Les chiffres de pôle emploi concernant août sont tombés il y a peu. Avec 11 100 chômeurs en moins, serait-ce l’inversement tant attendu de la courbe ? Malheureusement pas. D’ailleurs le gouvernement s’est bien gardé de s’en vanter parce qu’il sait très bien que ce léger rebond n’est qu’un « bruit » statistique voire une erreur comme cela est déjà arrivé l’année dernière. Malgré ce supposé léger « mieux », la politique du gouvernement et les autres nouvelles économiques exécrables ne risquent pas de rétablir la confiance des français envers l’exécutif, même après son très récent lifting.
Il aura fallu moins de 24 heures au nouveau gouvernement pour que le premier cafouillage (et pas un des moindres) montre le bout de son nez. Notre nouveau ministre de l’économie, ex-banquier d’affaires donc forcément ultra-néo-turbo-libéral, dépeceur de salariés, chasseur de licornes et mangeur d’enfants, a timidement suggéré dans une interview alors qu’il n’était pas encore à Bercy que l’on établisse quelques dérogations concernant les 35 heures. Quelle révolution ! Mais que les français lésés par la re-fiscalisation des heures supplémentaires et les chômeurs victimes de la rigidité du marché du travail se rassurent, le gouvernement a démenti et le projet n’est pas dans les tuyaux de Matignon, comme l’a réaffirmé le premier ministre dans son discours pour le vote de confiance.
Beaucoup ont vite compris qu’il n’y avait pas plus à attendre de ce gouvernement que des précédents : si l’once d’une suggestion d’une dérogation concernant la durée légale du temps de travail lui fait peur, sur quoi va-t-il bien pouvoir agir ? Il est vrai que pour la première fois depuis longtemps nous avons un ministre de l’économie qui a travaillé dans le secteur privé, mais il y a passé moins de temps que sur les bancs de Sciences Po et de l’ENA, et son bilan en temps que conseiller de François Hollande me laisse perplexe.
Ces nouveaux chiffres et débats sont l’occasion de parler de la situation de l’emploi et de l’activité économique au travers d’un indicateur très peu cité dans la presse : le taux d’emploi. Il faut bien avouer que la méthode de calcul du taux de chômage est un bidouillage intégral car il est le ratio de deux « définitions » : celle de « chômeur » et celle de « population active ».
Non seulement ces définitions sont différentes en fonction des pays, ce qui limite les comparaisons internationales, mais elles évoluent assez souvent, en particulier aux États-Unis où elles sont validées par… un comité du congrès (aucun conflit d’intérêt bien entendu). Les changements sont souvent mineurs, mais leurs impacts se font clairement ressentir dans le temps. Le taux de chômage est donc un indicateur peu fiable dans la durée comme dans l’espace.
Mais ce qui en fait un indicateur relativement inutile, c’est la définition de chômeur le plus souvent utilisée. Si dans l’esprit de la plupart des français de bon sens, un chômeur est un adulte valide qui n’a pas d’emploi, c’est selon le Bureau International du Travail, dont les normes sont suivies par l’INSEE, quelqu’un qui :
- n’a pas d’emploi (jusque là on est d’accord)
- est immédiatement disponible pour travailler (je ne suis plus chômeur si je vais bronzer chez tonton Maurice en Corse pendant quelques semaines)
- est à la recherche d’un emploi (parce que regarder BFMTV toute la journée vautré dans mon canapé est considéré comme une activité)
Il y a bien sûr des définitions plus larges (catégories B,C,D et E) mais tout cela est peu clair et peu pertinent : s’il faut se plonger dans des annexes statistiques pour comprendre et interpréter un chiffre, c’est qu’il ne sert pas son but.
Le taux d’emploi est un ratio bien plus simple et révélateur : on divise le nombre de personnes avec un emploi par la population. C’est une méthode de calcul simple et infaillible qui permet une comparaison facile entre les pays. On peut choisir la population en âge de travailler (15-64 ans) ou la population totale.
Voyons un peu la situation en France depuis 1975 :
Rien de très réjouissant malheureusement… on ne s’est jamais remis de la chute amorcée en 1981. Les mauvaises langues diront que c’est à cause de l’arrivée de Mitterrand. D’autres pourraient faire remarquer que c’est suite au deuxième choc pétrolier. Réponse :
Aux partisans du partage du temps de travail, je ferai remarquer que l’entrée en vigueur des 35 heures s’est faite en 2000, soit APRÈS le rebond des années 90 (qui s’est d’ailleurs arrêté net après la mise en place de la loi). Ceci était principalement dû à une conjoncture mondiale favorable et des taux d’intérêts très faibles à cause de l’arrivée de l’euro.
On peut également noter que le taux d’emploi est relativement stable en France depuis 2000, même suite à la crise. Nous mentirait-on sur la gravité de cette dernière ?
Il faut bien avouer que l’acharnement (certes bien mérité) des médias et de la population sur le gouvernement actuel accentue l’impression que le chômage « explose », bien que le nombre de personne ayant un emploi par rapport à la population demeure relativement stable.
Si le ratio est stable la « qualité » de l’emploi a fortement diminué : le nombre de personnes avec un travail est relativement stable mais la proportion des emplois à temps partiel subi ou des CDD augmente fortement. Au premier trimestre 2014, 84% des embauches se faisaient en CDD, contre 66% en 2001.
Par charité je ne mentionnerai pas les salaires, pour lesquels chaque once d’augmentation part en cotisation ou en impôts.
La triste vérité est que nous n’avons encore rien vu.
Les pertes d’emplois depuis depuis 2008 dans le secteur marchand ont été en grande partie compensées par des emplois aidés ou des embauches dans les fonctions publiques territoriale et hospitalière. Le pire est donc malheureusement à venir car ce cataplasme à crédit ne pourra plus durer bien longtemps. En continuant à siphonner le capital destiné aux entreprises pour faire survivre un système étatique en faillite (cf règles sur les fonds propres des banques que l’on incite fortement à acheter des obligations adossées au trésor plutôt que de prêter à une PME), ce gouvernement organise, comme les précédents, une véritable crise. Le problème de François Hollande est qu’il risque d’être le président du déluge que tous ses prédécesseurs ont su reporté avec brio (le dieu de la météo nous a d’ailleurs donné un aperçu à l’île de Sein).
Afin de bien démontrer l’imposture du taux de chômage comme représentation de la situation de l’emploi(que ce soit quand elle s’améliore ou se détériore), mettons en parallèle ce dernier et le taux d’emploi en France et aux États-Unis.
On observe à taux d’emploi équivalent des taux de chômage complètement différents. Aux États-Unis, le taux de chômage diminue alors que la proportion des personnes avec un emploi est constante. En France c’est plutôt l’inverse pour le moment.
Concernant les États-Unis, il apparait évident que la soit-disante reprise n’est est pas une : malgré près de 5 ans de « croissance » le taux d’emploi demeure à ses niveaux au coeur de la crise. Mais nous savons tous que ce n’est pas la faute de la politique monétaire keynésienne de la Fed ou du manque de réforme budgétaire. C’est celle de l’ultra-néo-méga-giga libéralisme.
Parce qu’une image vaut mille mots, concluons avec une petite comparaison internationale (taux d’emploi des 15 ans et plus). L’oeil avisé du lecteur remarquera que le partage du temps de travail et la scalpation des patrons constituent le dénominateur commun aux pays qui réussissent.
Si la situation de l’emploi en France s’est peu détériorée ces 10 dernières années, c’est parce qu’en fait elle est en crise depuis bien plus longtemps. Depuis des décennies nos gouvernement successifs ont été incapables de redonner du souffle aux secteurs productifs et créateurs d’emplois, au détriment des plus fragiles.
Les mesures à prendre son simples et connues de (presque) tous, encore faut-il des hommes politiques courageux capables de les mettre en place. Espérons pour 2017…
Sources des graphiques : OCDE, INSEE, BLS, ONS
Bonus :
Voici une infographie que vous pouvez partager pour rappeler que, malgré le discours ambiant, la France est loin d’être l’antre de l’ultra-néolibéralisme.
Auteur: Romain Metivet
Romain Metivet est économiste et dirigeant d'une entreprise dans les nanotechnologies.
BA
5 octobre 2014Vendredi 3 octobre 2014 :
Sur le site Romandie.com, une phrase très importante concernant les Etats-Unis :
La participation au marché du travail, qui compte les personnes ayant un emploi et celles qui en recherchent un activement, a très légèrement reculé à 62,7% contre 62,8%, ce qui a un peu aidé à faire glisser le taux de chômage.
http://www.romandie.com/news/USA-le-taux-de-chomage-recule-a-son-plus-bas-niveau-en-six-ans-en_RP/523787.rom
En clair :
De plus en plus de citoyens étatsuniens abandonnent la recherche d’un emploi et ne sont même plus comptabilisés. Ils disparaissent des statistiques officielles, et le taux de chômage baisse donc mécaniquement !
Ainsi, le nombre de personnes qui ne sont pas dans la population active a bondi de 315 000 en septembre !
En septembre 2014, un record historique a été battu : 92,6 millions de personnes ne sont pas dans la population active !
Autrement dit :
Aux Etats-Unis, le taux de participation au marché du travail n’arrête pas de baisser.
De janvier 2000 à avril 2000, le taux de participation au marché du travail était de 67,3 %.
Malheureusement, depuis avril 2000, ce taux n’arrête pas de descendre.
En septembre 2014, le taux de participation est de seulement 62,7 %.
Ci-dessous, regardez le graphique intitulé « Labor Force Participation Rate ».
http://www.zerohedge.com/news/2014-10-03/labor-participation-rate-drops-36-year-low-record-926-million-americans-not-labor-fo
Voici les chiffres officiels du gouvernement US :
« Labor Force Participation Rate » :
http://data.bls.gov/timeseries/LNS11300000
Monard
3 octobre 2014Monsieur,
Permettez-moi une observation connexe à votre démonstration.
J’ai du mal à y entrer de plain-pied non pas tant sur le fond qu’en raison de la définition implicite que vous retenez de la population active à porter au dénominateur du taux de chômage.
En effet, quel sens cela a-t-il de comparer dans le taux de chômage des salariés dont certains sont assurés de ne jamais connaître le chômage (ceux du secteur public et para-public à statut) et dont les autres y sont exposés sans filet (les salariés de Droit privé) et figurent seuls au numérateur ?
Si l’on calculait un taux de chômage sur la seule population homogène des salariés du secteur privé, l’on obtiendrait certes des valeurs bien plus élévées du taux de chômage, mais ne serait-ce pas plus fidèle à ce nous ressentons tous de la déliquescence de notre Économie ?
Cela ne donnerait-il pas également une puissance de persuasion accrue à vos analyses, de ce fait ?
Bien cordialement,
Éric Monard.
P
1 octobre 2014excellent article.
En filigrane dans votre phrase « les pertes d’emplois depuis depuis 2008 dans le secteur marchand ont été en grande partie compensées par des emplois aidés ou des embauches dans les fonctions publiques territoriale et hospitalière. » il y a les faux emplois (publics ou subventionnés)
Ne serait-il pas possible de rendre ce filigrane plus apparent, en distinguant l’emploi privé de l’emploi public ?
Nolife
30 septembre 2014Bonjour,
Merci pour l’article, mais il y a une ambiguité à propos du chômage US, on nous dit que ça baisse, presque 6 % de chômage mais le taux d’emploi remonte très lentement, est-ce que ça stagne chez eux ou sont-ils en reprise lente mais sûre ?
Merci
Romain Metivet
30 septembre 2014Le taux d’emploi aux États-Unis a très légèrement remonté. En revanche l’amélioration du taux de chômage vient principalement de l’exclusion d’une bonne partie de la population active. Aux États-Unis, rien que absorber la croissance démographique (nouveaux entrants + immigration) il faut entre 150.000 et 200.000 créations d’emploi par mois, ce qui a très rarement été atteint dans les 5 années précédentes.
Avant la crise le taux d’emploi était d’environ 63% et il est tombé à 58,3% en 2009. Il est aujourd’hui de 59%. En 5 ans on a gagné 0,7 points. À ce rythme là il faut compter une trentaine d’années pour retrouver un taux d’emploi pré-crise…
jimmie19
30 septembre 2014Le deuxième graphique me plaît beaucoup car il démontre, une nouvelle fois, l’efficacité de la chomageogénèse mittérandienne et jospinienne, en attendant Hollande.
Par contre je ne comprends pas bien le commentaire dessous qui a l’air de relier l’amélioration des années 90 à la mise en place de l’euro (en 2002) : ?
En tous cas bravo pour cette belle démonstration.
Romain Metivet
30 septembre 2014En plus de la conjoncture mondiale relativement favorable, la mise en place de l’euro a nécessité au préalable une convergence des taux d’intérêts pour tous les pays. Cette baisse des taux dirigée et artificielle a certainement contribué à une plus forte croissance (par la dette et un financement à bas coût que ce soit dans le privé ou le public)… jusqu’à ce que ça ne tienne plus. Tout se paye en économie…
Romain Metivet
30 septembre 2014Et merci pour votre commentaire !
jimmie19
30 septembre 2014Cà y est, j’ai compris! Lumineux.
Merci