4 mai, 2025

Argentine : un pays qui espère le renouveau

Au début du XXe siècle, l’Argentine comptait parmi les principales puissances mondiales, attirant de nombreux migrants européens, venus notamment d’Italie. Puis, péronisme aidant, l’économie n’a cessé de décliner jusqu’à enchaîner les crises et les faillites, et donc la pauvreté. Au moment de l’élection de Javier Milei (décembre 2023), plus de 50% de la population vivait sous le seuil de pauvreté.

 

Après plus d’un an à la tête de l’Argentine, les premiers bilans sont assez positifs, même s’il est impossible de rénover le pays en si peu de temps. L’inflation a été stabilisée et réduite, des budgets positifs ont été dégagés, la pauvreté recule. Il y a encore beaucoup à faire, mais la situation est malgré tout en cours d’amélioration. Si Javier Milei est président, il ne dispose pas de la majorité à la Chambre, sa marge de manœuvre et son champ d’action politique sont donc très limités. Les législatives se tiendront en octobre prochain. Ce sera un moment clé, qui permettra à Milei de bénéficier ou non d’une majorité et de vérifier l’état de sa popularité. S’il parvient à obtenir une majorité, il pourra accélérer les réformes entreprises, si ce n’est pas le cas, son action sera entravée.

 

Difficultés économiques

 

La fin de l’inflation a aussi signifié la revalorisation du peso, ce qui fait d’autant diminuer le pouvoir d’achat. À Buenos Aires, la vie est chère, avec des prix qui sont ceux de Paris, mais des salaires qui en sont bien inférieurs. Il y a encore quelques mois, nombreux étaient les Brésiliens et les Uruguayens à traverser le détroit de la Plata pour venir s’approvisionner en Argentine ou pour passer quelques jours à Buenos Aires. Avec la montée des prix, ce n’est plus le cas, ce qui est autant de perte pour les Argentins.

Le gouvernement est ainsi confronté à un dilemme : la valorisation du peso a réduit le pouvoir d’achat, mais, si une dévaluation devait avoir lieu, cela ferait repartir l’inflation. Milei avait promis des mois difficiles, c’est en effet le cas et l’Argentine n’est pas sortie d’affaire. Le pays est englué dans une série de onze années sans croissance, avec un PIB qui ne cesse de diminuer et une corruption endémique qui ravage le tissu social. La corruption des années Kirchner n’a pas encore été supprimée.

 

Importance de la pêche et de l’agriculture

 

L’Argentine vit essentiellement de l’agriculture, notamment de la viande et des céréales. C’est l’un des principaux producteurs de soja, exporté vers la Chine pour l’essentiel. La viande est quant à elle exportée en Chine et en Europe, tout comme le maïs, qui sert pour l’alimentation du bétail. Avec sa superficie arable de grande taille, sa grande productivité agraire et sa mécanisation intensive, l’Argentine s’impose comme le grand pays agricole de l’Amérique latine. Pour le pays, le traité du Mercosur est une bonne chose, car il permet d’ouvrir des marchés d’exportation et de se tourner davantage vers l’Europe. Avec la politique trumpienne qui ne cesse de fluctuer et de faire usage des tarifs comme d’une guerre commerciale et politique, l’Argentine souhaite se tourner vers l’Asie et vers l’Europe, des continents qui lui paraissent plus fiables.

Mais la guerre commerciale avec la Chine est aussi une réalité. De nombreux bateaux de pêche chinois viennent pêcher dans les eaux territoriales argentines, notamment pour la langouste et le merlu. D’où l’enjeu des îles Malouines, que l’Argentine n’a pas renoncé à récupérer, car elles ouvrent à une vaste ZEE et donc à une extension possible des zones de pêche.

 

La pensée de Javier Milei

 

Très caricaturé en France, Javier Milei possède pourtant une pensée beaucoup plus profonde et structurée que son image de « fou de la pampa ». Le présenter à la fois comme un fasciste et un ultra-libéral témoigne de la méconnaissance totale de la philosophie politique en France, le fascisme étant une idéologie socialiste qui estime que rien ne peut se faire en dehors de l’État. Or c’est bien tout l’inverse que défend Milei. Dans son livre programme El camino del libertario il expose sa pensée politique et son mode d’action politique. Le livre est paru en 2022 et on ne peut que regretter qu’il ne soit pas encore traduit en français. D’autant que la langue y est simple et compréhensible, ce qui en fait un excellent manuel d’économie politique. Préfacé par Alberto Benegas Lynch, qui est à la fois l’un des grands penseurs du libéralisme argentin et l’un des maîtres à penser de Milei, le livre est à la fois un programme politique, un manuel d’action et une synthèse de la pensée libertarienne.

 

Milei s’attaque notamment à des mythes solidement ancrés en France. Il explique comment la « justice sociale » est en réalité profondément injuste, que le capitalisme est le système politique le plus éthique et moral qui soit actuellement et que la condamnation morale des bénéfices conduit à la pauvreté. Sa pensée n’est pas utilitariste : il ne défend pas le capitalisme parce que c’est le système le plus efficace, ce qui est déjà une bonne chose en soi et une bonne raison de le défendre, mais parce que c’est le système le plus moral et le plus juste pour respecter la nature propre de l’homme.

 

Dans un chapitre clair « Notre ennemi, l’État », il présente la nature de l’État et pour quelles raisons celui-ci représente un danger pour la population. Ce qui le distingue des minarchistes qui veulent certes réduire l’État au minimum, mais qui peuvent parfois justifier son existence. Pour Milei, l’État est un mal nécessaire, dont il faut connaître les limites et les dangers afin de le maintenir à distance. Il oppose ainsi l’oligarchie politique aux libertariens, les premiers se servant de l’État pour se nourrir et pour maintenir leur caste, ce qui n’est pas sans faire penser aux réflexions de Frédéric Bastiat.

 

Dans un chapitre entièrement consacré à la monnaie, il étudie les causes de l’inflation, la nature de la monnaie et les raisons pour lesquelles un pays se doit d’avoir une monnaie structurée. Des réflexions qui le classent résolument dans le camp des monétaristes. À Buenos Aires, il est d’ailleurs possible de payer en euro, ce qui est toujours plus apprécié que le peso. Pour Milei, l’inflation est une expropriation, c’est-à-dire une atteinte à la propriété privée, celle-ci étant un droit de l’homme et une défense de la nature humaine.

La dernière partie reprend plusieurs discours prononcés par Milei au cours de l’année 2021, donc avant d’être élu, mais qui permettent de mieux comprendre sa pensée et de voir comment il l’articule avec son action politique.

Un livre essentiel, qui mérite d’être connu et lu en France, à la fois pour comprendre la pensée de Milei, mais aussi pour voir comment se structure la pensée des libertariens, loin des caricatures véhiculées en France.

 

Avec une telle pensée économique et une mise en action depuis un an et demi, l’Argentine pourra peut-être sortir de ses décennies de pauvreté. Mais pour cela, le chemin du libertarien est encore long.

 

 

 

 

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

6 Commentaires

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  • Lamy

    12 mai 2025

    Ayant visité l’Argentine en vue d’un possible investissement, j’ai pu constater que les prix y sont très élevés et que la fiscalité y est ahurissante (exemple 100% de taxe sur les véhicules, voire plus sur les véhicules de luxe, Porsche et Ferrari n’ont par de représentation á Buenos Aires, petite ville de 14 millions d’habitants). Bref, je suis reparti penaud mais heureux de vivre dans mon pays d’adoption á la fiscalité si légère.

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  • germain

    6 mai 2025

    En France nous en sommes loin, tant l’Etat français est totalitaire et obèse nourrissant une caste.

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  • Maxime Mounacq

    5 mai 2025

    Lorsque vous dites que la revalorisation du peso a fait baisser le pouvoir d’achat, vous parlez d’une baisse des exportations ?

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  • Michel Gaillard

    5 mai 2025

    Excellent article, on retrouve du Charles Gave en vous

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  • Jacques Peter

    5 mai 2025

    La pensée libérale appliquée en Argentine ne peut que lui être profitable. Il en serait de même si, par extraordinaire, cette pensée se répandait un jour en France.

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