Nouveau départ pour la France mondiale
L’annonce simultanée, par le Sénégal et le Tchad, de la fermeture des bases françaises, a sonné une partie du camp militaire et politique. Cette annonce marque la fin de la présence coloniale française en Afrique, une période ouverte dans les années 1880 et qui n’a cessé de perdurer, même après les indépendances officielles.
De bases militaires françaises en Afrique, il ne va plus rester que la Côte d’Ivoire et le Gabon, où les effectifs vont être fortement réduits. Ce n’est qu’une question de temps pour que la France quitte aussi ces deux pays. Restera alors Djibouti, dont le modèle économique repose sur la location de territoire aux puissances étrangères. La France y est présente, comme le Japon, la Chine, l’Italie, les États-Unis… Il est peu probable que Djibouti change de modèle économique dans les années qui viennent.
Une fermeture et un choc
Cette fermeture est un choc pour une partie du camp militaire qui a vécu de l’Afrique, a rêvé des Opex, y a vu une continuité de la tradition française en matière d’interventionnisme. C’était le mythe de la Coloniale et du saut sur Kolwezi, mythes qui appartiennent désormais à l’histoire. Mais pour l’armée de Terre, c’est une crise existentielle qui s’ouvre pour elle et une remise en cause des raisons mêmes de son recrutement. Un militaire est là pour mener des opérations, non pour s’enterrer à Balard ou à l’École militaire, fut-il habillé en treillis. S’il n’y a plus la possibilité de mener des opérations extérieures en Afrique, c’est le sens même de la carrière de nombreux officiers qui va être posé.
Au Tchad, la France menait des opérations depuis 1983. Au Sénégal et en Côte d’Ivoire, la présence française se perd dans la nuit des temps des débuts de la colonisation. Ce qui va poser un grave problème de recrutement pour les jeunes officiers, dont beaucoup quittent l’armée après Saint-Cyr, pour des métiers plus porteurs et plus rémunérateurs.
Ce départ, bien que prévisible, oblige à une réflexion profonde sur le sens des missions de l’armée de Terre.
Révision de la doctrine
C’est aussi toute la doctrine stratégique française qu’il va falloir revoir, pour des analystes et des penseurs qui avaient fait de l’Afrique leur seul point de mire.
Ce départ militaire ne fait pourtant que suivre le départ du monde économique : que Bolloré vende ses participations dans les ports africains, que la Société Générale ferme ses guichets et abandonne le continent auraient déjà dû conduire les politiques français à s’interroger sur la pertinence de la présence africaine. Le départ des marchés précède le départ politique.
Mais mus par un mélange de colonialisme, de paternalisme et d’intérêts personnels, ils n’ont pas voulu voir que le monde d’aujourd’hui était différent de celui des années 1960.
Les échanges commerciaux entre la France et l’Afrique noire représentent à peine 25 Mds € annuels, quand ceux avec la Belgique se montent à 110 Mds €. Pour l’économie française, et pour les entreprises, la Belgique est beaucoup plus importante que le continent africain. C’est bien en Europe que se joue l’avenir de la France, dans ses échanges avec la Belgique, l’Italie et l’Allemagne, ainsi qu’en Asie et en Eurasie. Pas en Afrique, qui fut et reste un miroir aux alouettes.
Mus par un glaucome géopolitique qui provoque, depuis plusieurs années, une cécité intellectuelle, les analystes français n’ont pas compris que le monde avait changé.
On le voit en Syrie où ceux qui connaissent le pays, comme le géographe Fabrice Balanche, avaient annoncé l’offensive d’Alep. La Syrie, un ancien mandat français où la France a perdu toute influence par l’accumulation d’erreurs diplomatiques.
On le voit en Asie, où l’influence française au Vietnam est proche du néant, où la Chine est mal pensée, où le monde indonésien est quasiment inconnu. Désireux de prolonger l’aventure coloniale africaine, sous des formes actualisées, politiques et chefs militaires n’ont pas vu que le monde a changé.
Quitter l’Afrique : une chance pour les outre-mer ?
La France n’est pas une puissance africaine, c’est une puissance mondiale. C’est le pays des 13 fuseaux horaires, qui s’étend du Pacifique à la mer des Caraïbes. C’est là que résident les leviers de la puissance française, son originalité et sa distinction par rapport à ses concurrents. Des outre-mer qui ne sont jamais pensés autrement que par le traitement social.
Le 25 septembre 2024, auditionné en commission à l’Assemblée nationale, le chef d’état-major des armées a tenu des propos à la fois justes et inquiétants. Il a ainsi affirmé que la France n’était pas taillée pour protéger la Nouvelle-Calédonie en cas de conflit. En clair, les habitants de Nouvelle-Calédonie, qui sont Français, qui ont voté à trois référendums de suite pour rester Français, qui payent des impôts à la France, ne peuvent pas être protégés par leur pays. Des propos lucides du CEMA, qui sont un appel clair à former ses propres milices et à assurer sa sécurité de façon privée. On l’a d’ailleurs constaté quand la route reliant Nouméa au Mont-Dore (15 000 habitants) fut coupée plusieurs semaines par des bandes armées, empêchant toute communication et sans réaction de la gendarmerie, pourtant stationnée en masse en Nouvelle-Calédonie. Visiblement, les détachements de gendarmes n’ont pas reçu l’ordre de protéger la population française et d’assurer sa sécurité.
Cette fermeture des bases renvoie au problème lancinant de la sécurité intérieure. Difficile de prétendre sécuriser le Mali, la zone des trois frontières et le Tchad quand la France ne tient pas ses territoires d’outre-mer, que ce soit la Nouvelle-Calédonie, la Martinique et la frontière entre la Guyane et le Brésil.
Frédéric Bastiat, déjà, s’opposait à l’aventure coloniale en estimant que l’impôt des Français devait servir aux Français. La question est de nouveau posée. Pourquoi maintenir l’Agence française de développement (AFD) quand tant d’espaces français souffrent de sous-équipements ? Pourquoi maintenir une aventure coloniale africaine quand les outre-mer ne sont pas mis en valeur ?
À cet égard, la décision du Sénégal et du Tchad est une bonne nouvelle. Elle va obliger, espérons-le, à une remise en cause stratégique. Elle va surtout étouffer la mentalité coloniale qui demeure encore dans l’humanitaire et dans les opérations militaires, en permettant de nouer des partenariats adultes et d’égaux à égaux entre la France et les pays qui en feront la demande. Que ce soit pour former des officiers, des troupes, pour assurer des missions ponctuelles de sécurité. Cela a déjà commencé depuis plusieurs années, il ne reste plus qu’à le développer et l’étoffer.
Auteur: Jean-Baptiste Noé
Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).
Van
4 janvier 2025Quelle tristesse ce que devient la France… A quel moment, nous, peuple français, allons nous réagir? Les dirigeants africains ont ce même réflexe de fermeture de leurs frontières; Aussi compréhensible soit-il, estce la solution pour l’avenir de l’humanité?
MadeInCH
11 décembre 2024Si l’afrique semble si importante, ce n’est pae pour la présence française en Afrique, mais à cause de la présence africaine en France.
Semper Fi
7 décembre 2024Une petite précision sur la Nlle Calédonie (et qui vaut aussi pour la Polynésie française) : les résidents ne paient pas d’impôts à la France… mais à la NC, qui comme la PF, est autonome fiscalement. Les transferts ne vont que dans un seul sens : en clair ce sont les contribuables de métropole et des DOM qui paient les fonctionnaires d’Etat, civils ou militaires, en place en NC.
Nasry Bakhache
7 décembre 2024Bravo Mr Noe pour cet article lucide, courageux et ouvrant des perspectives dignes des temps à venir
Clergeau
6 décembre 2024J’ai lu que Barrot fils de son père s était montré d une arrogance toute incroyable imposant plus que conseillant des lustres ´´inclusives.. pour les prochaines élections
Quand on voit l accueil qui a été réservé à notre ministre du lgbt on comprend
Louis Jean Sylvos
6 décembre 2024Vous oubliez la Russie, il faut oser se brouiller avec elle, si grande et depuis si longtemps notre alliée !
Robert
6 décembre 2024La France SE VEUT une puissance mondiale… Mais en a-t-elle encore les moyens, et même la volonté ?
Dans les faits, la France est une puissance moyenne, avec un lourd passif financier et de profondes difficultés internes, avec une classe politique totalement déconsidérée.
La France a, potentiellement, de nombreux atouts. Mais que fait-elle de ses talents ?
Nanker
5 décembre 2024« La France n’est pas une puissance africaine, c’est une puissance mondiale »
M. Noé dites cela aux journalistes de RFI! La radio française la plus écoutée dans le monde a, depuis Macron (encore une catastrophe à mettre au passif de notre génie…) décidé de se recentrer sur le continent africain.
Et ce alors que la vocation de RFI est d’être une radio MONDIALE!!!
Nous avons donc toutes les demi-heures une 1/2h d’informations exclusivement dédiées au continent africain, plus une heure quotidienne d’émission à bas QI consacrée au football (elle aussi visant les auditeurs d’Afrique).
Je suis à peu près certain que l’auditeur japonais ou péruvien a depuis longtemps abandonné RFI pour un média comme la BBC World Service… Une perte pour la France la francophonie et le rayonnement de notre pays au niveau mondial.
En 2027 RFI fera partie des chantiers de reconquête nationale (et pardon pour ce commentaire limite hors-sujet).
Jean CANTENOT
12 décembre 2024Soyons modestes et pragmatiques. Jean-François REVEL écrivait : « Depuis le temps que la France rayonne sur le monde, la planète aurait dû attraper une insolation »