16 avril, 2021

Terrorisme : la pauvreté n’y est pour rien

Face aux actes terroristes qui s’additionnent, beaucoup pensent que le terrorisme serait dû soit à la pauvreté soit à l’ignorance, sans que l’on sache si cela relève d’une véritable illusion sur ce qu’est le terrorisme ou d’une volonté de ne pas voir en face cette réalité afin de se rassurer quant à ses développements.

 

Face au terrorisme, le premier danger est celui de la réification. Le terrorisme n’est pas une chose et nous ne sommes pas en guerre contre lui. Le terrorisme est une action menée par des personnes en vue d’obtenir une finalité. Il peut s’agir de poser des bombes, comme en Corse, d’attaquer Westminster comme l’IRA, ou d’égorger des passants, comme les djihadistes. Le terrorisme est une action et un moyen et à ce titre il est stupide de dire que nous sommes en guerre contre le terrorisme, pas plus que nous ne serions en guerre contre les couteaux ou contre les bombes. Dire cela est une façon efficace de refuser de nommer notre ennemi et les raisons pour lesquelles celui-ci nous attaque.

 

Terroriste parce qu’idiot ?

 

Comme nous refusons de voir et de nommer les choses, nous nous rassurons en pensant que le terrorisme est forcément le fait d’imbéciles et de fous. Ce ne serait pas le choc des civilisations, mais celui des incultures et des ignorances. Il n’y a qu’à lire le communiqué de presse de l’EI après les attentats de 2015 pour se rendre compte que nous n’avons pas à faire à des incultes. Ceux-ci savent écrire et rédiger et ils connaissent très bien l’histoire de France et de l’Europe. Il en a toujours été ainsi. Ni les frères Castro ni Ernesto Guevara ni les nihilistes russes du XIXe siècle n’étaient des idiots. Cela ne veut pas dire que parmi ceux qui tirent tous sont des lumières, mais parmi ceux qui pensent et qui planifient les actions, nous avons toujours des personnes intelligentes, capables de raisonner et de réfléchir. Il en va de même parmi ceux qui ont rejoint les rangs de l’EI : beaucoup sont des personnes intelligentes et diplômées.

 

Terroriste parce que pauvre ?

 

L’autre idée fausse est de voir dans le terroriste un damné de la terre qui exprime ainsi son mal être et sa révolte face aux inégalités insupportables. On ne peut pas dire qu’Oussama Ben Laden, fils de l’une des plus grandes familles d’Arabie Saoudite, soit à proprement parler un prolétaire. Les meneurs des mouvements terroristes d’extrême gauche des années 1970-1980 sont des fils à papa de la bourgeoisie, que ceux-ci fréquentent Action directe ou Fraction armée rouge. Il faut du temps libre et de l’argent de poche pour faire le terroriste. Le fils d’ouvrier est trop occupé à gagner son pain à Billancourt. Il a beau essayer de se faire passer pour un fils du peuple, le terroriste politique a très souvent une cuillère en argent dans la bouche. La thèse marxiste selon laquelle la révolte est le fruit de la pauvreté ne tient pas, ni pour 1789 ni pour les révoltés d’aujourd’hui. C’est toujours la bourgeoisie qui fait la révolution, même si elle est assez maligne pour donner l’impression que c’est le peuple, ou plutôt qu’elle le fait au nom du peuple. En mai 68, les enfants du peuple étaient chez les CRS, pas chez les étudiants qui jouaient la révolution. Il en va de même aujourd’hui avec l’islamisme. Que ce soit au Sahel, au Mozambique ou au Burkina Faso, les chefs djihadistes sont des chefs de tribus et des personnes issues des ethnies dominantes.

 

L’argument selon lequel le terrorisme sera vaincu par le développement est une idée erronée. D’une part parce que la pauvreté n’est pas la cause de ces mouvements révolutionnaires, d’autre part parce que le terrorisme, en tant que chose, n’existe pas. Le terrorisme est un outil, une arme, non une bête existante que l’on pourrait combattre. Ce sont les projets révolutionnaires qu’il faut combattre, qu’ils utilisent ou non le terrorisme. Mener la guerre « contre le terrorisme » a donc autant de sens que mener une guerre contre les kalachnikovs ou les Famas.

 

Le révolutionnaire et le voyou

 

La question de l’usage du terrorisme bute sur la non-distinction qui est faite entre le révolutionnaire et le voyou. Un révolutionnaire est une personne qui a un projet politique et qui mène, éventuellement, une action armée, parfois terroriste, en vue de renverser l’ordre établi pour en édifier un autre. Le révolutionnaire est un intellectuel, un romantique et un homme d’action. Un intellectuel, parce qu’il pense et qu’il porte une idée, un romantique parce qu’il croit que cette idée peut s’incarner, un homme d’action parce qu’il est prêt à mourir pour son idée. Un idéologue qui n’est pas prêt à mourir pour défendre son idée n’est pas un révolutionnaire, mais un intellectuel aux mains blanches. Le révolutionnaire est à la fois un rêveur et un homme courageux, capable de tuer et d’être tué. C’est le cas des frères Castro et de Guevara, de Pierre Goldman, de Ben Laden, d’un grand nombre de dirigeants de l’IRA. Ce sont tous des gens éduqués, souvent issus de grandes familles et à l’aise financièrement. Bien loin donc des préoccupations financières.

 

Le voyou est un cas différent. C’est une personne qui vit de razzias et d’attaques soudaines, qui s’en prend aux lieux de richesse, qui vit de trafics. Le voyou peut maquiller son action d’idées révolutionnaires, il peut même travailler avec le révolutionnaire, mais il n’est pas un révolutionnaire. Il ne cherche pas à renverser l’ordre existant pour en mettre un autre, mais à se nourrir sur la bête. Il a au contraire absolument besoin de l’ordre existant, car si celui-ci venait à disparaitre le voyou n’aurait plus de lieux à voler. Le voyou se retrouve aujourd’hui chez beaucoup de « jeunes » vivant de trafics, de vols et de rapines. La question de l’islam est secondaire chez eux, même si elle peut donner un peu de grandeur à un quotidien assez terre à terre. C’est gens ne sont pas pauvres : le trafic de drogue, la prostitution, le trafic d’armes rapportant beaucoup, d’autant qu’ils peuvent être cumulés avec des aides sociales tout à fait légales. Ce n’est pas parce qu’ils vivent dans des habitants dégradés qu’ils sont pauvres. Leur vie est par ailleurs très stimulante et active. Vivre de trafics est plus exaltant que de passer de longues heures assis à une table dans un collège ou un lycée. On gagne beaucoup d’argent et on est quelqu’un. Raison pour laquelle tous les plans de la « politique de la ville » ont échoué, car on a voulu traiter par de l’argent un sujet qui n’est pas financier.

Ces personnes-là ne cherchent pas non plus à renverser l’ordre existant. Les peurs sur « l’embrasement des banlieues », « les émeutes dans les quartiers » ou encore les « atteintes à la République » demeurent des fantasmes. Ce sont les révolutionnaires qui veulent provoquer le grand soir et remplacer la république par autre chose, pas les voyous. Les voyous attaquent quand ils sont attaqués : un car de CRS qui fait peur aux clients, une descente de police qui empêche les trafics, etc. Quand il y a des émeutes, c’est pour chasser l’étranger avant d’être tranquille pour réaliser les trafics. Ce peut être aussi une façon de jouer en attaquant les pompiers ou des représentants de la France ; une sorte de jeu du chat et de la souris à taille réelle. Certes quelques voitures brûlent, mais cela est fait pour marquer un territoire, non pour l’étendre. Nous sommes ici dans le domaine du crime et de la criminalité, pas dans celui du terrorisme et de l’action révolutionnaire. Les caïds des « quartiers sensibles » ne sont pas des agents de l’IRA, de l’ETA ou des Farcs : ils n’ont pas de projet politique.

 

L’usage du voyou par le révolutionnaire

 

Le révolutionnaire peut les utiliser, voire les manipuler, pour profiter de leur vigueur, de leur naïveté, de leur jeunesse. Mais pour l’instant, en France, le projet révolutionnaire islamiste n’a pas encore assez de pratiquants pour opérer une alliance avec les voyous. Cela changera peut-être, mais force est de constater qu’il y a peu de pays où l’islamisme est arrivé au pouvoir. En Égypte, les frères musulmans demeurent tenus à l’écart par le pouvoir des militaires ; au Maroc, le roi a su introduire les islamistes dans son gouvernement pour mieux les contrôler. En Afrique noire, Mozambique, Nigéria, Burkina, les actions terroristes relèvent davantage de la pratique des voyous que de l’action de révolutionnaires. Les islamistes peuvent tenir quelques territoires, comme le Cabo Delgado, ils sont très loin de prendre le contrôle du pays. Le projet politique d’un grand califat islamique en Asie centrale a échoué, les Ouïgours étant bien tenus par les Chinois et les populations turkmènes n’étant pas soutenues par la Turquie.

 

Pour le cas français, cela ne signifie pas que nous ne devons pas craindre le terrorisme utilisé par les islamistes, mais reconnaitre que, pour l’instant, cela relève de la criminalité et de l’ordre public, non du projet révolutionnaire cohérent. Ce qui changera peut-être dans quelques années. Ce qui signifie que l’action de lutte est à mener au niveau de la police et de la justice et que l’arsenal judiciaire actuel suffit : nul besoin de rajouter des lois anti-terroristes qui finissent par porter gravement atteinte aux libertés publiques. Mais il est vrai que, médiatiquement parlant, il est plus aisé de combattre le révolutionnaire par des phrases que le voyou par des actions de police.

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

12 Commentaires

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  • Gilles

    23 avril 2021

    Le terrorisme est d’abord une armes des états et des ethnies que nous écrasons et qui nous le rendent de manière asymétrique mais efficace

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  • Steve

    23 avril 2021

    Bonjour M. Noé
    Si l’utilisation politique de la terreur aveugle a été comprise il y a longtemps par les hashishins du Vieux de la Montagne, e Gengis Khan et d’autres la dénomination du concept et la mise en oeuvre de la doctrine du terrorisme sur les populations, est l’oeuvre du gouvernement révolutionnaire français contre les Vendéens.
    Par ailleurs, il y a eu des voyous parmi les premiers résistants en 1940 -( il y en a eu aussi, plus même, chez les collaborateurs)
    Avant l’Afghanistan le terrorisme islamique n’existait quasiment pas ( les actes commis en Algérie relevaient plus de la guerre d’indépendance) . Ce sont les américains (religieux chrétiens!) qui ont pensé se faire des alliés des musulmans fanatiques contre les athées communistes. Choix de soutenir Gulbuddin Hekmatyar – fanatique et néanmoins ingénieur de formation – plutôt qu’ Ahmad Shah Massoud –

    Parler de » l’Arroseur arrosé » serait déplacé tant il y a eu de souffrance depuis, mais on ne peut éluder ces responsabilités.
    Il faut aussi se poser la question de la peur de voir sa civilisation disparaître sous le rouleau compresseur de la technologie « étrangère » qui plus est.
    Nous devons aussi penser le fait que nous sommes appelés « infidèles », non pas parce que nous ne sommes pas musulmans mais parce que nous sommes considérés infidèles à notre propre foi ( le christianisme).
    Les américains ayant depuis longtemps fait alliance avec les voyous ls dans leurs aventures étrangères ( alliance avec la mafia en Sicile 1943) Noriega ( drogue) au panama, cia traffic de drogue ( ( contra nicaragua) et sans doute actuellement en Afghanistan, Hashim Tadji , ancien chef de bande, ( voir archives Fig mag) imposé à la place d’Ibrahim Rugova etc…. on ne voit pas pourquoi les théoriciens de l’islam politique dur et guerrier s’abstiendraient!
    Cordialement

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  • Ockham

    22 avril 2021

    En rejoignant SOEAJS, l’affaire est simple : rejoignez l’islam donc acceptez le coran incréé et vous aurez la paix. L’islam est une religion de paix. Tant que vous ne céderez pas vous n’aurez pas la paix. Donc accueillez nous ! Plus nombreux nous serons plus vite vous aurez la paix après un passage délicat.

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  • Escoffier

    19 avril 2021

    Je me pose toujours la question : les résistants posant des bombes, notamment en terrasse, étaient-ils des résistants ou des terroristes ? Cette question est applicable dans de nombreux cas, selon le point de vue, celui qui pose des bombes est un terroriste, ou un résistant,

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  • SOEAJS

    16 avril 2021

    – Savez-vous que les endroits où les voitures brûlent sont les endroits où les autorités n’ont pas fait alliance avec les trafiquants de drogue (« tu me laisse trafiquer je ne brûle pas les voitures de ta ville de ta circonscription de ton quartier et inversement »)?
    – « Pour le cas français, cela ne signifie pas que nous ne devons pas craindre le terrorisme utilisé par les islamistes, mais reconnaitre que, pour l’instant, cela relève de la criminalité et de l’ordre public, non du projet révolutionnaire cohérent. » Je ne suis pas du tout d’accord. C’est en totale contradiction avec votre texte et avec l’histoire que vous connaissez pourtant mieux que moi. Le projet politico-religieux islamique d’établir un état soumis à l’Islam en France est une réalité directement liée au fondement coranique de cette religion qui doit s’approprier cette terre pour la soumettre. Penser que la France n’est pas inclue dans leur vision du futur est d’une grande naïveté.

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    • Robert

      19 avril 2021

      C’est une question de temps et de calendrier.
      Pour le moment, le rapport de force ne permet pas un projet révolutionnaire cohérent de la part des islamistes, nous sommes encore dans le domaine de l’ordre public.
      C’est la vigueur de la réaction de l’ état, en fonction du degré de courage politique des « élites », qui déterminera la survenance, ou non, de cette révolution.
      Pour le moment, observons que la parole s’est libérée. Le diagnostic est posé, nonobstant les dénégations des idiots utiles et les manoeuvres des « porteurs de valises ».
      Il reste maintenant le plus dur : l’action…

  • germain

    16 avril 2021

    Quand vous dites qu’Erdogan ne soutient pas les populations turkmènes, que faites-vous de la guerre entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie en septembre 2020! La Turquie a massivement soutenu l’armée azérie avec des drones notamment. Erdogan mène une politique d’expansion de la Turquie, y compris en Afrique du nord en Libye, pour son pétrole et son gaz.
    Dans le haut Karabagh, des mercenaires islamistes radicaux ont été engagés. L’EI sert en fait Erdogan!

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    • Sitonia

      16 avril 2021

      Très bonne remarque.

  • Viktor

    16 avril 2021

    250 à 300 zones de non-droit en France, ce sont des tumeurs cancéreuses qui vont métastaser. Après diagnostic, le chirurgien opère, de même après analyse de la situation et études des rapports de forces, le militaire engage une action . Aujourd’hui l’armée française aux ordres d’un médecin généraliste incompétent s’apprête à prendre une fois de plus la responsabilité d’une cuisante défaite.
    Pas besoin d’être diplômé de l’Ecole de guerre pour comprendre le scénario probable suivant.
    Supposons que ces 300 zones de non droit s’embrasent simultanément, sachant qu’il faut 10 soldats ami pour neutraliser 1 sniper NMI en guérilla urbain, soit 100 contre 10 snipers NMI, soit 1000 contre 100 snipers NMI, soit 10000 (1 division) contre 1000 snipers NMI etc… c-à-d que 3 à 4 snipers NMI pré-positionnés par ZND peuvent paralyser notre armée qui pour tenir 24h/24 7J/7 va avoir besoin d’effectifs et de moyens importants.
    Seule solution : bombarder : bonjour les dégâts collatéraux !

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  • Dranoël

    16 avril 2021

    Il faut aussi remercier les pays occidentaux d’avoir démoli les pays laïcs pour laisser un beau terreau de pauvreté et d’islamisme radical à la place : Irak, Libye et tentative en Syrie.

    Pour l’Afghanistan et l’Egypte difficile de comprendre comment on a pu en arriver là. Quand on repense à l’époque de l’Egypte sous Nasser, ça fait mal au coeur :
    https://youtu.be/D-DZUnh8-Ro

    La surpopulation mondiale et la pauvreté liée à cela + la baisse de ressource hydrocarbure est probablement la clef du terreau terrorisme. Ensuite son utilisation par des têtes pensantes est une banalité.

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  • michel hasbrouck

    16 avril 2021

    Encore une fois cette satanique conception marxiste de la responsabilité collective.

    « nous refusons de voir et de nommer les choses ». Non, pas « NOUS ».

    En tous cas, pas moi, et je ne suis pas le seul…

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  • Thierry Balet

    16 avril 2021

    Un dernier paragraphe qui résume très bien la lâcheté de nos dirigeants.
    Merci pour ce billet.

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