Pour votre été, nous allons publier une liste de livres concernant les ruptures économiques, les frictions géopolitiques et les évolutions idéologiques et technologiques de notre société. Cela permet, essentiellement à partir de livres qui ne s’inscrivent pas dans le court terme, de regarder la réalité telle qu’elle est aujourd’hui ou de faire apparaitre de nouveaux angles d’évolution. Voici une deuxième liste concernant l’Europe.
L’Europe, lorsqu’il s’est agi de définir son identité, a très tôt été rapportée à une double origine, grecque et juive. C’est, sous la plume des historiens des Lumières comme des romantiques du siècle dernier que la célèbre opposition entre Athènes et Jérusalem est apparue. Rémi Brague dans « Europe la voie romaine » reprend à nouveau la question de l’identité, en s’intéressant à Rome et à la latinité de l’Europe. Le propre de l’Europe, c’est une appropriation de ce qui lui est étranger. Historiquement, philosophiquement, l’Europe prend, en effet, sa source hors d’elle. À partir d’emprunts à d’autres civilisations, la voie romaine a opéré une synthèse fondatrice de la première unité culturelle qui fut le premier espace européen. Au point que, aujourd’hui encore, définir l’Europe, c’est marquer comment elle se distingue de ce qui n’est pas elle par son caractère originairement latin.
L’archipelisation de la France produit une nation divisée
La France, à l’heure des gilets jaunes, n’a plus rien à voir avec cette nation une et indivisible structurée par un référentiel culturel commun. En quelques décennies, tout a changé. Cette métamorphose se traduit par un archipel d’îles s’ignorant les unes les autres. C’est que le socle de la France d’autrefois, sa matrice catho-républicaine, s’est complètement disloqué.
Mais, plus spectaculaire encore pour Jérôme Fourquet analyste politique, expert en géographie électorale dans « L’archipel français : naissance d’une nation multiple et divisée », l’effacement progressif de l’ancienne France sous la pression de la France nouvelle induit un effet d’« archipelisation » de la société tout entière : sécession des élites, autonomisation des catégories populaires, formation d’un réduit catholique, instauration d’une société multiculturelle de fait, dislocation des références culturelles communes, comme l’illustre, par exemple, la spectaculaire diversification des prénoms ! Notre relation au corps a changé (le développement de pratiques comme le tatouage et l’incinération en témoigne) ainsi que notre rapport à l’animalité (le veganisme en donne la mesure). À la lumière de ce bouleversement sans précédent, on comprend mieux la crise que traverse notre système politique : dans ce contexte de fragmentation, l’agrégation des intérêts particuliers au sein de coalitions larges est tout simplement devenue impossible. Entre sécession des élites, autonomisation des catégories populaires, instauration d’une société multiculturelle, un bouleversement anthropologique est à l’oeuvre
L’Europe ne peut pas accueillir toutes les identités
L’échec du projet européen est programmé, selon Régis Debray. La permanence du fait national reste la seule boussole disponible estime-t-il dans « L’Europe fantôme ». Les fondateurs ont construit l’Europe comme on fait un enfant dans le dos d’une femme réticente. Ils étaient proches des américains et ce sont leurs fondés de pouvoir qui ont construit l’Europe. Les proeuropéens d’aujourd’hui seraient mus par un ersatz de messianisme auquel ils souhaitent rallier maints orphelins aux attentes déçues, mais à force de vouloir accueillir toutes les identités, l’Europe risque de ne plus avoir d’identité.
L’Europe a choisi un mode de suicide particulier qui inclut le fait d’assassiner les nations qui la composent estime Michel Houellebecq dans un article intitulé « Pour l’Europe le mot déclin est presque trop doux ». Il explique que même s’il a été très tôt frappé par l’indigence intellectuelle de Marx, il n’est pas devenu pour autant un véritable libéral. Il aboutit à des conclusions identiques à celles de Oswald Spengler l’auteur du livre publié en 1918 « Le déclin de l’Occident ». Au début du XXème, les élites se détachaient de l’islam qui apparaissait comme une survivance archaïque. Ce n’est bien évidemment plus le cas aujourd’hui.
L’Europe est une grande puissance commerciale et un nain politique. Elle privilégie un marché unique ouvert à tous les vents au détriment d’une politique de puissance. Sans un noyau dur construit sur le principe de puissance, l’Europe va éclater à bref délai. Christian Saint Etienne dans « Osons l’Europe des Nations »pense que ce noyau dur devrait comprendre l’Allemagne, l’Autriche, le Benelux, la France , l’Italie, l’Espagne et le Portugal, il serait un des trois grands acteurs géostratégiques mondiaux
La relation franco-allemande est placée sous le signe de l’ambivalence. Elle évolue entre fascination et répulsion. D’après Edouard Husson, Historien directeur de l’Institut Franco Allemand dans « Paris-Berlin, la survie de l’Europe » le supposé modèle allemand est en crise. Il ne faut pas oublier que l’Allemagne a sacrifié sa démographie sur l’autel du Deutschemark, puis de l’Euro fort. Néanmoins pense-t-il, le partenariat Paris Berlin reste nécessaire, mais la France doit construire au sein de l’Union Européenne de plus larges alliances pour défendre ses intérêts propres.
Il faut achever l’Euro
L’Euro est un monstre de Frankenstein unijambiste selon Jean Quatremer, une des plus ancienne signature de Libération et chantre du fédéralisme. Dans son livre « Il faut achever l’Euro », il explique que les signataires du Traité de Maastricht en 1992 ont fait une œuvre inachevée. Ils n’ont pas construit un état fédéral. Le résultat est que l’on a prêté à la Grèce au même taux qu’à l’Allemagne, que le pacte de stabilité et de croissance a été piloté par des technocrates non élus. Or la démocratie selon lui c’est avant tout le pouvoir de contrôler…. En soulignant les insuffisances et les perversions de l’Union Européenne, ce bon connaisseur signe en sa faveur un plaidoyer percutant qui pointe les manques des gouvernements. Un Moloch bureaucratique animé par une idéologie ultra libérale parfois corrompu, le plus souvent inefficace et fort peu démocratique.
Les entreprises multinationales veulent dépouiller les états de leurs prérogatives en privatisant leurs moyens d’intervention. C’est ce que montre Susan George auteur de nombreux essais, depuis le célèbre « Comment meurt l’autre moitié du monde», bestseller mondial, jusqu’à « « Cette fois, en finir avec la démocratie ». Pour la présidente d’honneur d’Attac-France qui mène depuis des années le combat contre « la mondialisation capitaliste », elles profitent des chocs provoqués par les crises dont elles sont responsables. Les usurpateurs sont camouflés en représentants de la société civile. Ce sont des Lobbyistes au service d’une entreprise ou d’un secteur industriel, des présidents de multinationales dont le chiffre d’affaires est supérieur au PIB de plusieurs des pays dans lesquels elles sont implantées. Ces instances quasi-étatiques dirigent des réseaux tentaculaires se déploient bien au-delà des frontières nationales. Les individus qui décident n’ont pas été élus, ne rendent de comptes à personne et ont pour seul objectif de réaliser le plus de profits possibles. Ces usurpateurs s’ingèrent dans les affaires du monde à coups de financements et de renvois d’ascenseurs, s’infiltrent dans les Nations Unies et, sous la houlette de Davos, œuvrent pour un monde à leur image. Cet ensemble d’hommes et de femmes tient les citoyens ordinaires sous sa coupe et ne s’embarrasse guère de l’intérêt public et du bien commun. Selon Susan George, Il est grand temps de les arrêter.
Les Gafa (Amazon, Google, Facebook et Apple), et plus généralement toutes les entreprises de la nouvelle économie, sont des « nouveaux barbares » qui changent les règles de l’économie. Dans « Gafanomics : Comprendre les superpouvoirs des GAFA pour jouer à armes égales » François Druel et Guillaume Gombertexaminent comment réagir face à la menace de disruption ? Tout change : la création de valeur est dans le partage et non plus dans la rétention, ce n’est plus le produit qui est mis en avant mais la vision, l’économie devient celle des plateformes. Trois grandes solutions : s’inspirer, s’allier, ou se différencier…
Auteur: Jean-Jacques Netter
Jean Jacques Netter est diplômé de l’École Supérieure de Commerce de Bordeaux, titulaire d’une licence en droit de l’Université de Paris X. Il a été successivement fondé de pouvoir à la charge Sellier, puis associé chez Nivard Flornoy, Agent de Change. En 1987, il est nommé Executive Director chez Shearson Lehman Brothers à Londres en charge des marchés européens et membre du directoire de Banque Shearson Lehman Brothers à Paris. Après avoir été directeur général associé du Groupe Revenu Français, et membre du directoire de Aerospace Media Publishing à Genève, il a créé en 1996 Concerto et Associés, société de conseil dans les domaines de le bourse et d’internet, puis SelectBourse, broker en ligne, dont il a assuré la présidence jusqu’à l’ absorption du CCF par le Groupe HSBC. Il a été ensuite Head of Strategy de la société de gestion Montpensier Finance.
Ockham
20 juillet 2020Merci pour ces résumés. Ils permettent de voir de haut l’essentiel. Que ce soient les GAFAS qui se gavent de nos données personnelles gratuitement pour nous les revendre très cher, les autres transnationales qui standardisent nos goûts, le bœuf euro attelé derrière la charrette, le désespoir compréhensible mais peut-être prématuré de Régis Debray sur notre identité européenne, l’Allemagne pas toujours claire dans ses volontés politiques comme la France non moins brouillonne dans ses comptes publics, je constate que nous -moi aussi- mettons du temps à comprendre l’exceptionnelle diversité de l’Europe et par là sa beauté qui cache une grande complexité. L’Europe, ce bout d’Eurasie est unique depuis longtemps. Elle a failli se suicider plusieurs fois. L’Europe est le seul endroit où le fric ne peut pas tout, où le pouvoir tyrannique n’est jamais arrivé à tout envahir du nord au sud et où la religion n’est jamais arrivée à nous mettre à quatre pattes jusqu’à aujourd’hui ! La science est toujours vivante et les cultures aussi. Cette diversité n’a rien à voir le multiculturalisme qui mène à la guerre civile. La diversité européenne c’est la notion de limites. Ces limites sont multidimensionnelles autant territoriales, linguistiques et de propriétés individuelles privés comme publiques qui fondent l’individu. La plupart des autres continents soit parce qu’ils montrent des inégalités de revenus effarantes, des dictatures politico-idéologiques ou religieuses non moins monstrueuses et enfin des racisme tribaux ou claniques insoutenables du fait de comportement de dictateurs bestiaux, ne connaissent pas cette mesure et ce « jamais trop » si grec. C’est relatif certes mais réel. Et c’est pour cela qu’elle est belle et peut accueillir ceux qui partagent ces valeurs. Donc il ne faut pas désespérer de cette Europe. A ce sujet le départ programmé de la Grande-Bretagne est un gros nuage noir mais nos disputes européennes sont si naturelles qu’elles vont peut-être réussir pour autant que les échanges continuent.
Dominique
15 juillet 2020Pourquoi nous proposer de lire des gauchistes ?
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Il y a suffisamnent de très bonnes plumes conservatrices, passées et contemporaines pour nous inspirer. Et vous en connaissez certainementement
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Toutefois, Davos est une plaisanterie, une mondanité, un spectacle pour les peuples. Il convient d’évoquer plutôt le Bilderberg, la Trilateral, et surtout le très, très secret CFR – Council of foreign relations qui a créé toutes kes institutions mondialistes, dont l’ONU et l’UE. Et dont les dirigeants possèdent la FED !
Ce CFR dont personne ne parle jamais…
Denis Griesmar
13 juillet 2020Mais l’ « Europe » n’est qu’une résurgence du Saint Empire Romain Germanique, lequel est l’aboutissement normal du fédéralisme allemand. La France et l’Allemagne n’ont donc pas la même relation face à l’ « Europe ». Et contre ce monstre, la France a toujours cultivé les alliances de revers (Suède, Pologne puis Russie, … et même Empire Ottoman ! ) Aujourd’hui, pour la France (et la Francosphère), l’alliance évidente est la Russie.
Robert
11 juillet 2020Tout à fait d’ accord sur la fragmentation en cours de la France… et de l’ Europe ! Nos « vieux pays » sont fatigués et peinent à se forger un destin commun.