28 janvier, 2013

Changement au Pays du Soleil Levant?

Depuis quelques jours,  les autorités politiques et monétaires Allemandes sont dans tous leurs états: tour à tour, le Ministre des Finances Allemand, le Président de la Bundesbank  et  enfin Madame Merkel elle même se sont mis à tirer à boulets rouges  sur ce qui semble bien être une nouvelle donne politique et monétaire au Japon.

Mr Abe, le nouvellement élu premier ministre avait fait en effet campagne pour que la banque centrale locale, la BOJ , fasse baisser les taux de change du Yen en imprimant  suffisamment d’argent pour que de plus l’indice des prix cesse de baisser. Et depuis ces annonces de campagne, le Yen baisse…

Chacun sait en effet que le Japon est en déflation depuis de nombreuses années…et il semble bien que monsieur Abe a bien l’intention de forcer la BOJ à faire ce qu’il veut puisqu’il va pouvoir nommer le nouveau Gouverneur de la BOJ et deux autres membres du Conseil très prochainement.

Nos amis d’Outre Rhin, du coup, se mettent à hurler au prétexte que le Japon recommencerait  à utiliser l’arme de la dévaluation compétitive, comme dans les années 30 de sinistre mémoire, que la sacro sainte indépendance de la banque centrale du Japon serait remise en cause, tandis que cette politique bafouerait tous les accords signées au moment des G 20 …bref les autorités Allemandes semblent bien excitées tout à coup…Je vais essayer d’expliquer pourquoi…

Commençons par une analyse objective de la situation.

 

La ligne bleue, échelle de droite, représente le cours de change du Yen vis à vis de l’Euro, avancée de 6 mois. (Les mouvements du taux de change précédent en général les mouvements commerciaux)

La ligne rouge, échelle de gauche représente la balance commerciale entre le Japon et la zone Euro depuis 1992 en milliards de Yen.

Le graphique montre fort bien que la balance commerciale tend à suivre l’évolution du taux de change  avec un délai d’environ 6 mois.

Et comme chacun peut le voir, depuis 2008, le Japon est passé d’un excédent à un déficit  commercial vis à vis de la zone Euro.

Derrière cette réalité, une explication toute simple. Depuis le début de la crise financière en 2008, le yen est passé de 160 yen par euro à moins de 100 yen par euro pendant l’été 2012, soit une réévaluation de plus de 35 % (aussi curieux que cela puisse paraitre, si je dois donner moins de yen pour un euro, cela veut dire que le yen est monté).

La question suivante doit donc être: mais qu’est qui a amené le Yen à monter de façon aussi vertigineuse alors même que l’économie Japonaise se portait plutôt mal ?

La réponse est: l’inaction et l’incompétence  de la BOJ

Pendant la grande crise de 2008-2009, toutes les banques centrales se mirent à suivre une politique très expansionniste pour enrayer la crise de liquidités qui venait de se déclencher (hausse du bilan de la banque centrale, rachetant des obligations d’Etat par exemple…) , toutes, sauf la BOJ…

Par exemple, pendant que la base monétaire au USA (monnaie de banque centrale) triplait quasiment de 2008 a 2012, la base monétaire Japonaise elle bougeait à peine et restait nettement plus basse  en termes absolus qu’en 2006…

Plus de Dollars, (et d’Euro, et de Livre Sterling etc.) et la même quantité de yen, que croyez vous qu’il arriva?

Une réévaluation massive du Yen…

Bien entendu, cette réévaluation du yen faisait les affaires de tout le monde en dehors du Japon, en particulier en Europe. L’Industrie Japonaise reste en effet la deuxième au monde, après celle des USA, avec laquelle elle est assez peu en concurrence. Le Japon est par contre en concurrence frontale avec l’Europe en général et l’Allemagne en particulier. Les Japonais produisent  en effet a peu prés TOUT ce que les Allemands produisent : voitures, machines outils, robots industriels, chimie fine, chimie lourde, acier spéciaux….  et la qualité des produits est similaire

Ainsi donc, après une réévaluation de plus de 35 %, le principal concurrent de l’industrie Allemande, l’industrie Japonaise , n’était plus concurrentielle  du tout vis a vis de sa principale concurrente, l’industrie Allemande. Une partie de l’explication du miracle Allemand des quelques dernières années peut donc s’expliquer au moins partiellement  par cette mise hors course du principal  rival de notre voisin. Curieusement, on a assez peu entendu les autorités Allemandes pendant toute cette période…

En termes de profits des sociétés, les profits des sociétés allemandes  ont été très supérieurs à ce qu’ils auraient du être  si les taux de  changes avaient été « normaux », tandis que ceux des sociétés Japonaises  étaient bien pires et s’écroulaient…  et tout cela , à cause d’une erreur de la banque centrale Japonaise.

Tout ce que cherche  donc à faire monsieur Abe , c’est à corriger une situation de fait extrêmement défavorable à  l’économie de son pays situation créée par une erreur patente des autorités monétaires de son propre pays.   Apres tout gérer en fonction de l’intérêt du pays est ce que l’on attend d’un homme politique…

Mais je comprends parfaitement que les autorités Allemandes hurlent, tant la situation précédente leur était favorable …(Remarquons au passage que les autorités Françaises ne disent pas un mot, alors que ce qui reste de l’industrie française va continuer à être massacrée, la pression Nippone s’ajoutant  à la pression Allemande, ce qui rassure sur la compétence extrême de nos élites)

Ce que dit de plus monsieur Abe avec beaucoup de bon sens, c’est aussi que si une banque central a fait bêtise sur bêtise comme l’a fait la BOJ depuis vingt ans on voit mal pourquoi elle devrait rester indépendante. L’indépendance se mérite et la BOJ ne s’est pas couverte de gloire récemment, c’est le moins que l’on puisse dire…

Donc  le Japon va sans doute continuer a dévaluer le yen, le faisant passer de 120 Y/ E a 150 Y par E…ce qui rendra bien sur l’Industrie Japonaise compétitive à nouveau…

Ce qui veut dire que les profits de toutes les sociétés en concurrence avec des sociétés nippones vont subir des fortes pressions à la baisse. Il ne faut donc avoir en portefeuille que des sociétés dont on est certain qu’elles ne seront pas en concurrence avec des sociétés nippones et rechercher des sociétés ayant des  chiffres d’affaires en hausse tant la plus grosse exportation du Japon cette année et l’année prochaine va être une déflation des prix des produits industriels: pour sortir de la déflation chez eux, les Japonais vont l’exporter chez les autres… Il va être dur, très dur d’avoir des chiffres d’affaires en hausse…

De 2009 a 2012, il valait mieux avoir des actions industrielles en Allemagne qu’au Japon, les marges Outre-Rhin étant protégées par la surévaluation du taux de change de la monnaie de leurs principal concurrent.  A mon avis, on peut légitimement se poser la question sur le bien fondé d’une telle politique de placement.

Re-balancer tout ou partie de ses actions industrielles vers le Japon me parait raisonnable dans les circonstances actuelles.

Reste bien sur la possibilité que le Japon ne subisse de telles pressions de la part des Etats- Unis qu’ils abandonnent ce qui parait être une politique fort légitime. A mon avis, l’administration Obama face à la Chine préfère et de loin avoir un Japon fort qu’un Japon faible. Et donc je ne crois pas trop aux diplomates Américains volant au secours de l’Europe…et comme les USA font avec monsieur Bernanke, et depuis fort longtemps ce que les Japonais veulent faire aujourd’hui, on voit mal au nom de quel principe les Etats Unis pourraient empêchera les autorités du Pays du Soleil Levant de suivre un si bon exemple…

Plus je regarde le monde, et plus j’ai envie d’être investi en Asie.

 

 

Auteur: Charles Gave

Economiste et financier, Charles Gave s’est fait connaitre du grand public en publiant un essai pamphlétaire en 2001 “ Des Lions menés par des ânes “(Éditions Robert Laffont) où il dénonçait l’Euro et ses fonctionnements monétaires. Son dernier ouvrage “Sire, surtout ne faites rien” aux Editions Jean-Cyrille Godefroy (2016) rassemble les meilleurs chroniques de l'IDL écrites ces dernières années. Il est fondateur et président de Gavekal Research (www.gavekal.com).

9 Commentaires

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

  • Cyril JARNIAS

    29 janvier 2013

    Guerre des changes, guerre des monnaies, rachat de dettes par les banques centrales, taux négatifs, crise, valeur réelle des actifs…
    Pour aimer le Japon et avoir pu visiter plusieurs fois ce pays, je crois qu’on ne doit pas déconnecter les données et analyses économiques de la vie des habitants :
    quand vous êtes au Japon, vous voyez l’organisation, le sens de la dévotion au travail, l’implication. Donc, même si le pays a un taux d’endettement très élevé, ce sont les nationaux qui détiennent la dette.
    Cela veut dire que tout ce système tient grace à la confiance des japonais en leur économie.
    Redonner du souffle à l’économie japonaise en jouant sur les changes, c’est un levier que les pays d’Europe du Sud n’ont pas ou plus malheureusement…
    Maintenant, à mon sens, cela reste des solutions de court terme, nos économies ont besoin d’un nouveau souffle d' »innovation ».

    Répondre
  • reporting

    29 janvier 2013

    nos élites sont d’autant plus nuls qu’ils ont abandonné notre monnaie nationale qui est quand même le minimum pour pouvoir mené une politique indépendante au profit de l’euro. Le pire est que les aficionados de l’euro font des carrières brillantes : quand on voit l’état du pays il n’y a pas à chercher très loin. Un bon coup de balai s’impose. quant on voit que la Lauvergeon pourrait devenir ceo d’eads on se demande dans quel pays on vit. Si l’état français fait faillite ce sera une bonne occasion de se débarasser de la parite du secteur privé qui vit à ses crochets.

    Répondre
  • Sirius

    29 janvier 2013

    Cher CG,
    Merci pour cette analyse.
    Que recommander alors à l’entrepreneur français qui vend ses produits au Japon et qui va devoir s’adapter pour protéger son CA et son résultat tout en servant son client ?
    Si le yen baisse, les importations vont couter plus cher aux japonais qui ne manqueront pas de faire pression sur les prix pour répercuter une partie du change…
    une stratégie de couverture ? facturer en Yen et vente à terme ?
    Autre idée ?
    Intéressant business case !!
    Merci

    Répondre
  • VXLV

    28 janvier 2013

    Vous constatiez déjà l’impéritie de la BOJ dans votre livre « Des lions menés par des ânes » rédigé il y a une bonne dizaine d’années…
    Rien de nouveau donc sous le soleil (levant) sauf qu’apparemment un homme politique japonais décide d’en finir avec cette orthodoxie financière si contraire aux besoins de ses administrés…
    Pourquoi voulez-vous que les hommes politiques français se soucient si peu que ce soit d’un tel bouleversement en germe des positions commerciales actuelles ?
    Uniqlo ne s’étant pas (encore) lancé dans la production de marinières bretonnes, il n’y a pas de concurrence frontale à redouter entre industrie française et japonaise…
    Le mariage pour tous est bien plus palpitant à gérer…

    Répondre
  • charlesM

    28 janvier 2013

    Bonjour Monsieur Gave
    J ai l impression que cette guerre des devises entre yen et $ – £ , plus le « dragui put » est en train de pousser des grosses masses de capitaux à venir chercher les rendements élévés en € et de surcroit garantis par la BCE. Tout cela devrait faire s’envoler l’€ et nous flinguer encore plus. Je me trompe?
    Cdlt

    Répondre
  • Martin T

    28 janvier 2013

    Très bonnes remarques Monsieur Gave,

    Je rajouterai que depuis Octobre la corrélation entre le Nikkei, l’Itraxx Japan (indice risque pour 100 sociétés japonaises) et le Dollar/JPY est proche de 1

    Le Nikkei est passé de Octobre a aujourd’hui de 8500 a 10800, dans le même temps l’indice de risque crédit Itraxx Japan est passé de 223 bps sur 5 ans à 135 bps, quand le dollar/yen est passé de 78 à 90.70.

    Par conséquent, jouer le rebond du Nikkei en exposition « euro » a été pour ceux qui l’ont joué depuis Octobre, et continue à le jouer, une stratégie intéressante.

    Cordialement,

    M.

    Répondre
  • Xavier DRIANCOURT

    28 janvier 2013

    Eviter la déflation et pour cela faire preuve de laxisme monétaire fut la recette de la BOJ durant une ou deux décennies précédent la crise occidentale. Elle n’amena rien de bon. La BOJ baissa ses taux d’intérêts si bas qu’il devenait rationnel pour toute la planète, Islande en tête, d’en emprunter en masse.

    Le Japon est aux 1ères loges de l’arrivée de l’immense Chine dans la compétition internationale, et aussi de l’immense Inde. Sans doute dut elle subir plus précocement que nous cette pression structurelle sur la compétitivité internationale, qui se poursuivra tant que les niveaux de consommations des PNI n’auront pas compensé leurs gain de productivité. En outre les premières hausses de ladite consommation se sont faits sentir sur la matières énergétiques, dont le japon comme l’Europe sont cruellement dépendants. Les hydrocarbures de schistes sont en train d’adoucir cette équation.

    Ce qui marque structurellement le paysage monétaire du Japon est l’hyper endettement de sa puissance publique envers ses citoyens. Cet endettement double du PIB accompagné de contraintes réglementaires et de pressions politiques sur le système bancaire japonais ne sera pas remboursé sans perte de pouvoir d’achat. Plusieurs solutions désagréables s’offrent ainsi aux électeurs japonais, venant toutes grignoter l’épargne des (jadis baby) papy boomers. La fin de la relative gratuité du système de santé étatisé en serait une variante. L’inflation en est une autre.

    Répondre
  • roger duberger

    28 janvier 2013

    Cher Mr Gave,
    Merci pour cet article très instructif et de bon conseil.
    Il y a une petite coquille au début : c’est 160 yens par euro. ça ne nuit pas à la compréhension.
    Cordialement

    Répondre

Me prévenir lorsqu'un nouvel article est publié

Les livres de Charles Gave enfin réédités!