19 octobre, 2017

Europe : les murs sont de retour

Lorsque le mur de Berlin fut abattu en 1989, beaucoup pensèrent qu’une période de paix infinie allait nimber l’Europe. La fin du mur annonçait la fin de tous les murs et la parenthèse de la mondialisation heureuse. Le terrorisme islamiste qui touche l’Europe depuis le milieu des années 1990 est pourtant en train de bouleverser la géographie des villes. Sans mot dire, celles-ci s’hérissent de nouveau de murs. Au nom de la sécurité et de la protection des populations civiles, les villes se barricadent et la liberté de mouvement est de plus en plus entravée. Ainsi se manifeste ce curieux paradoxe : refus des murs de protection à l’extérieur pour éviter à l’Europe d’être une passoire, mais construction de murs à l’intérieur comme réponse au défi terroriste. Le problème c’est que cela ne fait que limiter les conséquences et non pas traiter les causes. Car du terrorisme islamiste on ne voit pas la fin ni qu’une réelle action soit menée contre lui. Les barrières urbaines, provisoires bien entendu, risquent donc de s’ancrer pour longtemps dans les paysages.

 

Blois transformé en bunker. La semaine du 6 octobre dernier s’est déroulé le 20e festival d’histoire de Blois. Les organisateurs ont la bonne idée de le faire en centre-ville, entre la halle aux grains et les bâtiments attenants, ce qui permet à ce festival d’être véritablement ancré dans sa ville. L’histoire était bien au rendez-vous puisque nous avons assisté à un véritable retour dans le passé médiéval de la ville : haute-murailles et douves profondes, chevaliers armés contrôlants les allés et venus, fouilles des passants, c’est tout l’arsenal antique de protection des villes qui a été redéployé.

Ainsi le quartier du festival était clôturé de hautes barrières de fer obligeant les festivaliers à emprunter les trois portes disponibles. Contrôle systématique à l’entrée de la place, avec obligation de jeter les bouteilles d’eau. Des dizaines de CRS et de policiers nationaux parcouraient les rues, qui étaient elles-mêmes bloquées par des sacs de chantiers remplis de briques. On comprend que les organisateurs aient voulu éviter les voitures béliers et les attaques au couteau, mais jusqu’où faudra-t-il aller dans la fermeture des villes ? D’autant que les forces de l’ordre fixées sur un point manquent ailleurs pour assurer la sécurité, ce qui permet aux voyous d’en profiter pour faire des coups dans les autres quartiers.

 

Paris hérisse ses barricades. Les travaux ont commencé le 20 septembre et devraient durer un an. La mairie de Paris érige un mur de verre de trois mètres de haut autour de la tour Eiffel pour la protéger des attaques de balles. Seules quelques portes permettront d’entrer dans l’enceinte surveillée. Le coût des travaux est estimé à 20 millions d’euros. Là aussi, comme à Blois, on comprend tout à fait la volonté louable de protéger les passants et les touristes. Mais, encore une fois, c’est traiter la conséquence non la cause. Après la tour Eiffel, quel monument sera à son tour ceinturé ? Notre-Dame, qui fait l’objet de menaces persistantes ? Montmartre ? Pourquoi ne pas ériger un mur autour du Quartier latin pour protéger les étudiants ? On pourrait par ailleurs suggérer à Mme Hidalgo de prendre prétexte de protéger les Parisiens des voitures piégées pour interdire la voiture dans Paris. La sécurité et l’écologie pourraient ainsi s’allier dans les folies de l’édile.

Il est à craindre que ce mur ne soit le premier d’une longue série et que les villes se coupent de plus en plus. Au moment où l’on célèbre le vivre-ensemble, le nomadisme et les échanges, voilà que les métropoles séparent les quartiers et les populations.

 

Des murs de protection ou des murs anti-migrants ? Israël est l’un des premiers États à avoir établi un mur de protection le long de la frontière avec la Cisjordanie. Sa construction a commencé en 2002. Il devrait faire 700 km de long et 50 mètres de large, voire 100 mètres à certains endroits. Il est composé d’un fossé côté Cisjordanie avec une pyramide de fils barbelés, d’un grillage muni de détecteurs électroniques, de fils barbelés côté israélien et de routes pour les patrouilles militaires. En zone urbaine, le mur est composé de panneaux de béton. Ses opposants l’appellent mur de Berlin ou mur de la honte ; les personnes favorables le présentent comme une clôture de sécurité. En Amérique on trouve le célèbre mur séparant le Mexique des États-Unis. En Asie, il y a un mur entre les deux Corées, ainsi que des zones grillagées et murées entre la Thaïlande et la Birmanie. Protéger sa frontière est une constante de l’histoire, ce qui est nouveau en revanche c’est que cela se déplace dans les villes, pour se protéger d’un ennemi intérieur.

 

Les aéroports ou le règne du mur. Quiconque prend aujourd’hui l’avion sait que l’aéroport est le lieu le plus fermé et emmuré qui soit. L’espace est séparé entre ceux qui prennent un vol (salle d’embarquement) et ceux qui accompagnent (parties communes). Mais même les salles d’embarquement ont des séparations, entre les passagers tout venant munis de billets éco et les passagers munis de billets affaire ou première. La piste est un autre lieu clôt où ne va que certains membres du personnel. Tout comme les boutiques duty-free qui ont leur zone accessible à tous et les zones réservées aux personnels. Le transport en avion est probablement ce qui s’est le plus dégradé au cours des dernières décennies. Fouilles systématiques des passagers obligés de se déshabiller, interdiction de nombreux objets à l’intérieur de l’avion, limitation des bagages. Qui se souvient encore que dans les années 1980 la fouille était très légère et qu’il était possible d’emporter un petit couteau pour le pique-nique et bien sûr de fumer ? Dans Le clan des Siciliens, on peut voir une scène d’embarquement « à l’ancienne » qui se limite à un contrôle des passeports et des billets. Aujourd’hui, les aéroports sont des lieux cloisonnés et complètement séparés du reste de la ville. Certains lecteurs ont peut-être eu la chance d’aller passer un dimanche à Orly et de prendre un verre sur la terrasse en regardant décoller les avions. En 1965, on dénombrait 4 millions de visiteurs à Orly, venus pour la terrasse, les boutiques et les salles de cinéma. L’accès à la terrasse fut fermé en 1975, après que Carlos y ait organisé un attentat au lance-roquette sur un avion israélien.

 

Les murs invisibles des quartiers. Il est aussi possible d’ériger des murs sans panneau de béton et sans grillage. Dans certains quartiers des villes, ce sont des murs invisibles qui se dressent et que les habitants savent ne pas franchir. Zone du commerce de la drogue et du trafic d’armes, zone grise de la prostitution et de la violence, certaines zones se retranchent de la ville. Ces quartiers, comme ils sont nommés de façon pudique, sont sous la coupe d’une autre loi. Il peut arriver que ce soit les municipalités elles-mêmes qui érigent des murs pour s’en protéger. Ce fut le cas à Padoue en 2006.

 

Le mur de Padoue. Le 10 août 2006, la municipalité de la ville a érigé un mur grillagé de 3 mètres de haut et de 84 mètres de long tout autour d’un bloc d’immeubles habités par des populations immigrées. Le mur de la via Anelli devait protéger les populations du trafic de drogue et des attaques menées depuis ces immeubles. La mairie était alors dirigée par les anciens communistes rebaptisés Démocrates de gauche. L’opposition au mur vint de la droite et du parti Forza Italia alors dirigé par Silvio Berlusconi. Preuve que les murs peuvent faire tomber les habitudes politiques. Dix ans après, le mur est toujours là, mais les populations sont parties ailleurs et une partie des immeubles a été détruite.

 

Les murs écologiques. L’interdiction des voitures dans les villes est une autre façon de construire des murs, cette fois pour protéger de la population. Ce n’est plus le mur de la peste, construit dans le Vaucluse en 1720 par des populations soucieuses de se protéger de la peste sévissant à Marseille, mais cela y ressemble dans l’esprit. Ce sont d’autres miasmes que l’on cherche à maintenir au-dehors. Sauf que la pollution vient d’Allemagne et qu’elle passe par les airs. Les murs urbains sont souvent contournés par ceux qu’ils cherchent à éloigner. Nos terroristes n’auront pas de mal à trouver d’autres façons de sévir à Blois où à la tour Eiffel. En traitant les conséquences non les causes, les murs se révèlent souvent bien inutiles.

 

 

 

 

 

 

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

19 Commentaires

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  • sassy2

    22 octobre 2017

    Une intéressante histoire de béton est en ligne aujourd’hui!
    Avec le soutien de la BCE et de l’otan.

    « La quantité de ciment produite par Lafarge à Jalabiyeh et remise aux jihadistes est équivalente à celle utilisée par le Reich allemand pour construire la ligne Siegfried. Ce sont ces bunkers que l’armée de l’air russe est venue détruire avec des bombes pénétrantes.

    En 2013, Daech n’existait pas encore sous sa forme d’État non reconnu. Les jihadistes étaient divisés en de multiples groupes, mais leurs opérations militaires étaient coordonnées de facto par le centre de commandement des Forces terrestres de l’OTAN (LandCom) à Izmir (Turquie). Ainsi ont-ils pu bénéficier des conseils des ingénieurs de l’OTAN pour construire ces installations. »

    « Il importe de savoir que par le passé, Hillary Clinton avait été avocate, puis administratrice de Lafarge »

    http://www.europe-en-france.gouv.fr/Centre-de-ressources/Actualites/Le-FEDER-qu-est-ce-que-c-est

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  • bibi

    22 octobre 2017

    Les murs n’ont jamais disparu en Europe.
    Il y a celui qui sépare les catholiques et les protestants à Belfast.
    Il y a aussi la ligne verte à Chypre.
    Et le dernier en date financé en partie par le contribuable européen via cette maudite UE, à la frontière russe autour de Kaliningrad.

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  • JeanBon

    21 octobre 2017

    Parallèle très intéressant avec les viles medievales …

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  • Denis Monod-Broca

    21 octobre 2017

    « Le mur murant Paris rend Paris murmurant »
    Ce presqu’alexandrin anonyme date de l’enceinte des Fermiers Généraux édifiée entre 1784 et 1790.
    Rien de bien nouveau sous le soleil.
    Tous ces murs annoncent-ils une révolution ?…

    Mais, en effet, les pires murs sont sans doute ceux qui ne se voient pas. Ils sont les plus difficiles à faire tomber.

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  • Constance de Contraire

    21 octobre 2017

    Après les murs, les toitures?

    Si oui (risque d’attaque par drone armé), j’espère qu’ils n’oublient pas d’installer la climatisation… pour combattre le réchauffement climatique à l’intérieur.

    « Les dix mots les plus terrifiants de la langue sont : « Bonjour, je suis du gouvernement et je viens vous aider ».
    – Ronald Reagan

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  • Steve

    20 octobre 2017

    Bonsoir
    Vers la fin du XIX ème siècle, le premier recensé et le plus célèbre des navigateurs en solitaire, le capitaine Joshua Slocum, put faire le tour du monde à bord de son voilier avec pour tout document officiel une lettre de recommandation! Comme l’écrivait Victor Hugo dans Booz endormi: « Et tout ceci se passait dans des temps très anciens! »
    Un petit territoire cerné de murs, avec dehors des gens pas sympa, ce n’est ni une ville ni un pays, c’est très exactement, et ce depuis le XIV ème siècle, un ghetto!
    Quand toutes nos cervelles sont « bien à l’abri derrière des murs mentaux que nous avons érigés, nous voici bien dans des cavernes de Platon. Hic locus terribile est atque finis gloria mundi.
    Cordialement

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    • Aljosha

      20 octobre 2017

      Pecunius in amundi

  • François

    20 octobre 2017

    Merci pour mettre en évidence ce paradoxe ‘mur intérieur/extérieur’.
    On se demande parfois si tout cela n’est pas voulu pour nous habituer à une UE à ambition pseudo-totalitaire (barrières physiques érigées un peu partout à l’intérieur, accompagnées d’une surveillance des masses).
    Finalement tout cela me fait plus peur que le terrorisme, qui permet de justifier, pour les structures dirigeantes, une sécurité de façade au détriment des libertés. Mais où va-t-on?

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  • Guillaume_rc

    20 octobre 2017

    Une fois de plus merci pour cet article.

    Outre que je ne savais pas pour Padoue, merci à vous de rappeler que nos chers gouvernants s’échinent à s’attaquer aux conséquences et pas aux causes.
    Avec évidemment les résultats brillants que l’on sait

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  • Charles Heyd

    19 octobre 2017

    Moi je travaillais sur le « mur » qu’à décidé d’ériger l’Arabie autour du royaume;
    rien que sur la frontières nord (entre le Kuwait et la Jordanie, 900km de frontière à sécuriser!
    Sécuriser contre qui? Du jour au lendemain des tribus qui avaient l’habitude de pâturer sur des territoires indistincts se heurtent à des babelés!
    sur la frontière sud, vers le Yémen la partie a été plus ardue; en quelques semaines les snippers yéménites ont « descendus » des centaine de Saoudiens!
    je ne sais où en est ce programme de « souveraineté » mais je sais qu’une guerre faisant des centaines, pour ne pas dire des milliers de morts est toujours en cours dans l’indifférence générale.

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    • sassy2

      22 octobre 2017

      Bonjour, on ne peut pas savoir car c’est secret défense
      https://lightpics.net/i/ym0

      sauf si vous vous occupiez des virements

    • Charles Heyd

      22 octobre 2017

      je réponds à #sassy2 et #bibi
      pour #sassy2
      je n’étais en effet pas chargé des virements mais le document que vous mettez en lien n’est pas très parlant;
      j’ai un ami qui me dit qu’il a vu des valises entières de billets quitter l’Arabie (vers la France) mais moi je n’ai rien vu et probablement peu de peu de gens sont capables (et surtout désireux) de fournir la moindre preuve!
      pour #bibi
      c’est vrai que Kaliningrad est plus qu’un scandale!
      voici un territoire qui a quasiment servi de détonateur à la seconde guerre mondiale et où les Russes n’avaient jamais mis les pieds et n’auraient pas du mettre leurs pieds et voici qu’on a fabriqué un nouvel état « balte »!
      avec la complicité de qui?
      je sens que Macron va s’en occuper d’ici peu lui qui va « refonder » l’Europe!

  • Mironton

    19 octobre 2017

    Analyse pertinente.

    Je ne savais pas pour le mur de Padoue!

    Quant aux pistes des aeroports, comme l’a explique Philippe De Villiers, il faut etre djihadiste pour pouvoir y travailler et y acceder.

    Aux US, ou la stasi TSA ne respecte plus rien (ni les biens, ni les personnes (cf. les fouilles des cavites genitales!!)), et qui cree des files d’attente monstrueuses (pour un resultat qui est connu comme nul), les gens se remettent a prendre la voiture pour voyager inter-US. Resultat: une augmentation des morts sur la route. Encore une brillante victoire de canard!

    N’oublions pas aussi le mur de la frontiere qui retient les nuages radioactifs (sans doute parce qu’il n’etait pas hallal).

    Il y a aussi et surtout le mur autour du 7e arrondissement qui permet de rester hors-sol et sans contact avec la realite.

    Répondre
  • sassy2

    19 octobre 2017

    Et nous sommes du mauvais côté du mur (de Berlin).

    Un « curieux paradoxe » ahahaha concomitant à l’apparition des mots « ouverture », « ville monde » -attali- ou « enrichissement culturel » ou « réchauffement climatique » ou « transition énergétique » au sein du dictionnaire inclusif.

    Les blagues les plus courtes sont les meilleures: n’importe quelle armée peut supprimer l’immigration de migrants en deux semaines et inverser les flux définitivement.
    Depuis les romains et jusqu’à De Gaulle il y eu 0 mur (sauf Hadrien?)
    & aucune immigration non sollicitée pour abaisser les coûts salariaux ou renflouer une banque centrale.

    Pendant que la Turquie était occupée à faire de la traite négrière avec des zodiacs ou des matelas pneumatiques, pour le compte de la BCE et de Merkel, l’otan s’est précipité au nord de la Pologne.
    Et hollande s’est dépêché d’échanger deux Mistral assez utiles dans pareil cas à l’Egypte (contre ? plus de migrants?).
    Pourquoi Poutine n’a t’il pas alors envahi l’europe avec des matelas pneumatiques par le Sud?

    Les migrants sont là car la BCE et l’otan l’ont décidé: et c’est leur problème.

    Répondre
    • Mironton

      19 octobre 2017

      > Les migrants sont la car la BCE et l’otan l’ont decide: et c’est leur probleme.

      Je peux vous dire que, au jour le jour, c’est mon probleme!!

      Vive la remigration!

  • Sarcastik

    19 octobre 2017

    Vous avez oublié le plus infranchissable : le mur fiscal, qui barre l’horizon de notre liberté. 😀

    Répondre
    • Jean-Baptiste Noé

      20 octobre 2017

      Le mur fiscal qui fait tout pour nous empêcher de partir.

    • Sarcastik

      20 octobre 2017

      Dans cet esprit, votre passage sur les murs invisibles est à mon humble opinion, excellent !

      Parce qu’un mur visible a au moins le mérite de la clarté, de poser une distinction qui peut faire débat.

  • Garofula

    19 octobre 2017

    Les murs qui empêchent les individus de sortir ne peuvent être confondus avec les murs qui empêchent les individus d’entrer. Mais cela ne renseigne que partiellement sur leur légitimité, qui a certainement quelque chose à voir avec la liberté et la propriété privée.

    « du terrorisme islamiste on ne voit pas la fin » : bientôt 1400 ans que ce terrorisme endeuille le monde.

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