30 janvier, 2020

Virus et épidémies : le temps de la mort

La nouvelle épidémie de coronavirus en Chine rappelle la fragilité de l’homme face aux virus, microbes et bactéries qui peuvent le tuer en nombre plus important qu’une guerre. L’Europe a été frappée par de nombreuses vagues épidémiologiques ; une grande partie venant d’Asie. Peste noire, choléra, grippe espagnole, etc. ; les raisons de mourir n’ont pas manqué.

 

1347 : la peste noire

 

La première épidémie frappa l’Europe de 1347 à 1352. Selon les régions, elle tua entre 30% et 50% de la population, parfois plus. Le nombre de morts est estimé à 25 millions pour une population qui en comptait environ 60 millions. On imagine l’effroi et la terreur provoqués par cette maladie soudaine et brutale, arrivée par un bateau génois dans les ports italiens. Il était alors impossible de l’arrêter, si ce n’est de fuir. C’est ce que fit Pétrarque, qui fut l’un des premiers à gravir le mont Ventoux et à relater son ascension. Laure de Sade, sa muse et bien-aimée, mourut de la peste en 1348, ainsi que son fils quelques années plus tard. Le poète en demeura inconsolable. Dans les villes s’entassaient les cadavres, les pauvres qui ne pouvaient pas fuir, les rats et les animaux errants à la recherche des corps. Une situation de désolation et de stupeur que l’on retrouve dans les chroniques de l’époque où les moines essayent de donner une signification rationnelle à ce mal soudain s’abattant sur les villes. Guillaume de Nangis essaye de donner une rationalité à ce mal, mais il s’interroge : malédiction de Dieu ou bien épidémie naturelle ? La peste, qu’elle soit bubonique ou pulmonaire, ne devait pas quitter l’Europe, mais rester sous la forme de foyers épisodiques et ressurgir régulièrement.

 

L’épidémie bouleverse les empires. La chute de Constantinople, en 1453, est provoquée par plusieurs facteurs, dont la maladie, qui a fortement affaibli les populations. La bactérie causale de la peste, Yersinia pestis, ne fut isolée qu’en 1894. À partir de là, il était possible de traiter la maladie. Entre temps, le moyen le plus sur était encore la fuite à la campagne et d’isoler les villes, comme à Marseille, en 1720.

 

Cette année-là est la dernière épidémie violente pour la France. Le Régent, Louis XV étant mineur, fit encercler Marseille avec interdiction d’en sortir et placement de la troupe pour neutraliser les récalcitrants. Une mise en quarantaine nécessaire pour éviter la propagation du mal. Marcel Pagnol raconte cette histoire dans un chapitre du Temps des amours, quatrième volet de ses souvenirs d’enfance. Un quartier de Marseille s’isole et se fait passer pour morts pour éviter la contamination. Les habitants ne sortent qu’au bout de plusieurs jours, quand l’épidémie semble passer, mais se heurtent aux gardes qui empêchent les sorties. Nous sommes loin de la Provence joyeuse des autres pages de Pagnol. Ici, c’est la mort, des scènes de désolation, une ville vidée, comme en temps de guerre, des habitants qui ont peur et qui, menés par l’instinct de survie, tentent tout pour échapper au mal. La moralité, la vertu et l’honneur disparaissent, happés par la peur, la détresse et l’instinct de survie. Non seulement les corps meurent, mais les âmes s’avilissent et la barbarie renaît. Dans ces temps d’épreuves et de destructions, la vilénie de l’homme ressurgit, ajoutant du gouffre au désastre.

 

On recherche un bouc émissaire, qui désigne souvent un groupe minoritaire ou des catégories sociales en marge. L’épidémie fait renouer l’humanité avec les rites les plus archaïques. Le vernis de civilité saute, laissant à la place à la barbarie. L’épidémie bouleverse l’ordre politique et peut servir de base à des révolutions.

 

À la peste s’ajoutent la dysenterie, les fièvres, la grippe, les maladies dues à l’eau. Notre monde aseptisé et vacciné a oublié à quel point la mort a longtemps été le lieu commun de l’humanité. On peut regretter l’hygiénisme trop présent d’aujourd’hui, il n’empêche que nombreuses sont les maladies autrefois mortelles qui sont aujourd’hui bénignes.

 

1832 : le choléra

 

L’épidémie de choléra est partie de l’Inde et du bassin du Gange. Les populations utilisant des matières fécales comme engrais, cela a engendré des bacilles qui se sont ensuite transmis en Europe, où il arrive en 1831 et en France en 1832. Entre mars et septembre 1832, ce sont près de 19 000 personnes qui meurent à Paris. Ceux qui le peuvent fuient pour se retirer à la campagne et accéder à des sources d’eau non polluée. Casimir Perrier et le général Lamarque en meurent, ainsi que Hegel et Charles X, exilé en Autriche. L’épidémie se diffuse dans tous les pays d’Europe, sans qu’il soit possible de l’éviter. Près de 20 000 morts en quelques mois rien qu’à Paris ; peut-on imaginer le choc psychologique que cela a représenté pour les populations.

 

Pour y remédier, Louis Philippe puis Napoléon III se sont lancés dans de grands travaux d’assainissement et ont rénové l’urbanisme des grandes villes. Les égouts et la gestion des ordures ont également été révisés afin d’améliorer la qualité des villes. Si Napoléon III et Hausmann ont percé de larges avenues, ce n’est pas pour réprimer les manifestants, comme il est trop souvent répété, mais pour rendre la ville plus salubre, limiter les concentrations de populations et pour créer de vastes parcs où prendre l’air afin de développer l’hygiène.

 

Le hussard sur le toit de Jean Giono raconte cet épisode de l’infection de choléra en Provence et dans la ville de Manosque. Même romancée, sa description de la maladie et des malades témoigne de la force de cette épidémie.

 

1919 : la grippe espagnole

 

L’épidémie de grippe qui a touché l’Europe et le monde durant l’hiver 1918-1919 est la plus importante des pandémies mondiales. Elle a causé la mort de plus de 60 millions de personnes, ce qui en fait à ce jour l’épidémie la plus mortelle, devant la peste noire. Du fait des moyens modernes de communication, elle a sévi sur tous les continents et a touché tous les types de populations. On l’appelle « grippe espagnole » parce que l’Espagne est l’un des rares pays à avoir parlé de cette maladie. Les autres ne l’ont pas évoquée, du fait de la censure qui sévissait encore en Europe. Pourtant, cette épidémie n’a rien d’espagnol. Ce virus de la grippe est une souche H1N1 qui est probablement apparue en Asie. En l’état actuel des connaissances, les scientifiques estiment qu’elle est originaire des poulets et que le virus souche aurait ensuite muté pour se propager à l’homme. Le virus est arrivé aux États-Unis, puis en Europe, accompagnant les soldats américains. Il a fait plus de 400 000 morts en France, ce qui est plus important qu’une année de combat de la Première Guerre mondiale.

 

Parmi les victimes célèbres, on recense le sociologue allemand Max Weber, Guillaume Apollinaire, Edmond Rostand ou encore Egon Schiele, qui eut à peine le temps, avant de mourir, de peindre un tableau le représentant avec son épouse et son enfant, alors que celle-ci venait de mourir, enceinte de six mois. Les conséquences à long terme furent également très importantes. L’épidémie accrut l’existence des classes creuses, déjà causées par les ravages de la guerre. Les médecins constatèrent que celle-ci affaiblit les organismes, si bien que de nombreuses personnes décédèrent dans la décennie suivante des suites du virus, notamment des femmes lors de leur accouchement. C’est pourquoi les recherches les plus récentes estiment à presque 100 millions le nombre de morts causés sur le long terme par cette épidémie.

 

Les services de santé furent débordés par le nombre de malades. Aux États-Unis, il fallut créer des hôpitaux de fortune, dans des tentes et des baraquements, pour pouvoir accueillir les victimes : près de 40% de la population fut touchée par ce virus, avec un taux de mortalité de 5%. Les mêmes taux se retrouvent à travers le monde. Non seulement le taux de mortalité est plus élevé que pour une grippe classique, mais, du fait de sa forte contagion, beaucoup plus de personnes sont touchées par le virus. D’où le débordement des services sanitaires et des mesures drastiques prises en matière d’hygiène : port obligatoire d’un masque dans les transports, surveillance accrue des populations à risque.

 

La grippe engendra également des complications médicales. Beaucoup moururent des suites d’une pneumonie ou d’une complication bactériologique due à l’affaiblissement des défenses immunitaires. Cela s’explique par une médecine moins performante qu’aujourd’hui (pas d’usage des antibiotiques), par une moindre couverture sanitaire et une désorganisation des pays d’Europe du fait des destructions de la guerre et par un affaiblissement des populations sortant de cinq années de conflit. La conjonction était parfaite pour engendrer une pandémie planétaire causant de très nombreux décès.

 

Cela explique peut-être également la faible mémoire de cette épidémie. Certes, le nom de grippe espagnole est resté dans les esprits, de façon impropre d’ailleurs, mais on a oublié à quel point cette épidémie fut terrible. Est-ce un moyen de défense pour oublier un événement dramatique de l’Europe et du monde ? Il est vrai aussi que cette épidémie pèse peu face à l’omniprésente mémoire du premier conflit mondial.

 

La SDN créa toutefois un organisme de santé et de surveillance médicale mondiale, qui devint ensuite l’OMS. L’homme essaye toujours de s’adapter et de prévenir les risques auxquels il peut être confronté.

 

Les maladies coloniales

 

Autres types de maladies dues aux virus et aux bacilles, celles qui touchèrent les colons arrivant en Afrique et en Inde. Le taux de mortalité des missionnaires, dans les premières années des missions, est proche de 40%. Les fièvres, les épizooties, la mouche tsé-tsé eurent raison des bonnes volontés. Civils et militaires, ils furent nombreux à mourir dans les marécages de la Mitidja ou du fleuve Sénégal. Il fallut leur abnégation au travail pour assécher ces marécages et trouver des remèdes à ces maux, ce qui servit les Européens et les populations locales. On doit aux tentatives de soin le développement de produits pharmaceutiques devenus désormais des apéritifs, comme le Picon et les boissons à base de quinine. Elles furent développées pour soigner les fièvres et prévenir des infections de l’eau. Et il y eut bien sûr les découvertes de Louis Pasteur et le développement des vaccinations.

 

Notre monde d’aujourd’hui a rejeté la mort ; et c’est tant mieux. Personne n’a envie de revivre la mortalité du choléra ou de la grippe espagnole. L’hygiène, la science, les progrès de la médecine, les transformations urbanistiques ont contribué à cette nette amélioration des conditions de vie. À ce titre, notre monde est une exception dans la longue histoire de l’humanité.

 

 

 

 

 

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

7 Commentaires

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  • Vauban

    2 février 2020

    Excellent article qui évoque les suites de l’attaque virale de la grippe y compris plusieurs années après l’épidémie! On parle très peu de la grippe en France, du nombre de victimes, comparativement aux sujets d’ingénierie sociale comme la durée du congrès suite au décès d’un enfant… à rapprocher de la mortalité infantile en France pour en évaluer le coût, la pertinence, à mettre en rapport du battage médiatique sur le sujet…

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  • Emmanuel

    2 février 2020

    Pas un mot sur la peste de Justinien ?
    Il y aurait beaucoup a développer sur le basculement de civilisation. C’est à ce moment que l’Europe tourne le dos à la méditerranée et que les rois francs, germains et anglo-saxon s’affirment.

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  • Emmanuelle Gave

    1 février 2020

    NOTE A TOUS LES COMMENTATEURS

    Parfois, certains commentaires passent à la trappe. Ce n’est pas de NOTRE FAIT. Si un commentaire ne passe pas directement, c’est à dire que vous faites « envoyer » et il n’apparait pas c’est @wordpress pas nous , institut des libertés.

    Nous, c’est quand un commentaire disparait. Ce qui arrive parfois quand des commentaires contiennent des insultes, des dénigrements ou sont proprement stériles comme “tu n’as rien compris” etc. Ce genre la n’est pas de libre expression mais du “je viens vomir dans ton salon” et je trouve que chacun est libre de vomir mais alors chez soi. Pas chez nous.

    Nous sommes désolés pour ceux qui ont des commentaires disparus et je vais de ce pas pousser mes recherches mais ils ne sont pas retenus pour ce que je vois de mon coté donc je vais écrire à WordPress. Je ne sais pas ce qui se passe mais croyez bien que ce n’est pas la politique de l’institut des Libertés. Sauf cas juste expliqués avant, nous ne pratiquons pas de censure a priori, ni sur le fond ni sur la personne et nous n’avons pas de chouchous, c’est promis aussi.

    Tant que votre langage est courtois et qu’il ne met pas en avant des crimes de guerre etc etc, de la violence ou une incitation à la haine quelconque ce qui n’arrive quasiment jamais de mon expérience ici nous publions.

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  • Ockham

    31 janvier 2020

    La passé est une leçon d’avenir. Effectivement la médecine a beaucoup progressé mais il reste le plus dangereux depuis longtemps qui fauche au hasard avec pugnacité surtout en Afrique insouciante : le paludisme.

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  • Jepirad

    31 janvier 2020

    La psychose semble s’installer avec le nouveau virus chinois, mais en France la grippe touche annuellement 2 à 6 millions de personnes et fait 10 000 morts selon les autorités sanitaires. Et cela dans l’indifférence la plus totale. Alors cool…

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  • PHILIPPE LE BEL

    30 janvier 2020

    Bonne piqûre de rappel…. ah, ah, ah !!! ; ))

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  • Huger

    30 janvier 2020

    Oui, merci pour ce rappel historique.
    Mais ce qui menace davantage l’humanité, ce sont les idéologies, les abus de pouvoir, le mensonge.
    Il faut savoir raison garder
    https://youtu.be/qoBoryHuZ6E
    Pour le reste, se rappeler que Greta Thunberg (mintagne de Thunes?) est le visage grimaçant d’un constructivisme économico-financier autant que politique, hostile aux polulations: « Je veux que vous pqniquiez!»

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