23 janvier, 2020

Le sens des mots

Du bon usage des adjectifs

 

La langue est facétieuse : employer un synonyme, un euphémisme, une litote et c’est tout le sens du réel qui est transformé. On le constate notamment lors des opérations militaires. On ne dit plus « assassiner » ou « tuer », mais « neutraliser ». On ne parlera pas de djihadiste ou d’ennemi, mais « d’agresseur ». Et dans le cas des attentats en France réalisés à l’aide de couteau, on parle souvent « d’attaque au couteau » et non pas « d’attentat commis avec un couteau ». Il est vrai que la phrase « un djihadiste a été assassiné » est plus forte que « un agresseur a été neutralisé ». Un agresseur, ce peut-être un cycliste qui grille un feu rouge, un « jeune » qui s’en prend à une femme ou toute autre chose de ce genre.

 

Lors des « attaques au couteau » il est souvent dit que les personnes sont « poignardées ». En réalité, elles sont, dans un grand nombre de cas, « égorgées ». On comprend que ce terme est plus brutal et évoque des images plus sanguinaires que le simple fait d’être poignardé. Cela renvoie aussi à une dimension religieuse. Les djihadistes égorgent leurs victimes comme les agneaux conduits à l’abattoir. Cela s’inscrit dans une dimension sacrificielle et rappelle que ces actes ne sont pas de simple agression, mais qu’ils ont une dimension religieuse éminente. Toute chose que l’on cherche à occulter.

 

Les adjectifs controversés

 

La polyphonie des mots est bien illustrée en politique. Rien de tel pour discréditer un adversaire et l’empêcher de s’exprimer que de lui coller l’étiquette « extrême-droite » ou, dorénavant « ultra-droite » ou « droite radicale ». Ces termes-là semblant un peu éculés, c’est désormais le qualificatif « populiste » qui est employé. On le comprend, être proche du peuple, c’est bien, être populiste, c’est mal.

 

Autre adjectif dépréciatif : « controversé ». Quand un journaliste veut assassiner quelqu’un l’air de rien il dit que cette personne est « controversée ». Par qui ? Au sujet de quoi ? Nul ne sait, mais « controversé » est la dosette du prêt à penser qui assassine. Il y a aussi la fabuleuse expression « créer la polémique ». C’est moins insidieux que « controversé », moins perfide, mais tout aussi mauvais. On a le droit d’être transgressif, de casser les codes, d’être anticonformiste, mais surtout pas « de créer la polémique ». Polémique d’ailleurs bien souvent allumée par les boutefeux journalistiques au sujet d’une personne qui a eu le malheur d’exprimer une pensée complexe.

 

L’étiquette libérale est elle aussi très négative. Être libéral, voilà qui discrédite son homme. Un libéral est forcément « controversé » et ne cesse « de créer la polémique ». Il est possible de monter en gamme : néo-libéral, ultralibéral, si le premier adjectif ne suffit pas. Ainsi dans un débat, Monsieur X, libéral, a la mauvaise part. Alors que Monsieur Y, communiste stalinien nostalgique de Mao et admirateur de Castro est lui du bon côté du manche.

Problème : « illibéral » est lui aussi mauvais. C’est le qualificatif que l’on réserve pour les régimes d’Europe de l’Est, qu’il revendique par ailleurs. Mais si on ne peut être ni libéral ni illibéral, où aller ?

 

Populiste : le drôle de mot

 

Populiste a fleuri aux alentours des années 2012. Comme nazi, fasciste, raciste, franquiste et autre pinochiste avaient été trop utilisés, il semblait nécessaire de faire usage d’un autre adjectif. Il y a donc « les populistes ». On y trouve pêle-mêle Donald Trump, Jair Bolsonaro, Matteo Salvini, Viktor Orban, Rodrigo Dutertre, Boris Johnson, Vladimir Poutine et Marine Le Pen, trop heureuse de figurer parmi les grands. Il y a une internationale populiste, version satanique de l’internationale communiste. Et donc la presse de nous expliquer qu’il y a « une montée des populismes » et un « arc populiste ». Ce qui laisse perplexe. Ces personnes ont été élues de façon démocratique, en respectant les règles électorales de leur pays. Ce qui visiblement semble mal. Castro qui prend le pouvoir par la force, Chavez et Maduro qui le conservent par la répression ; c’est positif. Mais ces présidents élus par le suffrage universel, c’est nécessairement négatif. Curieuse façon de rejeter la démocratie, tout en se disant démocrate.

 

Comme d’assimiler tous ces régimes entre eux, comme s’ils constituaient une internationale avançant de concert. Les électeurs brésiliens, américains, italiens, hongrois, etc. votent d’abord en fonction des problèmes de leur pays et regardent assez peu l’assiette de leur voisin. Les Philippins ne se préoccupent guère de ce que pensent les Hongrois ou les Brésiliens. Mais comme la peur est le meilleur moyen de tenir une population et de la diriger, il apparait nécessaire d’agiter le chiffon rouge populiste. Après lui, de quoi parlerons-nous ?

 

Parti ou mouvement politique ?

 

L’autre nouveauté semble être la disparition des partis politiques, dont le nom même n’est plus prononcé. En France, ceux-ci se sont formellement constitués en 1901, avec la loi autorisant les associations. À ce titre, le parti radical est le plus ancien parti politique du pays. Après avoir dominé la vie politique française entre 1900 et 1945, il a brutalement disparu, mangé par les socialistes et les communistes ainsi que par le parti gaulliste. Le CNIP, Centre national des indépendants et paysans, a connu son heure de gloire dans les années 1950-1960. S’il existe encore formellement aujourd’hui il ne pèse plus rien.

 

Les partis ne sont pas immortels. Rien de surprenant donc que le Parti socialiste disparaisse. Les conditions économiques et sociologiques qui ont permis sa naissance et son développement ne sont plus réunies. Quant à LR, héritier des multiples partis de droite issus du gaullisme, il est mort de son refus d’appliquer la politique promise à ses électeurs. Ces deux partis ont rejoint le PCF dans le cimetière des partis disparus. Aujourd’hui, on parle de mouvement ou d’association, mais cela semble en être terminé des partis.

 

En Allemagne, les partis politiques ne se portent pas mieux. La CDU et le SPD sont fragilisés, devant sans cesse trouver des moyens de coalition. L’AfD d’un côté, les Verts de l’autre les grignotent. En Italie, la démocratie chrétienne comme les partis de gauche ont eu aussi disparu. La Ligue a raflé la mise et mangé ses alliés. En Espagne également, les deux partis traditionnels sont en position de faiblesse, débordés par Podemos d’un côté et Vox de l’autre. Est-ce seulement un changement de nom et la poursuite des mêmes idées dans d’autres structures politiques ? Toujours est-il que cela transforme le paysage politique de ces pays d’Europe.

 

Il n’y a qu’aux États-Unis et au Royaume-Uni que les partis classiques demeurent. En organisant le référendum sur le Brexit, David Cameron a évité que le parti conservateur ne soit siphonné par Nigel Farrage et Boris Johnson a réussi à le purger de ses éléments les plus complaisants. Les mots semblent avoir retrouvé leur sens : la distinction entre conservateur et travailliste est plus claire aujourd’hui qu’elle ne l’était à l’époque de Tony Blair ou de John Major.

 

« Donner un sens plus pur aux mots de la tribu » selon le vers de Stéphane Mallarmé dans son Tombeau d’Edgard Poe est une nécessité aussi bien journalistique que politique. Dire les choses, ne pas sombrer dans la novlangue qui cache et donc occulte, pour que les personnes puissent connaître et faire les bons choix.

 

 

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

12 Commentaires

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  • Vandevelde

    7 février 2020

    Bonjour d’habitude j’apprécie vos billets mais là je me suis très vite arrêté car je ne vous trouve pas du tout objectif.
    Dans le paragraphe populistes vous dennoncez Chavez et Maduro qui conserve le pouvoir par la répression et les mettez en opposition avec des présidents élus. Mais pourtant cess présidents vénézuélien ont bien été élu, dans un système électorale qualifié par un ancien president américain comme le meilleur au monde. Les mouvements de contestation du pouvoir au Venezuela sont a mettre en parallèle aux mouvements de soutient au pouvoir dont on ne parle peu. Et la répression au Venezuela n’a pas grand chose a envier à la répression en France sous la présidence de Mr Macron.
    Du coup Mr Macron , est il a mettre sur le même plan que maduro et Chavez?
    Enfin un président peut être démocratiquement élu c’est vrai, mais cela en fait il un représentant légitime quand le taux d’abstention est supérieur a 50%?
    Les mouvements de grèves, de contestation en France ne sont ils pas liés justement parce qu’une grande partie de la population ne se sent pas représentée par leurs representants démocratiquent élus mais non légitime?

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  • Bernard

    31 janvier 2020

    Tout ce qui est énoncé dans cet article découle du poid démesuré qu’ a l’ extrême gauche dans tous les rouages de l’ état. Le communiste italien Gramsci disait que si la gauche parvenait à s’emparer de l’éducation et de la culture, le pouvoir politique tomberait comme un fruit mûr trente ans plus tard……
    La grande majorité des français ne sait pas à quel point l’extrême gauche si minoritaire aux élections est paradoxalement si prédominente dans les secteurs clefs de l’ éducation, de la culture, de la justice, des médias ainsi que dans tous le secteur public.

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  • Antoine

    28 janvier 2020

    Il y a aussi « Famille Politique » très utilisé aujourd’hui, pour n pas dire « Parti »
    Merci pour cet excellent article.

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  • Steve

    27 janvier 2020

    Bonjour
    Un adjectif oublié dans cet excellent article: insoumis….
    Il existe un parti qui se revendique de l’insoumission, je crois que tous en ont entendu parler, même les mal …….ts ( chacun pourra compléter selon son gré) . Le paradoxe de ces insoumis, c’est que le fonctionnement interne de leur parti a été longuement décrit par plusieurs de ses cadres qui l’ont quitté, dépités, comme exigeant la soumission totale au chef et à sa coterie….. Bref pour se dire Insoumis dehors, il faut accepter d’être soumis dedans .  » Va comprendre Charles! » ( André Pousse -Prolégomènes de la raison populaire-p.154 – PUF 1968-) Et comme l’aurait, peut être, ajouté A. Vialatte:  » Et c’est ainsi qu’Allah est grand! »

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  • PHILIPPE LE BEL

    25 janvier 2020

    «Quand les hommes ne peuvent changer les choses, ils changent les mots» (Jean Jaurès).

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    • H.

      13 février 2020

      Qu’on peut compléter par celle-ci attribuée à Platon: « La perversion de la cité commence par celle des mots ».

  • Philippe

    25 janvier 2020

    Il manque a votre article le mot majeur , dont l’emploi massif sert de marteau-pilon au camp du Politiquement Correct : JEUNE .
    Jeune sert a camoufler, l’islamisme, la délinquance , la drogue , la violence, l’incivilité , l’ignorance , la soumission .
    Dans la pseudo-presse de Droite ( Le Figaro ) j’essaye de démasquer ce camouflage permanent en envoyant mon commentaire aux nombreux articles ou le mot  » jeune  » remplit sa fonction édulcorante .
    Figurez-vous que 9 fois sur 10 , le groupe des  » modérateurs  » censé filtrer les messages et empécher la diffusion de haine, me censure . Bien entendu je reste des plus civils dans ma reaction pour ne pas froisser le  » modérateur  » et tenter de passer la barrière de la censure .
    Je tiens a votre disposition les commentaires et les refus de publier des  » moderateurs  » .
    C’est une censure très significative de l’ etat d’esprit de soumission du Figaro .
    Il y a de quoi publier un livre .

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    • Charles Heyd

      25 janvier 2020

      Les esprits « libres » vous diront que censure et auto-censure ne sont pas la même chose!
      Hélas, je crains que la censure soit moins nocive que l’auto-censure!

  • JLP

    24 janvier 2020

    Effectivement l’art de l’euphémisme est ancien (plus de 50 ans) : non voyant au lieu d’aveugle (c’est plus clair ainsi?), mais la classe euphémique utilise aussi dans le même sens mal voyant alors que tout myope par exemple est mal voyant ; mal entendant au lieu de sourd (ils n’utilisent curieusement pas le terme non entendant) ; mal comprenant pour andouille (ah non? Tiens je croyais…).
    Comme si le fait de désigner les choses par leur nom risquait de les aggraver.
    La bêtise de ces gens est sans fond.

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  • Roger

    23 janvier 2020

    Votre article fait écho à ma lecture du moment « L’empire du politiquement correct » de Mathieu Bock-Côté ou comment une minorité bien pensante impose sa vérité en inhibant les débats par l’exclusion des avis contradictoires, soit en les discréditant (ultralibéral, racisme, extrémiste, …) soit en activant les peurs via les univers les phobies : xénophobe, … Pas étant que dans nos démocraties, les populations ne se retrouvent plus dans les partis politiques classiques et que ces derniers disparaissent. Je recommande vraiment le livre.

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  • Pierre 82

    23 janvier 2020

    « Macron ultralibéral » est une rengaine qu’on entend tous les jours, et qui me désole profondément.
    J’ai le souvenir lorsque j’étais étudiant et qu’on discutait avec des personnes d’extrême-gauche des « brillantes réussites » de l’économie soviétique, inévitablement ils me répondait que « ce n’est pas vraiment du communisme en URSS ».
    Et maintenant, c’est moi qui passe mon temps à répéter que le libéralisme n’a rien à voir avec le capitalisme de connivence. Situation inconfortable, de grands moments de solitude parfois…
    Je pense qu’un jour, il faudra que les libéraux prennent acte que le terme « libéral » a été volé par la gauche, de telle manière qu’il corresponde à une caricature et qu’il est devenu inconvenant de se présenter comme libéral. Il faudrait peut-être utiliser les mêmes armes, et changer de dénomination.
    Même les communistes ont changé de nom, c’est dire!!! Ils se nomment eux-même « les insoumis », ce qui est contresens, puisque leur ambition est que chaque citoyen soit soumis à l’état…

    Petit exercice: essayez de relire un commentaire journalistique en changeant les mots comme suit:
    – Macron = le maître de l’Elysée
    – la république = le régime
    – le gouvernement = les dignitaires du régime
    – les forces de l’ordre = les forces du régime
    – Arnault, Niel, Pinault, Dassault, Drahi et consort = les oligarques
    – etc…
    Vous verrez que le texte prend subitement une autre saveur…

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    • Charles Heyd

      23 janvier 2020

      Parmi les « insoumis » il y a aussi ceux qui revendiquent la liberté de se soumettre à celui qui est là-haut; mais en fait ils sont « soumis » à leur culture; c’est pourquoi Macron veut lutter contre le multiculturalisme; vaste projet aurait dit je ne sais plus qui!

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