26 mai, 2024

Nouvelle-Calédonie : miroir des failles françaises

Les drames qui se déroulent en Nouvelle-Calédonie révèlent les failles du modèle français et l’impasse stratégique de bon nombre de décideurs. Plusieurs problèmes émergent de ces jours de violence.

Premier problème, un mouvement qui ne fut pas anticipé. Si l’intensité du mouvement social a pu être sous-estimée, il est en revanche inquiétant que personne n’ait anticipé le fait que le dégel du corps électoral n’allait pas engendrer des manifestations violentes. Il est évident que pour les Kanaks indépendantistes (tous les Kanaks ne le sont pas), le dégel du corps électoral est inacceptable puisque cela signifie que les Français arrivés dans l’archipel au cours des vingt dernières années pourront voter et donc que les indépendantistes seront structurellement minoritaires. Cette absence d’anticipation témoigne d’une méconnaissance totale de la situation et donc d’un manque d’informations fiables et sûres. Le renseignement est cassé et ne fournit plus aux décideurs les bons éléments pour prendre des décisions justes. À leur décharge, les services de renseignement intérieur fournissent aux décideurs les informations que ceux-ci veulent voir et entendre ; bien souvent, il leur est demandé de modifier les rapports afin que ceux-ci collent avec ce qui est pensé dans les ministères.

Deuxième problème, la non-maîtrise du territoire national. Les exemples se multiplient, notamment les émeutes de juin 2023 et nous en avons une autre confirmation en Nouvelle-Calédonie : les forces de l’ordre ne sont plus capables de maintenir l’ordre. Six morts au moment où ces lignes sont écrites, la route Nouméa / aéroport coupée, des quartiers entiers bloqués, des habitants pris d’assaut par les groupes violents, des magasins pillés et détruits, empêchant tout ravitaillement, des pharmacies et des hôpitaux attaqués, empêchant les soins. En Nouvelle-Calédonie, l’État français n’a pas été capable d’assurer l’ordre. Par manque d’anticipation, mais aussi par manque de doctrine claire sur les opérations à conduire. Tout est venu après coup, sans anticipation, provoquant un accroissement de l’abcès.

Troisième problème, l’absence de vision pour la Nouvelle-Calédonie. Un processus avait été initié en 1988 dont les promoteurs espéraient qu’il aboutirait à l’indépendance de l’archipel. Ce ne fut pas le cas puisqu’à trois reprises les référendums aboutirent à un refus de l’indépendance. L’archipel restait sur les bras français avec des gouvernements qui ne savaient pas quoi en faire. Il y a certes le nickel, matière importante, mais qui ne sera pas éternelle. Longtemps, ces îles furent un bagne où furent envoyés notamment les auteurs de la Commune. Nous n’en sommes plus là. Aucune réflexion sur la place géostratégique de la Nouvelle-Calédonie, sur la projection de la France dans le Pacifique, sur les rapports de puissance face à la Chine et aux pays asiatiques. Dans ces conditions, à quoi sert la Nouvelle-Calédonie ?

Quatrième problème, l’absence de vision pour les outre-mer. Que ce soient les Antilles, Mayotte, La Réunion, les TAAF ou la Nouvelle-Calédonie, le regard porté est toujours celui du traitement par le social. Il n’y a aucune vision stratégique, aucune réflexion géopolitique, aucune pensée. Le RSA, Pôle emploi et la Sécurité sociale sont les seuls leviers d’action dans les outre-mer, partant du principe que seul le traitement par le social règlera les problèmes. Cela crée un système de rente où les populations locales vivent aux frais du contribuable français, tout en le détestant.

En 2021, les flux entre les régions de France étaient organisés de la façon suivante : l’Île-de-France paye pour les autres régions. Chaque Francilien était, en moyenne, contributeur à hauteur de 6 345€. À Mayotte, les habitants reçoivent en moyenne 4 395€ par an, Guyane : 4 305€, La Réunion 4 282€, Guadeloupe 3 603€. La première région de métropole, le Limousin, est à 3 599€.

Je n’ai pas de données pour la Nouvelle-Calédonie, mais on peut supposer de fortes disparités entre les populations vivant du nickel et celles vivant de la redistribution. Ce système de social-collectivisme arrive ici à bout de souffle.

 On peut s’offusquer des ingérences russes, azéries, turques et chinoises en Nouvelle-Calédonie, mais si c’est pour ne rien faire de ces territoires hormis y envoyer l’hélicoptère à argent magique, peut-être que ces pays feront mieux que nous.

Que faire ?

D’abord rétablir l’ordre et la sécurité en levant les barrages et en arrêtant les meneurs. La population civile y a droit et si l’État central n’est pas en mesure d’assurer la sécurité alors il est injuste d’y prélever des impôts.

Ensuite, deux possibilités s’offrent à la France : rester ou partir. Si on reste, il faut définir une doctrine claire, une projection et une vision géopolitique pour ces territoires. Ce peut être scientifique, océanographique, industriel, militaire, touristique ou un mélange de tout cela.

Si c’est pour n’avoir aucune vision et n’offrir que des aides sociales et des postes aux professeurs et aux préfets détachés, alors autant baisser le pavillon et rentrer le drapeau. En somme, aujourd’hui, le choix réside entre partir ou faire de la géopolitique et donc rester.

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

8 Commentaires

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  • Nox

    11 juin 2024

    Tous les Kanaks ne sont pas indépendantistes et le processus démocratique a conduit à effectuer 4 référendums (en comptant celui de 1987) qui ont tous abouti au maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la France.
    La cause est entendue, la Nouvelle-Calédonie doit donc rester française. Il reste à trouver les arrangements pour que Kanaks et Caldoches vivent dans le respect mutuel et la bonne entente. Cela doit-il impérativement passer par la démocratie un homme = une voix, ou faut-il mettre en place un système prenant en compte les particularités ethniques ?
    Bernard Lugan, le grand spécialiste de l’Afrique, ne cesse de clamer que la démocratie à l’occidentale n’est pas adaptée aux pays africains multiethniques et est la cause de la violence endémique de beaucoup de ces états. Il est marginalisé car ses propos non politiquement corrects ne plaisent pas à nos élites. Or la Nouvelle-Calédonie est bien un pays multi-ethnique…

    Vous avez tout à fait raison de souligner que l’insurrection actuelle est le produit de l’incompétence du gouvernement. J’ajouterais qu’elle est également due à son incapacité de penser la réalité autrement qu’à travers son prisme occidental confiant en la capacité de la démocratie à régler tous les problèmes…

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  • Loubière

    28 mai 2024

    Je suis choqué que vous émettiez l’idée de l’indépendance de la Nouvelle Calédonie puisque par trois fois les néo calédoniens (dans des conditions non démocratiques pour les votants) ont voté largement contre l’indépendance.
    Aimez-vous votre pays la France (ou ce qu’il en reste)?

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    • Gaston

      29 mai 2024

      Quel choc ! Une idée, une proposition est émise et vous êtes choqué !
      Répondez aux arguments au lieu d’attaquer le messager.
      Ou restez en PLS, aussi choqué que vous êtes, et faites pas ch.

  • Karl Weiss

    28 mai 2024

    PIB par habitant Hawaii 50,000 $ /an Nouvelle Caledonie : 40,000 $
    La Nouvelle Caledonie a voté trois fois NON a l’independance .
    Les Kanaks ( 40%) et les Broussards ( 25%) sont unis dans leur refus de devenir un satellite chinois .
    Le potentiel touristique est sous-exploité ( 120,000 touristes /an et 120,000 croisieristes )
    Le Nickel est une ressource fondamentale de la siderurgie .
    La Nouvelle Caledonie est le seul territoire du Pacifique qui permet a la France une prèsence stratégique .
    Y renoncer pour une question de faiblesse comptable est d’une stupéfiante pusillanimité .

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  • Patrice Pimoulle

    27 mai 2024

    Ce constat est lucide et pertinent.
    La FRance d’Outremer en general, est necessairement a la charge de la metropole, parcequ’elle est depourvue de ressources naturelles et qu’elle es affectee par son developpement demographique. L’industrie et donc l’emploi se trouvent en metropole. il faut donc faciliter les deplacemnents entre la metropole et les D.O.M. On ne devrait pas payer plus cher pour aller a Noumea que pour aller a Lyon.

    Mais le developpement economique n’est pas une priorite pour la Ve Republique; « le metier d;etre les possesseurs et les nourrisseurs de cetee region, nous n’y tenons pas du tout »; :ces populations ne font pas partie de notre peuple » (5 septembre 1961). Aujourd’hui « cette region » est une republique democratique populaire meilleure amie de la Ru;ssie; la voie de la Ve Republique est tracee: la decolonisation.

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  • H.

    27 mai 2024

    Bonjour,

    Ce ne sont pas trois mais quatre référendums qui ont aboutis à ce que ce territoire reste français. On oublie trop facilement et trop souvent le référendum de 1987 qui avait été salué par l’ONU pour sa rigueur et son organisation. Les trois autres n’ont été que de pitoyables tentatives d’imposer un choix autre mais ils ont échoué. Le Gal Franscheschi, ancien commandant des FANC entre 1985 et 1988, a écrit un livre sur ce sujet : « Nouvelle-Calédonie, la démocratie massacrée » (https://www.amazon.fr/D%C3%A9mocratie-massacr%C3%A9e-Nouvelle-Cal%C3%A9donie-t%C3%A9moignage-ebook/dp/B0992LCKJ3). Il vaut la peine d’être lu ne serait-ce que pour comprendre la duplicité des responsables politiques. Une nouvelle fois, ceux-ci, par incompétence, aveuglement, idéologie ou lâcheté ou un mélange de ces quatre qualificatifs, ont accouché d’une situation de crise.
    Une explication qui vaut ce qu’il vaut : une des rares choses intelligentes et pertinentes émanant de notre conducator a été le concept d’espace info-pacifique qu’il a produit à Oerth en Australie fin 2017. Selon ce concept, la France a toute sa place dans ce gigantesque espace parce qu’elle y est à ses deux extrêmités, la Réunion dans l’océan Indien et le Caillou dans le Pacifique sans oublier, plus lointain, la Polynésie. Que l’une de ces deux extrémistés disparaissent et ce concept, très intéressant, n’a plus lieu d’être… Ça explique en partie comment et pourquoi on en est arrivé à la situation actuelle. Une chose est hélas sûre, c’est que la césure entre les deux communautés est totale et il faudra beaucoup de temps, et autre chose que nos très médiocres dirigeants, pour la combler.

    Bonne journée

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  • Philippe

    26 mai 2024

    Fichtre …vous deviez patrouiller les banlieues et nos soldats devaient empecher les trafics d’armes en Ukraine mais vous etes prets à quitter la Nouvelle-Calédonie parce qu’elle vous coute cher ? La constance n’est pas votre fort .

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  • Mathad

    26 mai 2024

    Je suis étonné que dans la presse spécialisée personne ne fasse le parallèle avec les émeutes de l’an dernier. Certes, le sujet est différent, certes le lieu est différent, mais la forme est la même un rejet massif de la jeunesse de tout ce qui compose l’Etat, en même temps est-ce vraiment anormal ? Cela fait 40 ans que la jeunesse est mise de côte… Va-t-on vers une révolte de la jeunesse dans les années à venir ? Celle-ci, commencera-t-elle par les quartiers populaires ?

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