Emmanuel Macron est en tournée en Asie du Sud. Après le Vietnam, il s’est rendu en Indonésie, un géant asiatique invisible.
Il y a mieux à dire sur l’actuel voyage présidentiel que la question d’une prétendue « gifle ». Ce voyage au Vietnam et en Indonésie marque la présence de la France dans cette région cruciale de l’Indo pacifique. C’est l’une des régions les plus dynamiques au monde, tant sur le plan démographique qu’économique. Une région partagée entre sphères d’influence chinoise et américaine, où la France a une carte à jouer, celle du non-alignement et de l’équilibre des blocs. C’est justement le positionnement de l’Indonésie, qui, depuis son indépendance en 1945 et la conférence de Bandung en 1955, défend sa position d’une diplomatie indépendante.
Un géant méconnu
Avec 280 millions d’habitants, l’Indonésie compte parmi les pays les plus peuplés au monde. C’est surtout le premier pays musulman, loin devant les pays du Moyen-Orient. Un islam asiatique, accoutumé et différencié, qui a connu des poussées islamistes au cours des années 2000, culminant avec l’attentat de Bali en 2002 (plus de 200 morts).
Mais l’Indonésie est aussi un pays archipel aux dimensions démesurées. La distance d’est en ouest est la même que celle entre Kaboul et Londres. Si quatre îles principales composent l’archipel, celui-ci est émietté en plus de 16 000 îles, ce qui rend complexe le maintien de la cohésion territoriale.
L’Indonésie est à la frontière des mondes malais et chinois. Mais aussi de la péninsule indochinoise, de l’Australie, de la Malaisie et de Singapour. La base américaine de Guam est à 1 300 km de ses côtes, ce qui est assez proche dans ce vaste espace océanien. Mais surtout, l’Indonésie est comme une membrane par où passe le commerce mondial. Son archipel est traversé par les détroits de Malacca et de la Sonde, autoroutes navales de la mondialisation, notamment pour les hydrocarbures. Autant dire que, si l’Indonésie prône le non-alignement, le pays est sous haute surveillance des grands de ce monde tant sa place est centrale dans le transit des échanges.
L’Indonésie est également un vaste pays ressources : nickel, gaz, charbon, à quoi s’ajoutent les productions agricoles, huile de palme et hévéa. Si l’huile de palme a mauvaise presse, son rôle est essentiel dans l’industrie agroalimentaire et les aliments transformés. De même pour l’hévéa, base du caoutchouc naturel et donc de tous les objets issus de celui-ci. Sa puissance démographique, agricole, industrielle, géographique, fait de l’Indonésie un géant, mais un géant invisible, car peu connu et peu estimé.
Se tenir à l’écart
Si l’Indonésie est méconnue, c’est aussi parce que le pays se tient à l’écart des grands blocs et cultive sa position internationale de non-aligné. Elle n’a jamais été dans le bloc communiste et s’est toujours méfiée de l’URSS et de la Chine maoïste. Mais sans être un pion de Washington. Elle a toujours refusé une alliance militaire formelle et n’a jamais accepté de bases militaires étrangères sur son sol. En 1954, l’Indonésie a refusé d’adhérer à l’OTASE créée par Washington pour contrer l’essor communiste en Asie. La création de l’AUKUS l’embarrasse, d’autant que son voisin australien est directement concerné. Le pays n’a pas dit non, mais sans dire oui. Le gouvernement a ainsi déclaré être « préoccupé par la course aux armements et la projection de puissance » dans la région – ce qui vise également la Chine, même si l’AUKUS et le QUAD sont perçus comme un nouveau containment de la Chine, offrant la vision d’un ordre régional dominé par les puissances occidentales qui marginalise de facto l’ASEAN et l’Indonésie.
La position de Jakarta est d’ailleurs fragilisée par les divergences d’appréciation au sein de l’ASEAN, Singapour, les Philippines et le Viêtnam ayant accueilli l’AUKUS assez favorablement.
Le président indonésien Prabowo Subianto dit ainsi vouloir pratiquer une « diplomatie indépendante », dans le droit fil de la conférence de Bandung. Il refuse de rejoindre un bloc géopolitique : « Notre philosophie est d’être amis avec tout le monde », affirme-t-il. Ami avec tout le monde certes, mais en s’armant, ce qui est toujours plus prudent. Son pays a ainsi signé en 2022 un contrat d’achat de 42 Rafale et il vient de signer pour acheter 42 chasseurs J-10 (Chine). L’armée de l’Air complète son armement par la possession de Sukhoi et de F16. Quand on sait à quel point l’achat d’armement est un geste politique, cette diversité d’approvisionnement démontre que, jusque dans sa défense, l’Indonésie tient à être indépendante.
L’aviation lui est indispensable pour surveiller ses côtes et assurer la sécurité des détroits. Le risque de piraterie est fort, avec des réseaux qui profitent de la multiplicité des petites îles pour se cacher et disposer de repaires. Si les attaques sont trop nombreuses, si l’Indonésie n’est pas capable d’assurer la protection des routes maritimes, elle court le risque que des puissances tierces se mêlent de la sécurité, soit directement soit en faisant appel à des sociétés privées. Dans les deux cas, ce serait une perte de souveraineté et d’indépendance. Le pays doit donc faire la police chez lui et ainsi démontrer qu’il peut être le maître des mers qui le traversent.
Une nouvelle capitale comme équilibrage politique
En 2024, la capitale du pays a changé. Ce n’est plus Jakarta, située sur l’île de Java, mais Nusantara, située à Bornéo. Des travaux importants ont permis la création de cette ville nouvelle, qui est surtout, pour l’instant, une ville administrative. Le changement de capitale vise à rééquilibrer le territoire en décongestionnant Java et en développant Bornéo. Mais c’est aussi un moyen d’assurer la présence du pays sur des îles qui pourraient être tentées par des visées autonomistes. Le centre se déplace vers les périphéries pour l’englober et éviter que celles-ci se détachent. Il y a des enjeux de développement et des enjeux aussi de contrôle du territoire.
L’Indonésie est ainsi confrontée aux luttes d’influence des ONG et des associations environnementales qui, défendant les arbres, les animaux, les tribus, empêchent le développement industriel et donc la puissance du pays. C’est le cas de la mine de nickel de Weda Bay, située sur l’île de Halmahera. L’Indonésie souhaite le développement de cette mine, pour renforcer sa position mondiale dans le nickel, mais étant situées sur le territoire d’une tribu « primitive », nombreuses sont les associations mondiales à attaquer la mine et à s’opposer à l’extraction.
Nusantara y voit une ingérence étrangère qui menace son indépendance et son développement. L’enjeu est ici réputationnel et territorial. Si l’Indonésie laisse faire, elle court le risque de perdre le contrôle de cette île, mais aussi de Bornéo et de la Papouasie. La cohésion de son territoire demeure écartelée par les colonisations mondiales, qui passent cette fois par les ONG et les associations humanitaires.
Auteur: Jean-Baptiste Noé
Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).
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