Le marché haussier actuel pourrait se poursuivre encore pendant un an ou deux. Telle est l’opinion de certains stratégistes. Fin 2017, une série de risques pouvait menacer le scénario de l’alignement des planètes résultant d’une croissance mondiale soutenue accompagnée par une faible inflation. En 2018, quatre des dix problèmes potentiels avaient décru en intensité. À la fin de l’année, tous ces risques avaient nettement diminué. Cela résulte selon eux d’une incompréhension de l’environnement post-crise, comme en témoignent tous les commentaires excessifs sur la «stagnation séculaire» et sur une «nouvelle normalité» de croissance mondiale plus faible.
Le scénario de l’alignement des planètes est pourtant passé en surmutipliée. Les prix des actifs sont déterminés par l’interaction de l’activité économique et de l’inflation. Si nous vivons maintenant dans un monde de croissance modeste (mais positive), d’inflation faible (mais positive) et de taux d’intérêt faibles (voire négatifs), cet environnement est en effet extrêmement favorable pour la plupart des prix des actifs. Dès lors, les investisseurs ont-ils raison de tirer parti de l’expérience de ces dernières années et de la projeter encore dans le futur ? La combinaison de banques centrales pratiquant une politique monétaire extrêmement accommodantes et d’une baisse de l’inflation est-elle aussi durable que les investisseurs semblent le croire aujourd’hui? Au cours du premier trimestre, un rebond marqué a eu lieu dans presque toutes les classes d’actifs: actions, obligations de sociétés et matières premières. Un résultat aussi agréable a peu de chances de durer. Compte tenu de la politique des banques centrales, les investisseurs pensent qu’ils ne doivent pas s’inquiéter sur la croissance et sur la réduction des liquidités. Ils ne croient en effet plus aux risques d’inflation.
Une baisse du pétrole semble désormais peu probable. Les États-Unis menacent d’appliquer pleinement leur interdiction d’exporter le pétrole iranien, ce qui entraînerait une perte de 1,3 million de bpj sur le marché mondial du pétrole. Comme l’interdiction pourrait s’appliquer aussi aux exportations vénézuéliennes, Donald Trump appelle les pays du Golfe à combler le déficit d’approvisionnement. Il serait donc logique que le reste de l’OPEP augmente désormais sa production. Mais si une hausse du prix du pétrole importante se produit, cela augmenterait les anticipations d’inflation, menaçant l’environnement actuel pour les investisseurs. L’objectif de prix du président des Etats Unis semble se situer autour de 2,50 USD le gallon pour l’essence américaine. Le prix du pétrole devrait donc rester contenu avec un Brent se situant dans une fourchette approximative de 65 à 75 USD / b.
Tout retour de l’inflation aux États-Unis doit être surveillé de près
En ce qui concerne l’inflation, la situation pourrait rapidement changeret les investisseurs devraient être prêts à agir. La Fed a trois mandats, mais le contrôle des prix est la plus importante de ses missions. La Fed a changé de stratégie en décembre dernier en raison de l’évolution des anticipations d’inflation. Actuellement, il est peu probable que la Fed change de cap. Les marchés d’actifs ont fortement progressé du fait de la faiblesse de la Fed, mais, les États-Unis ayant presque atteint leur potentiel de croissance, les prévisions inflationnistes à la hausse pourraient entraîner une hausse des rendements obligataires. Les obligations longues ont donc peu de chances de surperformer. Les liquidités et quasi-liquidités se porteront bien si les anticipations d’inflation augmentent.
Les marchés boursier et obligataire américains semblent vulnérables du point de vue de la valorisation. Certains modèles d’évaluation du marché obligataire américain suggèrent que les rendements des obligations américaines à 10 ans sont trop bas de 31 points de base. Le marché actions est aussi surévalué si l’on utilise le niveau de rendement obligataire qu’il faudrait retenir. Depuis le milieu des années 80, les marchés boursiers et obligataires américains sont surévalués simultanément pour la quatrième fois, ce qui devrait inciter les investisseurs à se protéger avec des liquidités en dollars américains et des obligations à court terme.
Les déficits américains se sont considérablement accrus depuis 2016, malgré la vigueur de l’économie. Les dépenses obligatoires et les paiements d’intérêts dépasseront les recettes prévues du gouvernement américain vers 2030. Les décideurs américains doivent faire face à une gamme de choix courageux adaptés à une situation budgétaire difficile. Le manque de volonté d’accepter des choix difficiles explique l’intérêt actuel pour la «Théorie monétaire moderne». Malheureusement l’économiste français Jacques Rueff qui est peu lu aujourd’hui aimait beaucoup expliquer que l’inflation consistait à financer «des dépenses qui ne rapportent rien avec de la monnaie qui n’existe pas»…
En Chine, les rendements obligataires pourraient encore chuter
Les rendements des obligations chinoises ont chuté au cours des douze derniers mois, la politique monétaire de la Banque Populaire de Chine ayant été assouplie. Les flux étrangers sur le marché obligataire chinois ont été substantiels. La reprise de la croissance du crédit indique généralement des rendements obligataires plus élevés, mais le décalage dans le temps est difficile à prévoir. Les rendements obligataires pourraient encore baisser de 20 pb, mais probablement pas beaucoup plus loin.
La Banque Populaire de Chine a récemment indiqué un changement d’approcheen atténuant ses critiques sur le système bancaire parallèle. Après que la Chine ait fait pression sur la Réserve Fédérale pour éviter une nouvelle vague d’assouplissement quantitatif en 2010, la Banque populaire de Chine a été contrainte de resserrer sa politique. Au cours de la période 2010-2013, les politiques d’assouplissement quantitatif de la Fed ont été concomitantes avec le début de la révolution du pétrole de schiste et du resserrement de la politique monétaire chinoise. Aujourd’hui, les prix du pétrole grimpent en flèche ce qui constitue un environnement très différent.
Un accord commercial rapide entre les États-Unis et la Chine tiendra compte des succès remportés par le président Trump au cours des dernières semaines. Ces victoires peuvent le rendre moins enclin à faire des compromis. Il est étonnant qu’il ait révélé une grosse commande d’avions Airbus à ce moment là. C’est une façon pour la Chine d’envoyer des messages aux négociateurs américains.
L’économie de la zone euro s’est montrée relativement résistante
Les investisseurs dans les actions de la zone eurosemblent anticiper une reprise de la demande à l’exportation qui pourrait ne pas se concrétiser. L’Europe est devenue encore plus dépendante des exportations en tant que source de la demande. En ce moment, l’économie chinoise se stabilise et ne rebondit pas comme après les autres ralentissements récents. De même, il est peu probable que le Royaume-Uni trouve rapidement un moyen de sortir de ses problèmes avec le Brexit, ce qui signifie que l’on ne peut pas compter sur lui pour créer une nouvelle demande. Les exportations de la zone euro vers la Turquie ont baissé et le meilleur que l’on puisse attendre pour le reste de l’année est une stabilisation.
L’affaiblissement économique mondial synchronisé semble s’être atténuéen raison de l’application des mesures de relance. Si on examine l’Europe sous un angle différent on constate qu’ une guerre commerciale pourra probablement être évitée. La vaste économie de la zone euro s’est montrée jusqu’à maintenant relativement résistante. La BCE a réagi rapidement, ce qui change radicalement des pratiques du passé. Les salaires réels dans la zone euro devraient augmenter parallèlement à la baisse de la pression inflationniste. Le risque politique enfin ne semble pas devoir être un facteur décisif sur les marchés de la zone euro en 2019.
Les réformes fiscales allemandes des années 2000 ont découragé les investissementsdu secteur privé, tandis que les investissements publics ont été insuffisants. Les entreprises allemandes n’ont pas suivi le rythme des investissements dans les nouvelles technologies. C’est pourquoi une augmentation des investissements dans les infrastructures et une réforme financière pourraient aider, mais Berlin préfère rembourser ses dettes et essayer de promouvoir des champions nationaux. Il y a à peine 15 ans, l’Allemagne était toujours l’homme malade d’Europe. L’évolution favorable du marché de l’emploi a entraîné une forte augmentation de la compétitivité de l’Allemagne. Des réformes dans d’autres domaines sont maintenant nécessaires parce que les réserves de nouveaux travailleurs potentiels sont presque épuisées et que les salaires augmentent à nouveau en termes réels avec une croissance plus rapide que celle de la productivité.
Le Royaume-Uni se retrouve avec un Brexit souple basé sur une série d’arrangements temporaires sans fin…
La logique d’une longue extension du Brexitdevra prendre en compte ces deux points importants : 1 / les États membres de l’UE ont déjà signifié qu’ils rejetaient le « No Deal » en tant qu’approche fondamentale 2 / la possibilité que Theresa May ne tienne pas compte de la volonté exprimée par le Parlement britannique doit être considérée comme faible. Il est probable que le Royaume-Uni se retrouvera dans une situation de Brexit souple reposant sur une série d’arrangements temporaires similaires à ceux conclus par la Norvège et la Suisse. Lorsque les électeurs britanniques se rendront compte de l’ampleur du compromis qu’implique le Brexit, il y a également de fortes chances qu’ils renversent le Brexit. Les économies de l’UE devraient être alors les grands gagnants de tout ce psychodrame. Si le Royaume-Uni se retire du Brexit, cela enverra aussi un signal puissant aux dirigeants eurosceptiques des autres pays de l’UE.
Pour les marchés émergents, le seul catalyseur de la croissance devrait provenir de la Chine
« Parmi les pays émergents, il faudrait favoriser l’Asie du Nord ». Les pays émergents ont été soutenus par les attentes d’un dollar américain plus faible et l’espoir d’une trêve de guerre commerciale, mais le ralentissement de la croissance en dehors des États-Unis a gâché le tableau. Les monnaies des pays émergents peuvent se renforcer mais seulement s’il existe un catalyseur de croissance qui devrait provenir de la Chine, ce qui profitera aux marchés de l’Asie du Nord.
La Turquie est maintenant clairement incitée à suivre des politiques plus conventionnelles. Le président Erdogan risque de faire évoluer son discours. Le calendrier politique constitue pour Ankara une forte incitation à adopter des politiques minimisant la probabilité d’une nouvelle vente abrupte de la lire. D’ailleurs le contrat à terme à trois mois a récemment atteint un rendement implicite de 35%. La Turquie pourrait devenir une opportunité tactique car un tel niveau de rendement compense en grande partie les investisseurs pour le risque de change à court terme…
Il est difficile de voir beaucoup plus de potentiel de hausse en Inde. Le pays se dirige vers un parlement ingouvernable, le BJP de Modi étant sur le point de perdre sa majorité absolue. La part de vote ne se traduit pas par une part équivalente de sièges parlementaires. Le BJP de Modi risque de perdre la moitié de ses sièges dans le plus grand État indien, l’Uttar Pradesh.. Il y a maintenant environ 25% de chances que le BJP abandonne Modi afin de former une coalition. Avec des évaluations qui semblent tendues, il est difficile de voir beaucoup plus de potentieà ce marché.
Le risque de confusion après les élections est élevé en Indonésie.Le défi de Prabowo, le challenger populiste, gagne du terrain sur le président sortant Jokowi. Les actifs indonésiens ont largement surperformé au cours des six derniers mois. Les actions et les obligations en monnaie locale ont affiché un rendement d’environ 20% en dollars américains, soit plus du double des gains des marchés émergents. Prabowo combine le nationalisme économique avec des appels au vote islamique. Le risque est élevé, mais un environnement de liquidité plus favorable et des fondamentaux solides continueront de jouer en faveur de l’Indonésie.
À propos de secteurs, thèmes
Les actions du secteur de la santé ont sous-performéen dépit des prévisions de bénéfices qui ont été moins réduites que pour l’ensemble du marché. Il faut seposer la question de savoir dans quelle mesure le ralentissement du secteur de la santé risque d’être contagieux. Il est difficile d’attribuer les problèmes de santé aux problèmes de taux d’intérêt, qui n’ont pas beaucoup augmenté et qui n’ont pas affecté des secteurs similaires comme celui de la technologie. Il se pourrait en revanche que les soins de santé réagissent à un environnement politique modifié aux États-Unis. Les investisseurs se rendent compte progressivement du risque que représentent les candidats de gauche aux États-Unis et que cet effet sera contagieux pour d’autres secteurs…
La phase rapide de croissance des smartphones est maintenant terminée. Les ventes de smartphones en Chine ont atteint un sommet en 2016. On assiste à la fin de la croissance pour les smartphones. Les ventes sur les marchés développés se composent maintenant presque entièrement de remplacements. La croissance des ventes de smartphones en Inde et en Afrique sera plus lente qu’en Chine. Le volume des ventes d’iPhone d’Apple incarne la maturité du secteur. Des ventes de smartphones plus faibles signifient une croissance plus lente en Asie. Les fournisseurs de composants en ressentent déjà les effets. La 5G affectera plus l’industrie que les consommateurs, du moins dans ses premières années. Les smartphones ressembleront davantage à des PC, mais les nouvelles applications offriront des opportunités intéressantes…
Les prix de l’énergie jouent un rôle important dans la fixation de l’inflation américaine.
En 2010, la crainte d’une hausse de l’inflation était confortée par la conviction répandue d’un supercycle des produits de base. Il ne faut pas oublier que l’énergie a des caractéristiques différentes de celles des autres matières premières. Il existe également un élément psychologique important dans les prix de l’énergie, qui diffère des prix des autres produits. L’impact du «miracle» du schiste américain doit donc être pris en compte lors de l’évaluation des tendances inflationnistes. Au cours des deux dernières décennies, la croissance de la demande de pétrole a été relativement stable. Les investissements en capital dans le secteur de l’extraction des ressources ont ralenti depuis 2012. Les investisseurs ne sont pas positionnés si le secteur des ressources redevient une source de pression inflationniste…
Auteur: Jean-Jacques Netter
Jean Jacques Netter est diplômé de l’École Supérieure de Commerce de Bordeaux, titulaire d’une licence en droit de l’Université de Paris X. Il a été successivement fondé de pouvoir à la charge Sellier, puis associé chez Nivard Flornoy, Agent de Change. En 1987, il est nommé Executive Director chez Shearson Lehman Brothers à Londres en charge des marchés européens et membre du directoire de Banque Shearson Lehman Brothers à Paris. Après avoir été directeur général associé du Groupe Revenu Français, et membre du directoire de Aerospace Media Publishing à Genève, il a créé en 1996 Concerto et Associés, société de conseil dans les domaines de le bourse et d’internet, puis SelectBourse, broker en ligne, dont il a assuré la présidence jusqu’à l’ absorption du CCF par le Groupe HSBC. Il a été ensuite Head of Strategy de la société de gestion Montpensier Finance.
PHILIPPE LE BEL
11 mai 2019Bonjour,
Bravo pour cet article à la « pensée complexe » comme pourrait le dire notre cher Président…
Monsieur Nouriel ROUBINI parlait il y a quelques années d’ une « nouvelle anormalité de l’économie mondiale »… Les faits lui ont donné raison au vu de l’attitude des banques centrales qui font tout pour que les Etats ne coulent pas à cause de leur endettement, les marchés actions et obligataires ne craquent pas du haut de leur sommet stratosphérique. Elles sont comme les souris qui galopent dans une roue enfermées dans leur cage. « Ils sont devenus fous »…
Valjean
9 mai 2019Bon, alors, moi j’ai vraiment rien compris à ce que vous dites ! Et Charles, il dit que si on comprend pas, c’est que c’est des conneries, du baratin.
Je gagne 3,7x le salaire médian en France, et j’aurais du mal à me payer un clapier à Paris, où pourtant je travaille. Et ça me vaut 3h30 de transports par jour, soir 17h30 par semaine, plus de deux jours ouvrables ! Donc, ma prévision, c’est que ça va péter, parce que c’est insupportable.
J’ai juste ?
;-D
Robert
14 mai 2019Si c’est insupportable pour vous, imaginez ce que c’est pour celui ou celle qui gagne moins que le salaire médian… Est-ce que ça va « péter » ? Pas dans l’immédiat, tant que les prestations sociales seront versées et que les salariés « bien payés » garderont leur job. Mais il est vrai qu’avec la fine équipe au pouvoir actuellement, on ne peut rien exclure en matière de gaffes… pour parler poliment !
PHILIPPE LE BEL
16 mai 2019Bonjour,
Ben… non, ça va pas péter parce que vous avez un crédit pour la voiture, un autre pour votre logement, il faut payer un scooter à chacun de vos enfants, la cotisation de votre salle de sport où vous n’allez pas, votre abonnement téléphonique, votre box, vos impôts qui servent à payer, entre autres, nos politiciens qui roupillent à l’assemblée ou au sénat quand ils y vont et que vous ne voyez que lors des élections… bref, la carotte fait avancer la mule… et quand la carotte ne marchera plus, ce sera le bâton.
Ockham
9 mai 2019Rien n’est dit ni écrit mais votre approche du Brexit est très pragmatique et de bon aloi. L’Europe n’ayant pas d’énergie, pas de position dominante dans l’univers de la digitalisation de l’économie, a pour elle une grande diversité cassant les fragrances du pouvoir. En outre le passage à d’autres énergies peut effectivement changer la direction du fléau de la dépendance vis à vis du pétrole. Certes l’Euro est un nain à coté du dollar mais tout de même, c’est mieux que le Franc ( la Lire …) dans une France fermée. Avant tout la Grande-Bretagne devrait rester car elle est la meilleure pour critiquer nos institutions européennes.
Philippe
9 mai 2019Monsieur Netter , que pensez-vous de la dette de l’ Etat federal aux USA ( 20,000 Mds $) et que vont dècider les principaux détenteurs de Treasuries ?
La croissance a 3% rapporte 600 Mds $ tandis que la dette federale passe les 4,5% ( 1000 Mds ) sur GDP .La croissance ne peut donc suffire a couvrir la dette , d’ou la necessité de taux d’interet plus élevé que le reste du monde pour emprunter a ce meme reste du monde .
Je pense souscrire des obligations en US$ a long terme ( 10 ans et plus ) . Qu’en pensez-vous ?
Le dilemne semble reduire les dépenses + augmenter les impots ou bien continuer la fuite en avant en dépensant toujours plus . La suite immédiate de la réelection de Trump en novembre 2020 pourrait signaler un changement de cap de sa politique de » supply side » ?