13 novembre, 2023

Quand une banque centrale crée le déséquilibre.

J’ai toujours soutenu que les marchés retournaient toujours à leur équilibre de long terme. Hélas, une longue et douloureuse expérience m’a appris que ce mouvement de retour à l’équilibre pouvait prendre un temps fou, surtout si les banques centrales ou les gouvernements font tout pour l’empêcher.

Mais il ne faut pas renoncer à jouer quelque chose au prétexte que cela n’a pas marché jusque-là. Au contraire. Plus les autorités veulent empêcher le marché de fonctionner, plus le rentabilité sera forte au moment du dénouement.

Pour en profiter, il faut cependant suivre une stratégie qui vise expressément à profiter de ce retour éventuel.

La première des choses est en effet de comprendre qu’il y a trois façons de gagner de l’argent dans les marchés financiers.

  1. Celle suivie par beaucoup de traders : je joue le « Momentum », qui n’a rien à voir avec le retour à l’équilibre. Si ça monte, j’achète, si ça baisse, je vends. Il faut être sur le marché sans arrêt et il n’y a rien comprendre.  Je suis trop flemmard.
  2. Celle suivie par de nombreuses banques ou sociétés financières, dite du « portage », qui elle aussi n’a rien à voir avec un quelconque retour à l’équilibre : j’emprunte à 2 %, j’achète quelque chose qui rapporte du 5 % et j’encaisse la différence mois après mois. Il s’agit ni plus ni moins que d’un arbitrage de risque au travers du temps et cela marche tant que l’actif que je possède et qui me rapporte du 5 % continue de me rapporter du 5%. Si, d’un seul coup, l’actif me rapporte zéro et/ou que le coût de mon emprunt passe à 6 %, je suis mal très vite. Pas mon truc. Et puis, je n’aime pas emprunter.
  3. Celle du retour à une valeur « théorique pour chaque actif « qui peut être calculée (plus ou moins) objectivement. Dans ce cas de figure, un retour vers l’équilibre est joué consciemment. Si le cours de l’actif en question est très inférieur à cette valeur théorique, j’achète, si le cours est très supérieur, je vends. L’ennui, c’est que ce retour vers la moyenne peut prendre des années et/ou que mon calcul de la valeur théorique ait été faux.

Personnellement, j’ai toujours favorisé la troisième méthode car c’est la seule que je comprenne vraiment.

Ce petit papier s’adresse donc à ceux qui voudraient savoir comment profiter de ces retours vers l’équilibre de long terme d’une variable ou d’une autre.  Il est écrit pour ceux qui comme moi aiment à comprendre pourquoi ils gagnent de l’argent et qui pensent, comme moi, que les marchés sont rationnels.

L’ennui est que les calculs fiables sur la valeur d’un actif sont utiles si les hypothèses que l’on fait sur un actif ou un autre (taux de croissance des bénéfices, taux d’intérêts à venir etc…) se révèlent justes.

Ce qui est très rare.

Ayant été analyste financier sur les actions il y a très longtemps, j’ai rapidement été capable d’expliquer pourquoi l’une ou l’autre des sociétés que je recommandais avait baissé plutôt que de monter, les hypothèses que l’on m’avait fournies pour les taux d’intérêts, les taux de change ou la croissance économique s’étant révélées fausses… (Ce n’était donc pas de ma faute… position fort utile si l’on veut faire carrière dans un grand groupe).

Heureusement, il est des cas où je n’ai pas besoin de faire des prévisions, Par exemple, le retour du taux de change entre deux monnaies vers la parité des pouvoirs d’achat ne requiert aucune hypothèse puisque ce calcul ne prend en compte que les chiffres du passé. La théorie des parités des pouvoirs d’achat stipule en effet que le taux de change entre deux monnaies revient toujours vers un taux de change ou le niveau général des prix sera le même pour les deux pays. Je vais en présenter un exemple en présentant les résultats d’un tel calcul pour le Canada et les USA.

Le voici.

 

 

 

La ligne rouge dans le graphique du haut représente le ratio des taux d’inflation entre les Etats- Unis et le Canada depuis 1970 tandis que la ligne bleue est le taux de change entre les deux monnaies. Dans le graphique du dessous, la ligne noire n’est que le ratio entre la ligne rouge et la ligne bleue et représente l’écart en pourcentage entre là où le taux de change est (la ligne bleue) et là où il devrait être (la ligne rouge).

Comme le lecteur peut le voir, la ligne bleue (la réalité) reste rarement sur la ligne rouge (la théorie), ratio noir à 1, mais y revient toujours.

Et donc quand la réalité s’écarte suffisamment de la théorie (quand le ratio ligne noire s’écarte suffisamment (plus d’un écart type) de 1 dans le graphique du bas, il faut acheter (ou vendre) le dollar canadien par rapport au dollar américain.

Aujourd’hui, d’après cette théorie, il faudrait acheter le dollar canadien et vendre le dollar américain…

Cette théorie, dans la pratique, marche plutôt bien et je l’ai beaucoup utilisé dans ma carrière. Mais hélas, de temps en temps, elle ne marche pas du tout.

Et j’en ai eu un parfait exemple avec le taux de change entre le dollar américain et le yen dans les deux dernières années comme en fait foi mon second graphique

 

 

 

 

Fin 2021, le yen, déjà 25 % sous-évalué, rebaisse encore d’un tiers en deux ans et se retrouve sous-évalué comme jamais dans son histoire.

Pourquoi ?  Mon reflexe immédiat quand une telle aberration se produit est de me dire immédiatement qu’un banquier central a dû faire une énorme boulette. Et encore une fois, c’est le cas : la banque centrale Japonaise a pratiqué depuis des années ce que l’on appelle en novlangue de banquier central « le contrôle de la courbe des taux », qui veut dire une chose et une seule : l’épargne qu’elle soit longue ou courte n’est plus rémunérée. Les taux à 10 ans sont fixés à 0 % pour toujours et ceux à trois mois le sont à – 0.10 %.

Quand le reste du monde offre aussi une rentabilité nulle, cela n’aucun effet sur les sorties de capitaux en provenance du Japon. Quand, il y a deux ans, les taux d’intérêts se mirent à monter aux USA et en Europe avec le retour de l’inflation, l’immense épargne Japonaise sortit du pays a toute allure pour toucher du 4 % a la place de zéro et s’investit aux USA et en Europe, des yen furent vendus, des dollars ou des euro achetés et le yen… s’écroula.

Encore une fois, l’on voit que les manipulations incohérentes des banques centrales ont des effets secondaires qui font beaucoup plus de dégâts que la situation initiale qu’il fallait soi-disant corriger.

Mais cette politique ne peut pas durer tant les résultats sont une agression inouïe pour les pays concurrents. La compétitivité des entreprises internationales en concurrence avec des entreprises Japonaises à l’international s’est effondrée et leurs profits avec, tandis qu’au Japon, les profits à l’exportation explosent à la hausse. Pensez à l’Allemagne, pensez à la Corée du Sud, voire à la Chine qui sont en concurrence directe avec le Japon, tant ces pays ont des bases industrielles similaires.

Voilà qui rappelle fâcheusement les dévaluations compétitives des années trente. Or, ce qui ne peut pas durer, ne dure pas, en général…Les autres pays vont réagir. Le Japon risque d’être condamné un de ces quatre, et à juste titre, pour manipulation du taux de change, ce qui pourrait amener des rétorsions protectionnistes contre les entreprises Japonaises.

Pour dire les choses le plus simplement du monde : le niveau actuel du yen est incompatible avec un commerce international « normal ». 

Et comme les Japonais, à cause de la baisse du yen, ont gagné beaucoup, beaucoup d’argent sur leurs positions en dehors du Japon, le jour où le scenario d’une hausse du yen deviendra certain, ils voudront tous vendre leurs actifs en dehors du Japon et retourner en yen. Et connaissant les Japonais, ils le feront tous le même jour. C’est dire que la hausse du yen couplée à une baisse de nos marchés obligataires risque d’être quelque peu… désordonnée. Ou je serai là avant, ou je vais manquer le coup.

Conclusion

Des mesures vont donc certainement être prises (par la Chine ? il leur suffirait d’acheter des yen avec leurs réserves en dollar, ce qui serait une bonne façon de de débarrasser de leurs dollars en trop …) pour que le yen retrouve un cours moins artificiel, ce qui veut dire que si j’avais des liquidités à investir aujourd’hui, je les mettrai en yen.

 

 

Auteur: Charles Gave

Economiste et financier, Charles Gave s’est fait connaitre du grand public en publiant un essai pamphlétaire en 2001 “ Des Lions menés par des ânes “(Éditions Robert Laffont) où il dénonçait l’Euro et ses fonctionnements monétaires. Son dernier ouvrage “Sire, surtout ne faites rien” aux Editions Jean-Cyrille Godefroy (2016) rassemble les meilleurs chroniques de l'IDL écrites ces dernières années. Il est fondateur et président de Gavekal Research (www.gavekal.com).

21 Commentaires

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  • Philippe

    17 novembre 2023

    Bien vu cher Monsieur Gave, je suis short CHF + CAD + EUR + GBP vs JPY ; votre conseil était fort judicieux . Je vois un terme a 2/ 3 semaines ; qu’en pensez vous ?

    Répondre
    • antoine

      19 novembre 2023

      swaps douloureux non ?

  • conservateurliberal

    16 novembre 2023

    Merci pour votre billet, très informatif, comme d’habitude.
    Vous avez sûrement raison, sauf que ce petit jeu de la banque centrale dure depuis très longtemps et pourrait continuer à durer, par exemple 2 à 3 ans.
    Ne vaudrait-il pas mieux investir son cash dans des sociétés japonaises bien gérées et cotées à la bourse de Tokyo ?
    Cela tombe bien : il se trouve qu’un grand nombre d’entreprises japonaises de taille moyenne sont très faiblement valorisées. Certaines ont même des capitalisations inférieures à leur trésorerie nette liquide.
    Ainsi, en cas de retour du Yen à l’équilibre, nous bénéficierons de la hausse du Yen et de la valorisation de l’action.
    Au cas où la situation (de faiblesse du Yen) se prolonge, la bonne tenue de l’entreprise et si possible la distribution de dividendes nous aideraient à patienter.

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  • Général de Guerrelasse

    15 novembre 2023

    J’ai trouvé des ETF qui me permettraient de suivre les recommandations de M. Charles Gave (tracker yen, obligations chinoises) mais malheureusement pas le brocker ou courtier qui les propose. Merci pour vos suggestions.

    Répondre
  • JF

    13 novembre 2023

    J’aurais plutôt pensé à un dollars sur-évalué, à condition que les baisses de taux arrivent aux moments du consensus. Toutes les monnaies ont souffert, y compris le Yuan même si ce n’est pas dans les mêmes proportions. Historiquement, les interventions sur le marché des changes n’ont jamais fonctionné, donc je ne crois pas trop à votre scenario. Le retour à l’équilibre à mon avis est une baisse de taux aux usa avec un maintient au alentour des 3.5%, mais je pense qu’il faut déjà que le conflit au moyen orient se soit tassé. Maintenant, si vous suivez de près USD/JPY, la volatilité a soudainement baissé depuis 2 mois même si nous sommes sur un plus haut, ca ne bouge plus beaucoup, ce qui rend la situation acceptable pour le Japon.
    Vous aviez conseillé depuis 3 ans les actions japonnaises et ca n’a pas loupé, fallait il bien sûr hedger le taux de change. Je me demande si ce scénario pourrait se répéter sur l’Inde ou autre marché émergent où l hedge est coûteux. Sans compter les risques géopolitiques associés, excepté au Japon ou en Australie, ca me donne les fouettes de mettre des billes sur les marchés emergents.

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  • yorick

    13 novembre 2023

    Belle analyse monsieur Gaves, j’étais au courant sur le fait que la monnaie japonais était dévalué, mais pas pourquoi.
    Serait t’il possible d’avoir depuis l’outil graphique du site, certaine liste de graphique que vous avez publié, afin que nous puissions avoir un suivit des différentes évolution des analyses que vous nous avait proposé par le passé ?
    Cordialement

    Répondre
  • Du goudron et des plumes

    13 novembre 2023

    Il est étrange que joe soit devenu colombe et non faucon pour un démocrate
    Peut-être qu il attend patiemment qu un navire coulé au large d un détroit pour nous inclure dans une guerre Otan Iran
    Si c est le cas l euro va bien casser la figure au bonheur du dollar
    Plus de pétrole russe en euro plus de pétrole du tout venant du moyen orient et pas de dollar pour l acheter aux US
    Jusqu’à ce que le prix de l électricité nous sépare

    Répondre
  • Nicolas Martin

    13 novembre 2023

    Merci Monsieur Gave pour cet excellent et très instructif article. Une question, pour ceux qui comme moi souhaitent investir en actions et non pas en devises. Quel serait selon vous le meilleur moyen de calculer la valeur théorique d’une action ?

    Répondre
  • Olivier Dorlain

    13 novembre 2023

    Superbe article.
    Comme vous ne pouvez donner de conseil, si un lecteur pouvait identifier un moyen de jouer le yen. Merci !

    Répondre
    • JFLuya

      14 novembre 2023

      Bonjour,
      Comme dit dans l’article, cela peut être très long, très long… D’autres Pays jouent à cela (prenez ce que je connais en EU : la Suède).

      Voici quelques pistes.

      Visitez notre site ou appelez nous au besoin.

      Paires de devises Forex :
      Vous pouvez négocier des paires de devises sur le marché des changes (Forex). Si vous pensez que le yen japonais va s’apprécier par rapport à une autre devise, vous pourriez envisager d’acheter une paire de devises comme USD/JPY. Cela signifie que vous pariez sur la baisse du dollar américain par rapport au yen japonais.
      Fonds négociés en bourse (ETF) sur le yen japonais :

      Il n’existe pas d’ETF qui répliquent directement la performance du yen japonais, mais certains ETF peuvent suivre des indices de devises qui comprennent le yen. Cependant, ces options peuvent être limitées. Vous pourriez explorer des ETF liés au marché japonais en général, mais gardez à l’esprit que ces fonds peuvent être influencés par d’autres facteurs tels que les actions japonaises.
      Actions d’entreprises exportatrices japonaises :

      Si vous pensez que la devise japonaise va s’apprécier, les entreprises exportatrices japonaises pourraient en bénéficier. Lorsque le yen s’apprécie, les produits japonais deviennent relativement moins chers à l’étranger, ce qui peut stimuler les exportations. Vous pourriez envisager d’investir dans des actions de grandes entreprises exportatrices japonaises.
      Obligations libellées en yen japonais :

      Les obligations libellées en yen japonais pourraient être une option si vous recherchez des investissements à revenu fixe. Lorsque le yen s’apprécie, le rendement en termes de devise locale sur ces obligations peut augmenter.
      Options sur devises :

      Les options sur devises vous permettent de spéculer sur les mouvements de change. Vous pourriez envisager des options d’achat (call) sur le yen japonais par rapport à une autre devise.

      Bien à vous

  • CharlesM

    13 novembre 2023

    Depuis 2 ans, l’euro fait environ +24% sur le yen et le topix fait mieux que le stoxx600 dans les mêmes proportions, ça rappelle le cas turc…

    Répondre
  • abel25

    13 novembre 2023

    Merci pour votre article. Que dire de la paire USD/Yuan ? Inflation US à 4 et déflation en Chine. Selon la théorie des PPA le cours du Yuan devrait passer à travers le toit, or il a perdu 5% par rapport au dollar depuis le début de l’année. Quelle est la banque centrale qui n’a pas fait son bouleau ici ?

    Répondre
  • Louis Jean SYLVOS

    13 novembre 2023

    Merci pour votre analyse.
    Celle ci montre qu’une sortie de l’€uro nous serait profitable ! Frexit Vite !

    Répondre
  • Patrice Pimoulle

    13 novembre 2023

    « tout desequilibre engendre un mecanisme regulateur dont l’efficacite s’accroit avec le temps » (Pr Pigou).

    Répondre
  • Philippe

    13 novembre 2023

    Je vous suis a 1000% ; Pourriez-vous s’il vous plait nous suggérer un ETF ou un autre véhicule qui permette de suivre la hausse à venir du Yen ? Merci par avance

    Répondre
    • Roger

      13 novembre 2023

      Pourquoi n’achèteriz-vous pas directement du Yen ? Très facile à faire et à moindre frais au CM/CIC. C’est aussi possible à la CE mais ils en sont encore à la signature au guichet pour les ordres ….
      Sinon compte compte en ligne Revolut ou swissquote.

    • Philippe

      13 novembre 2023

      Merci Roger mais ‘ai trouvé ETF Invesco currency shares Japanese Yen , il est au plus sur 2 ans , je le prends en ligne .

    • Challain

      13 novembre 2023

      Merci pour votre question, je suis preneur s’il y a d’autres réponses. Difficile de savoir quelle est la meilleure solution pour acheter des devises.

    • Général de Guerrelasse

      15 novembre 2023

      Je pense que Roger a raison, il faut acheter des yens et non pas des ETF basés sur des obligations. Lorsque le gouvernement japonais montera ses taux, les obligations actuelles risquent de boire le bouillon.

    • Général de Guerrelasse

      15 novembre 2023

      Oups, Philippe, je n’avais pas vu votre réponse à Roger. Excellent choix!

    • Marco Polo

      17 novembre 2023

      Mais il vous suffit d’acheter des yens depuis un banque qui propose un compte multi devises.

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