite; avec plus ou moins de réussite. Mais elles sont là et nous saurons contents de les léguer à nos enfants.

    Alors oui, cet argent dépensé pour ces « vieilles » industries pourrait être investi dans l’innovation. Mais ces nouvelles industries sont-elles pour autant pérennes ? Vont-elles créer durablement de la valeur ?

    La vérité n’est probablement ni blanche ni noire mais grise. Essayons de pérenniser ce qui nous fait vivre aujourd’hui en mettant en place ce qui fera vivre nos enfants demain.

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  • Clarens

    30 octobre 2024

    Excellent article je trouve , il rappelle clairement les principes de base du bon fonctionnement de l’économie. Oui indirectement le travail est une marchandise puisqu’il permet de produire des biens que nous vendrons pour nous procurer d’autres biens…. Une question toutefois: que faire face à la concurrence de la Chine qui fausse les règles de libre échange en maintenant chez elle des salaires extrêmement bas? J’espère lire votre réponse bientôt. Clarens 30/10/2024

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  • Bernard

    25 octobre 2024

    Un autre exemple, l’aérospatiale, industrie française en chute, un atelier se présente: 4 ou 5 techniciens en blouses blanche immaculée, masques etc.. on se croirait en clinique lors d’un accouchement. En même temps un reportage sur la production des fusées de Ean Mosk, un ouvrier en bleu de travail en train de souder.. tout seul.. et sa fusée va revenir au point de départ… à un prix imbattable. Que faut-il changer?…

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  • Patrice Pimoulle

    24 octobre 2024

    Connaissez-vous le traite d’economie politique su Pr Charles Gied (1902)/ la question se l’echange international y est traitee.

    Peut laisser entrer en France la soie chinoise? i oui, que deviendra la soie francaise, les nuriers de l’Ardeche et les soieries de Lyon? Pas de probleme, on leur vendra des articles fr Paris.

    Par analogie:
    quid des ordinateurs chinois de la telephonie chinoise, de l’electriique chinoise, et maintenant de l’automobile chimoise?
    Pas de probleme. on va leur mettre des drpots de douane…

    La parti communiste chinois doit trembler d’effroi.

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    • Patrice Pimoulle

      31 octobre 2024

      A Francois et a FP 27: Aucun rapport, le travaii est un facteur de production, no une marcahndise. ce n’est pa parce que « toute peine merite salaire  » que le travail est une marchandise.

  • crocy

    23 octobre 2024

    Votre analyse est juste et votre article intéressant, mais je crois que le fond du problème est encore pire : en fait, nous avons affaire à la mainmise sur tout ce qu’elle peut s’approprier, quitte à faire plonger le pays, d’une mentalité médiocre mais installée dans le public – et ça déteint aussi dans le privé, dans certains groupes, comme Peugeot, depuis des années.

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  • Gaulois refractaire

    23 octobre 2024

    Merci, M. Noé, pour votre analyse extrêmement pertinente… hélas !

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  • Francois47

    23 octobre 2024

    Bien sûr que le travail est une marchandise ! On vous paie pour vos mains… Et plus on a besoin de ce que vos mains savent faire et plus on vous paie cher. Tout ce qui s’échange contre de l’argent est une marchandise.

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  • Patrice Pimoulle

    23 octobre 2024

    Vous osez critiquer le general de Gaulle et la Ve Republique? La Haute Cour n’est pas loin…

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  • Patrice Pimoulle

    23 octobre 2024

    Non, le salaire n’est pas un prix, parce que le travail n’est pas une marchandise.

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    • Francois47

      23 octobre 2024

      Bien sur que le travail est une marchandise ! On vous paie pour vos mains… Et plus on a besoin de ce que vos mains savent faire et plus on vous paie cher. Tout ce qui s’échange contre de l’argent est une marchandise.

    • MYN

      24 octobre 2024

      Dans ce cas il ne faut pas se plaindre de la faillite de toutes nos entreprises et de celle du pays. Les prix administrés ont toujours fonctionné évidemment

    • FP37

      24 octobre 2024

      Désolé, quand on calcule le prix de revient d’un produit ou d’un service, il faut tenir compte de tout ce qui a contribué à le fabriquer, dont les salaires.

    • Theo31

      24 octobre 2024

      Accepteriez vous de travailler pour la gloire comme les bénévoles des JO qui se sont fait exploiter 60 heures par semaine ?

  • Grandga

    23 octobre 2024

    Bastiat, sors de ce corps!

    Bientôt 2 siècles et ils n’ont rien appris…

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  • MAURY

    23 octobre 2024

    Merci de cet éclairage

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  • JMAD

    23 octobre 2024

    Excellente démonstration trop simple pour les ignares auxquels on a imprudemment confié le pouvoir depuis des décennies.

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  • François Delaunay

    23 octobre 2024

    Merci pour cet excellent exposé qui illustre par ce sujet, l’incompétence de l’état à vouloir s’occuper de tout et donc, forcément mal car l’état ne comprend absolument rien à l’économie. Combien de politiques ne s’émeuvent de dire qu’il n’y qu’à prendre l’argent, en oubliant totalement les effets délétères et l’absence criante de vision. Nous sommes vraiment dans le déclin, je ne sais pas comment nous pouvons nous en sortir sans repartir d’une feuille blanche avec des personnes volontaires et compétentes et donc, complètement en dehors du système.

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  • Dave

    23 octobre 2024

    C’est clair que le cas du Doliprane n’a pas vraiment d’intérêt contrairement à Alcatel ou Alstom où des technologies clés avaient été cédées. Par contre dans l’Automobile, ne croyez-vous pas que les règles de l’UE (fin des voitures thermiques en 2035, contrôle techniques et normes Euro 7 renforcées) vont tuer les constructeurs européens? Ils étaient très forts dans le thermique et la Commission Européenne a décidé de mettre fin à ce marché tuant du coup leurs avantages compétitifs…

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    • Patrice Pimoulle

      31 octobre 2024

      Si, outre que la voiture elctroqie est une heresie et tout le monde le sait dpepus toujours, en tous cas moi je vis en Ehailand e et je roule dans une MG chinoise a essence, c;est tres bien. Donc dous avez raison. le teomps est loi ou l’on fabriquait des 405 a Bangkok.

  • Robert

    23 octobre 2024

    Excellent papier qui a vocation à être très largement diffusé, tant son contenu pédagogique est puissant.

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  • Guy

    23 octobre 2024

    Excellent article. Merci.

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