17 novembre, 2025

Retour sur Toynbee

J’ai beaucoup lu dans ma vie et certaines de mes lectures m’ont changée à jamais.

Parmi celles-ci, je dois citer le livre « l’Histoire » (a Study of History en anglais), d’Arnold Toynbee, professeur d’histoire à Oxford, mort en 1975.

Toynbee soutenait que pour comprendre les évolutions à venir, il fallait s’attacher à l’étude des civilisations, et non pas des nations ou des hommes remarquables et que ces évolutions ne pouvaient pas être comprises et anticipées si l’on n’y incluait pas le rôle des religions[1].

Dans un passage qui m’a marqué, il fait la remarque suivante sur le monde Chrétien après le grand schisme de 1054 entre les Orthodoxes et les Catholiques. Je cite de mémoire.

Entre Byzance et Rome en 1054, entre un monde civilisé et organisé et un autre retournant   à la barbarie et se fracturant, tout  homme raisonnable aurait donné  l’empire d’Orient comme vainqueur.

Et ce fut Rome qui l’emporta…

Pourquoi ?

Parce que, répond, Toynbee, le Catholicisme préconisait la séparation de l’Eglise et de l’Etat, ce qui permit l’émergence en Europe de multiples expériences politiques telles les Villes Etats, la ligue Hanséatique, les Etats-Nations, les ordres militaires (templiers, chevaliers teutoniques), les théocraties…

Et toutes ces expériences reconnaissaient la même religion.

Au risque d’incongruité, je dirai que l’Europe avait bâti des structures antifragiles, avec des pouvoirs politiques différents mais une religion commune tandis que Byzance avait un pouvoir politique centralisé mais des religions différentes avec l’irruption de l’Islam sur son territoire.

Et donc, le monde catholique était antifragile et le monde Orthodoxe fragile…

Considérons le danger Turc.

Si les Turcs battent militairement l’empereur et prennent Constantinople, le pouvoir politique change de religion automatiquement et la civilisation chrétienne est condamnée avec le temps.

Et le proche orient devint Musulman.

En Europe : Si les Turcs battaient les Grecs, le pouvoir changeait à Athènes, mais pas à Venise ou à Paris, les Vénitiens et les Français gardaient leur souverain et restaient catholiques.

Nous étions plus difficiles à vaincre parce que nous avions de multiples tètes qui repoussaient quand on essayait de les couper.

Et donc nous avions aussi de multiples élites, chacune défendant ses souverainetés locales.

Et Toynbee d’expliquer que le rôle des élites est de répondre aux défis politiques et civilisationnels qui se présentent. Et l’Europe a su générer pendant des siècles de multiples élites locales partagent cependant toutes la même religion. Mais cette multitude d’élites a permis de multiples expérimentations dans les systèmes politiques, et ce qui marchait était avec le temps importé par ceux qui s’étaient trompés.

L’Europe a donc inventé au cours de son histoire le libre marché des idées politiques.

Imaginons qu’un défi se présente dans un pays et que les élites locales y répondent de façon satisfaisante.  Le problème est réglé et le pays avance vers un niveau plus harmonieux. L’influence internationale du pays

Si le problème n’est pas réglé, alors il continuera à se présenter sous des oripeaux différents et en fin de parcours trois situations deviennent possibles pour les populations :

  1. Un changement des élites. Ici, je pense par exemple, au remplacement de Charles X par Louis Philippe ou aux élections en Espagne après la mort de Franco.
  2.  Un changement de régime peut entraîner la disparition d’une nation ou l’apparition d’une autre. Je pense à la Pologne au XVIII -ème siècle qui disparaît, à l’Autriche Hongrie en 1918 qui se fracture ou à la révolution américaine qui entraina la naissance d’une nouvelle nation.
  3. La disparition de la civilisation. Par exemple en Amérique Latine après l’arrivée des espagnols et la disparition complète des civilisations locales, ou encore à la lente disparition des nations Chrétiennes en Egypte et en Afrique du Nord après les conquêtes militaires musulmanes.

Si j’applique ce cadre d’analyse à la situation actuelle de notre pays, que puis-je dire ?

Au XIX -ème et au XX -ème siècles, le problème fût de régler la rivalité entre la France et l’Allemagne.

Après trois guerres entre les deux pays qui laissèrent la civilisation européenne exsangue, la solution fut trouvée avec la création de l’Europe politique.

Quand un problème, un défi, se présentait, il était appelé à Bruxelles et tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles comme l’aurait dit Pangloss-Minc ou Pangloss -Attali.

Hélas, insensiblement, chacun des pays qui joignit cette construction perdit la capacité de régler ses problèmes à lui.

Et, en ce qui concerne la religion censée faire l’unité de la civilisation, la solution choisie par Bruxelles fut de remplacer la religion chrétienne par celle des droits de l’homme et donc non seulement de centraliser comme à Byzance le pouvoir politique mais aussi de fusionner une fois encore l’Eglise et l’Etat.

La tentative européenne vise donc non seulement à changer de régime politique dans tous les pays européens en réinventant l’empire romain pour régler un problème qui n’existe plus mais aussi à changer de civilisation en changeant la religion dominante pour la remplacer par le culte de l’Être suprême issu de la Révolution Française. Le principal ennemi du Christianisme n’est pas l’islam mais Bruxelles.

Ce qui rend les systèmes politiques européens éminemment fragiles à nouveau si la vieille religion résiste et reste légitime dans quelques-unes des anciennes nations (Hongrie, Pologne) ou qu’une nouvelle religion (l’Islam) devienne légitime dans une partie de l’Europe mais pas dans une autre.

Et dans ce cas de figure, si l’Histoire nous a appris quelque chose c’est que dans une civilisation, il ne peut y avoir qu’une seule religion légitime.

Deux religions ne peuvent pas coexister dans la même civilisation et donc le défi à venir sera celui d’éviter une nouvelle guerre des religions en Europe.

Déjà, l’Europe fut déchirée du XV -ème au XVI -ème par l’émergence du Protestantisme et elle faillit bien disparaître pendant la guerre de trente ans qui conduisit à l’émergence d’États Nations partout en Europe, et donc aux guerres suivantes.

Il est à craindre que nous soyons déjà entrés dans une nouvelle guerre de trente ans ou s’affronteront cette fois trois religions, le Christianisme, l’Islam et la religion laïc, les deux dernières étant déjà en train de s’allier pour finir de détruire la première.

Or les structures politiques bruxelloises sont complètement incapables de répondre à ces nouveaux défis, qui sont dans l’ordre.

  1. L’effondrement démographique des populations en Europe.
  2. L’immigration de populations qui n’acceptent ni la religion chrétienne ni la religion des droits de l’homme.
  3. L’effondrement de l’empire américain et la fin de la protection militaire que cet empire accordait à l’Europe.
  4. La résurgence des empires Turc et Russe, le premier étant beaucoup plus dangereux militairement pour l’Europe que le second puisqu’il a dominé pendant des siècles la civilisation musulmane.
  5. L’émergence d’une domination économique et financière de la Chine sur le monde.

Conclusion

Mes convictions actuelles sont assez simples et je les ai exprimées dans mon dernier livre[2] .

Les problèmes qui nous assaillent ne peuvent être traitées que dans le cadre d’un Etat-Nation souverain où tout le monde partage le même substrat religieux.

L’Europe fédérale est donc condamnée car elle s’opposera de toutes ses forces, qui sont considérables, au retour de la religion traditionnelle en Europe et donc au retour vers les Etats-Nations des souverainetés qui leur ont été retirées.

Cela revient à dire que nous avons devant nous une obligation : d’abord nous débarrasser des structures européennes et supranationales pour ensuite répondre aux défis mentionnés plus haut.

Je dis et je répète ce que j’ai déjà dit depuis des années :  en Europe, nous rentrons dans une période révolutionnaire et probablement guerrière et il va nous falloir choisir notre religion commune tout en retournant leurs souverainetés aux Etats- Nation indépendants à nouveau.

Je vous souhaite bonne chance, nous en aurons besoin.

 Charles Gave

Auteur: Charles Gave

Economiste et financier, Charles Gave s’est fait connaitre du grand public en publiant un essai pamphlétaire en 2001 “ Des Lions menés par des ânes “(Éditions Robert Laffont) où il dénonçait l’Euro et ses fonctionnements monétaires. Son dernier ouvrage “Sire, surtout ne faites rien” aux Editions Jean-Cyrille Godefroy (2016) rassemble les meilleurs chroniques de l'IDL écrites ces dernières années. Il est fondateur et président de Gavekal Research (www.gavekal.com).

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