Jamais, en temps de paix, les États-Unis n’avaient envisagé de modifier leurs frontières. Trois semaines à peine après son intronisation, Donald Trump renverse la carte du monde et lance des opérations de fusions acquisitions tous azimuts.
Où s’arrêtera-t-il ? Non pas Elon Musk, qui accumule les innovations et les achats, mais Donald Trump, lancé dans une opération d’achat de pays sans précédent dans l’histoire américaine. À peine a-t-il annoncé vouloir intégrer le Canada et le Groenland aux États-Unis, puis reprendre le contrôle de Panama, le voici annoncer, à la surprise de tous, que les États-Unis allaient établir un protectorat sur la bande de Gaza, afin d’en faire un endroit merveilleux, une nouvelle Côte d’Azur. L’idée n’est pas complètement saugrenue. La bande de Gaza a tout pour être un endroit superbe et développé : une large façade maritime sur la Méditerranée, une frontière avec l’Égypte, via le Sinaï, d’où peuvent partir des activités touristiques, notamment pour les fonds marins de la mer Rouge, une frontière avec Israël et ses industries de la tech. À quoi s’ajoutent des gisements de gaz en cours d’exploration et d’exploitation, qui peuvent assurer l’indépendance énergétique, des rentrées financières et une potentielle industrie d’engrais et de chimie. Sur le papier donc, Gaza a tout pour réussir. Dans les faits, les choses sont différentes.
Qu’allait-il faire dans cette galère ?
Les fourberies de Trump amènent à se demander quelle idée a pu lui prendre ? Est-ce Benjamin Netanyahu qui l’a convaincu, lui qui est le premier dirigeant étranger à être reçu à la Maison-Blanche pour ce second mandat ? Est-ce l’appât des projets immobiliers ? Alors que les États-Unis sont sortis du guêpier afghan, les voilà qui voudraient sauter à pieds joints dans les décombres gazaouis. Comme si le Hamas allait laisser la bannière étoilée flotter sur Gaza, comme si les habitants allaient accepter cette occupation bienveillante, ce mandat pour leur bien. Une déclaration d’autant plus saugrenue que jamais un tel projet ne fut évoqué. L’impression que cela sort d’un chapeau de magicien et d’une réunion tardive dans le bureau Ovale. Ou bien est-ce plutôt un énième coup de poker du dealmaker pour forcer des pays arabes, qui aiment la Palestine, mais qui n’aiment pas les Palestiniens, à s’engager ?
Touche pas au grisbi
On sait que Donald Trump est très sourcilleux quand il s’agit de dépenser l’argent du contribuable électeur américain. On le voit avec l’Ukraine et avec l’OTAN. Hors de question donc d’arroser de dollars le puits sans fond de Gaza. Une autre probabilité est donc que cette déclaration soit une façon de forcer les pays arabes à s’engager à Gaza. Après la guerre du Liban, les Émirats et l’Arabie avaient contribué à la reconstruction de Beyrouth et des villes libanaises, y réalisant de juteux bénéfices. Si le Hamas combat Israël et le « Grand Satan » américain, difficile pour lui de s’en prendre à ses frères arabes, surtout quand il couvre ses agissements ou qu’ils offrent un gîte et couvert confortable. Or, les pétromonarchies sont très peu investies, financièrement parlant, en Palestine. Et vu les destructions, plus de 60% des bâtiments rasés, il va falloir beaucoup d’argent pour reconstruire. L’or noir va peut-être permettre de redresse Gaza. À condition que l’on veuille s’engager du côté de Ryad et du Golfe. Rien n’est moins sûr.
Mais, pour Trump, une grosse pierre est jetée dans la mare palestinienne et un projet inédit vient d’être proposé. Effacé Camp David et la poignée de main à Washington, effacés Clinton, Arafat et Rabin, Trump a repris le jeu à sa main.
Quille en tête
Pour ceux à qui cette proposition ferait mal à la tête, ils pourront se consoler en constatant que ce n’est pas la seule.
Sitôt ses annonces faites, le Mexique a cédé : des forces militaires sont déployées à la frontière pour limiter l’immigration illégale. La menace des sanctions douanières est suspendue. Idem pour le Canada, qui s’est couché d’autant plus facilement que Justin Trudeau est en fin de vie. Quant au Groenland, il y a certes les cris effarouchés du Danemark, mais personne en Europe ne s’est levé. Il faut bien le dire : tout le monde se moque du Groenland et, vue d’Europe, une souveraineté nominale danoise ou américaine ne change rien : l’Europe ne profite pas du Groenland et le Danemark n’en fait rien. Trump rappelle une évidence : la terre appartient à celui qui la met en valeur. Et au vu des ressources énergétiques potentielles, les États-Unis ont de quoi faire.
« Toc, toc, ici Pékin »
Et les autres ? Si les États-Unis peuvent jeter leurs boules de bowling contre les quilles du monde et étendre les frontières des États fédérés, pourquoi est-ce que la Russie ne pourrait pas prendre le Donbass, elle qui en une année de guerre (2024) a conquis l’équivalent du département de la Corse-du-Sud ? Pourquoi est-ce que Pékin ne pourrait pas prendre Taïwan, au moins aussi stratégique que le Panama et le Canada ? L’attitude de Trump crée un précédent qui bouleverse l’ordre du monde. Si les États-Unis parviennent à fabriquer des puces d’aussi bonne qualité que celles de Taïwan, alors à quoi bon se battre pour cette île ? Si la Russie tient des territoires, pourquoi lui faire relâcher ? L’art du deal de Donald Trump, en matière de relations internationales, semble être d’effrayer ses partenaires et d’obtenir par la peur et l’effroi ce qu’ils refuseraient de donner par la négociation. Jusqu’à quand cela peut-il fonctionner ? Jusqu’à ce que les partenaires soient faibles et que les États-Unis disposent d’un gros bâton assez puissant. Voilà Trump reprendre à son compte la doctrine Monroe, mais en l’actualisant à l’art de l’agent immobilier du XXIe siècle.
Auteur: Jean-Baptiste Noé
Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).