NDLR: Le présent article résulte d’une correspondance entre Charles Gave et Gérard Buffiére (ex Directeur Général D’Imerys et actuel président de gyp industries)
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“Mon Cher Charles,
J’ai lu avec beaucoup d’intérêt votre papier sur la debt trap italienne, espagnole… et celle qui vient en France, et qui existe d’ailleurs déjà, puisque la croissance de la France est très inférieure à ses taux mimimun réputés bas.
J’ai lu aussi votre analyse, montrant en gros que la mutualisation des dettes ne sort pas l’Italie , ni d’autres pays de la trappe, tout en enfonçant la France et d’autres.
J’ai lu aussi avec intérêt les papiers de François Chauchat et Anatole Kaletsky, qui font apparaître les ordres de grandeur des masses financières en cause dans le cas d’un break up, ordonné ou pas de la zone Euro.
Les chiffres sont terrifiants, et avant de remuer dans un désordre probablement impossible à éviter des chiffres qui sont commensurables avec le GDP de la dite zone, tout responsable (je ne sais pas ce que ce mot recouvre…) hésitera avant de lancer la mère de toutes les crises économiques.
Il me semble donc que ce break up sera la dernière chose qui se produira après que toutes les autres voies aient été explorées et épuisées, et qu’il n’y ait d’autre alternative que les émeutes massives dans de grands pays , avec des gouvernements de type Syriza partout.
Il me semble donc que nous allons vivre avec cet Euro, cahin caha, ce qui rendra d’autant plus urgent de faire les réformes de structure dans des pays comme la France, essayant de ne pas empirer les différentiels de compétitivité avec les pays du nord.
Encore une fois , il me semble que même si votre analyse est logique, cohérente avec les valeurs démocratiques dont se pare l’Europe, personne n’osera, sauf poussé par une révolution violente, lancer une crise mondiale massive que personne ne sait décrire, à ma connaissance du moins.
Y a-t-il un démontage plus paisible ?, je ne sais pas, mais je vois mal des politiques lancer ce chantier de démolition, car il me semble qu’on ne sait en décrire les phases et les conséquences collatérales massives dans le contexte d’imbrication financière où nous vivons.
Dans ce contexte, et à supposer que mon propos ne soit pas totalement erroné, que faire? :
1. Gérer mieux les dettes et surtout les taux d’intérêt par un process acceptable, et qui permette de trouver une sorte de régime de croisière qui ne tuent pas les pays endettés en pleine aspiration de trappe à dette. Ce qui sera acceptable demain est surement plus que ce qui est dans les traités et les constitutions aujourd’hui.
2. Restaurer de la compétitivité. A titre d’exemple, la France revenant aux 39 ou 40 heures referait 10 ou 12% de compétitivité vs l’Allemagne. Mettre un peu de TVA sociale et shifter des charges sociales sur cette TVA ajouterai encore qq points. Un gouvernement socialiste courageux, (un oxymore?) pourrait seul le faire.
Je suis conscient que faire revenir la croissance nécessitera d’avoir calmé les marchés.
J’aimerais encore une fois que les meilleurs esprits et vous en premier, décrivent ce que pourrait être un scénario de survie de l’Euro, à moyen terme en tous cas, car personne n’osera l’euthanasier consciemment.
C’est angoissant, mais votre équipe est probablement bien placée, par sa compétence économique et sa diversité de vision pour décrire les possibles.
Amicalement
Gérard Buffière”
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Réponse de Charles Gave
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Mon Cher Gérard,
Voici une réponse aux questions que je peux apporter aux questions que nous nous posons tous et je vais essayer de donner aussi les points de vue d’Anatole Kalentsky et de Francois-Xavier Chauchat, le plus honnêtement possible
· En ce qui concerne la survie de l’Euro
Les points de vue d’Anatole et de FX ici se rejoignent. L’Euro ne peut pas survivre si les taux longs sont substantiellement au dessus du taux de croissance des économies sous jacentes (TRAPPE A DETTES) et si la structure institutionnelle actuelle c’est à dire interdiction par les traités d’une mutualisation de la dette et interdiction similaire d’un achat direct d’obligations par la BCE se maintient.
De ce fait, il ne peut y avoir survie de l’Euro que si la dette est mutualisée (et à mon avis cela ne suffira pas, cf. mon papier) ou si la BCE est autorisée à acheter MASSIVEMENT des obligations de ces Etats de façon à ramener les taux d’intérêts « manu militari » en dessous du taux de croissance à des niveaux comparables à ceux que l’on voit sur la dette Allemande, Anglaise ou Américaine.
Si cela pouvait être fait, il est probable que cela donnerait du temps pour effectuer les reformes.
Cette solution devrai être accompagnée d’une mise sous tutelle par la BCE des banques Européennes et par une garantie Européenne donnée à TOUS les dépositaires ou qu’ils soient, avec le risque de hasard moral que cela comporte. Cela veut dire passer dans un système financier ou la concurrence entre banquiers n’existera plus…et ou l’intervention politique dans le système financier ne cessera de croitre.
Il ne faut pas se cacher cependant que cette solution a été expressément interdite par les traités et qu’elle se heurterait peut être à un veto de la Cour Constitutionnelle Allemande.
Qui plus est, cela reviendrait pour chacun des Etats à abandonner a peu prés complètement leur souveraineté dans le domaine budgétaire qui serait exercée par une espèce de Commission qui serait de fait et de Droit sous contrôle Allemand, ce qui ne manquerait pas de créer des problèmes politiques partout en Europe.
Au cas ou l’Allemagne refuserait cette solution, Anatole pense que les pays du Sud pourraient essayer au travers d’un vote au conseil de la BCE de forcer la BCE à acheter ces obligations, les Allemands n’ayant que trois voix se trouvant donc mis en minorité. Il leur faudrait donc soit se soumettre soit se démettre. La démission reviendrait à ce que l’Allemagne sorte purement et simplement de l’Euro et dans ce cas on peut penser que l’Euro croupion verrait son cours s’effondrer contre toutes les monnaies. Un tel effondrement rendrait à nouveau des pays comme l’Italie la France et l’Espagne compétitifs, ce qui permettrait a ces pays de procéder aux reformes de structures dont ils ont besoin. Cependant si l’Italie (par exemple) procédait a ces reformes et pas la France, nous nous retrouverons très rapidement ramené au problème précédent…
Nous avons donc deux « solutions » pour que l’Euro survive : la solution fédérale couplée à une monétisation de la dette et à une garantie des dépôts par la BCE ou la sortie de l’Allemagne de l’Euro.
De loin la plus probable et la moins dangereuse politiquement des deux me semble être la sortie de l’Allemagne.
Mais l’Euro survivrait et de toutes les solutions c’est certainement celle qui couterait le moins. Elle implique cependant une nationalisation et une recapitalisation des banques Allemandes ainsi que la Bundesbank qui n’ont pas les fonds propres pour accepter une perte de plus de 30 % sur leurs actifs étrangers.
· En ce qui concerne le cout de la rupture, ici nous avons des différences profondes entre FX et Anatole d’un coté et Louis et moi de l’autre qui je le crois sont bien mises en valeur dans notre recherche. Anatole et FX comparent la rupture de l’Euro à la faillite de Lehmann et calculent les pertes gigantesques qui s’en suivraient. L’autre point de vue est que les pertes actuelles sont déjà inimaginables (chômage , faillite des systèmes bancaires, faillite de 5 Etats souverains en Europe) et que la plupart des institutions ont déjà pris leurs précautions. Qui plus est, je n’ai jamais vu que dans l’histoire si l’on mettait à mort un systeme qui ne marche pas comme l URSS ou l’étalon or cela n’ait jamais été une mauvaise nouvelle
· En ce qui concerne les reformes structurelles qui doivent être faites, la nous sommes tous d’accord, mais je ne connais pas d’exemples de telles reformes qui aient eu lieu et qui aient réussi sans qu’au préalable nous n’ayons eu une immense dévaluation qui permet de remplacer la demande interne , détruite par les reformes par une demande externe. Il s’agit en effet de transférer des sommes gigantesques du rentier vers l’entrepreneur et cela peut se faire sans douleur et sans faillite obligataire si le taux de change s’écroule et recrée les conditions de la croissance. Laval et Rueff avaient essaye dans le cadre de l’étalon or en 1934 et avaient aussi piteusement échoué que la Grèce l’Espagne ou l’Italie sont en tain de le faire en ce moment. Une sortie de l’Allemagne de l’Euro serait la bonne solution dans ce cadre la. Il est a peu près certain que dans ce cas, la Finlande et le Danemark sortiraient immédiatement de l’euro pour se rapprocher de l’Allemagne et que la Hollande , l’Autriche , la Slovénie et la Slovaquie ne seraient pas loin derrière. Nous aurions créé un Euro du Nord et un Euro du Sud… ce qui après tout serait peut être une solution.
· Enfin, en ce qui concerne notre participation aux débats, je sais qu’Anatole en GB et FX en France sont très actifs et si j’ai créé l’Institut des Libertés, c’est bien pour essayer de faire entendre ma voix Mais la nous avons un vrai problème dans la mesure ou dans un pays comme la France, ce qui compte ce n’est pas ce que vous dites et votre compétence, mais « d’ou vous le dites » pour reprendre la célèbre formule de Maurice Thorez. D’où la nécessité de passer par la toile.
Comme vous le voyez, je suis aussi perplexe que vous l’êtes.
Tout ce que je sais c’est que nous arrivons au moment ou il va falloir trancher le nœud gordien. Je préférerai, et de loin, que cela se passe de façon rationnelle plutôt que dans le désordre le plus total dans la mesure où une solution raisonnée, si non raisonnable permettrait de conserver intact le Marche Commun , ce qui est l’essentiel
Avec toute mon amitié,
CG
Auteur: Charles Gave
Economiste et financier, Charles Gave s’est fait connaitre du grand public en publiant un essai pamphlétaire en 2001 “ Des Lions menés par des ânes “(Éditions Robert Laffont) où il dénonçait l’Euro et ses fonctionnements monétaires. Son dernier ouvrage “Sire, surtout ne faites rien” aux Editions Jean-Cyrille Godefroy (2016) rassemble les meilleurs chroniques de l'IDL écrites ces dernières années. Il est fondateur et président de Gavekal Research (www.gavekal.com).