4 juin, 2015

La Viennoise et le Congrès de Vienne

Juin 1815 c’est Waterloo mais c’est aussi la fin du Congrès de Vienne qui produisit une paix pérenne en Europe. Le grand Carême accompagna Talleyrand à Vienne. Nous ne savons hélas pas ce qu’il y prépara mais n’en aurait-il pas ramené les préparations « à la viennoise » ?

Aujourd’hui, une Viennoise c’est un aliment pané « à l’anglaise » (farine, œuf battu, chapelure), frit, et souvent servi avec de l’œuf dur haché, du persil frit et des câpres et surmonté d’une tranche de citron et d’un filet d’anchois. Les préparations à la viennoise s’appliquent surtout aux viandes blanches : escalopes de veau ou filets de volailles. Mathieu Pacaud du restaurant L’Hexagone à Paris, nous a récemment préparé un bon ris de veau en Viennoise  avec une sauce gribiche[1].

On trouve à Vienne d’excellentes escalopes de veau à la viennoise, les fameuses Wiener Schnitzel[2] (littéralement « tranche de Vienne »). La brasserie du Meierei, une ancienne laiterie située dans le Stadtpark, nous en a servie une excellente en septembre 2014. Elle était présentée avec une salade de pommes de terre et des cranberges et accompagnée d’un Grüner Veltliner, vin blanc frais s’accordant bien avec le plat.

Dans les livres de cuisine français, les préparations dites « à la viennoise » apparaissent seulement au tout début du XIXe siècle après Waterloo et après le Congrès de Vienne :

  • 1822 : Fritots de poulets à la Viennoise chez Carême
  • 1843 : Poulets à la viennoise avec du persil frit chez Plumerey, un collaborateur de Carême

Par contre des préparations frites très similaires apparaissent beaucoup plus anciennement en cuisine française. L’Ancien Régime prépare un grand nombre de viandes blanches en friture et leur donne très souvent le qualificatif de  Sainte Ménehould. Le nom s’applique aussi bien à la préparation qu’à la sauce et au liquide de cuisson. Ce dernier est généralement fait avec un beurre manié, du lait ou de la crème, parfois du vin blanc, quelquefois du citron, du sel, du poivre, des feuilles de laurier, du persil et des ciboules liés sur le feu. Le mets dit à la Sainte Ménehould peut être servi avec une sauce à la Sainte Ménehould avec une sauce rémoulade ou une autre sauce piquante.

Pour citer quelques préparations anciennes:

  • 1674 : Fricandeaux de veau frits en beignets. L’auteur anonyme qui signe L.S.R. les sert avec avec persil frit, citrons et oranges, grenades et fleurs.
  • 1742 : François Marin, maître d’hôtel du maréchal de Soubise, prépare 16 plats de poissons et 20 plats de viande et volailles à la Sainte Ménehould. Cela va de la tête de veau, aux pieds de cochon, aux ailerons de poulardes et pattes de dindon et aux écrevisses, ainsi qu’aux merlans et soles farcies. Les pièces ont toutes les tailles depuis les petits éperlans jusqu’au spectaculaire « rosbif de mouton » (carré double et baron).
  • 1750 : Les Poulets à la Princesse du Dictionnaire des aliments sont frits servis avec une rémoulade faite avec anchois, persil, câpres hachées, ciboules, jus de bœuf. C’est très proche de la recette de la Wiener Schnitzel.
  • 1815 : Chez Carême, les préparations à la Maréchale sont panées et sautées au beurre et souvent accompagnées de pointes d’asperges et de truffes. C’est le même genre de préparation mais servie avec des accompagnements luxueux.

Le nom de Viennoise pourrait donc être une appellation nouvelle appliquée à une préparation déjà connue et remise ainsi au goût du jour. Pour une raison inconnue, le nom de la sainte du 5ème siècle, patronne des fabricants de lanternes et autres falots (grande lanterne portative), ne s’appliqua plus qu’aux pieds de cochon. Tout le reste – ou presque – devient Viennoise.

1815 est aussi la date de parution du Guide des dîneurs de Paris de l’homme de lettres Honoré Blanc. Il inclut la  liste et le prix des plats proposés. Parmi les restaurants cités, vingt-et-un proposent du pied de cochon à la Sainte Ménehould et neuf d’entre eux indiquent un prix. Seul le fameux Véry au Palais Royal propose un autre plat à la Sainte Ménehould, une poitrine de veau. Lucien de Rubempré y fit son premier déjeuner mais ce n’est pas ce qu’il prit.

Aucun restaurant du Guide des dîneurs n’indique de Viennoise à sa carte alors qu’un propose une escalope de filet de veau, deux autres des côtelettes de mouton panées et un troisième une oreille de veau frite. En 1815, la Viennoise n’est pas encore dans le domaine public.

C’est Carême qui mentionne le premier l‘appellation de Viennoise dans un ouvrage de 1822. Nous savons qu’il accompagna Talleyrand  au congrès de Vienne (1814-15) puis qu’il y retourna en 1821 au service de lord Charles Stewart, ambassadeur anglais. Est-ce de l’un de ces séjours qu’il ramena l’appellation de Viennoise ! Les dates coïncident mais coïncidence n’est pas preuve. Enfin, ce n’est pas impossible et l’idée est amusante.

C’est une idée plaisante que celle de donner le nom de conférences internationales à des plats. Pourquoi ne pas donner le nom de Yalta en Crimée (1945) à la salade russe ? Cela rappellerait aussi bien la Conférence de février 1945 que des évènements plus récents. Mais peut-être serait-il plus diplomatique d’adopter le nom de salade Olivier que lui donnent les Russes en souvenir d’un Chef français de Moscou !

 

François Brocard

Lectures

L’Art de bien traiter de L.S.R., 1674

Suite des Dons de Comus de François Marin, 1742

Dictionnaire des aliments, 1750

Le pâtissier royal parisien, Carême, 1815

Le maître d’hôtel français, Carême, 1822

L’Art de la cuisine française au XIXe siècle, Plumerey, 1843

[1] La ravigote (froide) est une vinaigrette avec beaucoup d’herbes et, éventuellement, des câpres et des anchois. La rémoulade est une ravigote très moutardée (maintenant c’est généralement une mayonnaise moutardée). La gribiche est une vinaigrette émulsionnée avec un jaune d’œuf dur. La mayonnaise est une vinaigrette émulsionnée avec un jaune d’œuf cru (apparue au tout début du XIXe).

[2] Les escalopes viennoises se distinguent des escalopes milanaises car pour les milanaises l’on ajoute du fromage râpé à la panure.

Auteur: François Brocard

Gastronome amateur. HEC et Harvard (MBA). Investment Banking à New-York, Paris puis Londres (Morgan Stanley 1968-1986 ; BNP 1986-1997). Passionné par la cuisine et l’histoire de la gastronomie française. Membre de clubs gastronomiques (Club des Cent, Académie de la truffe et des champignons sauvages, etc.). Contributions au Oxford Symposium on Food & Cookery (conférence sur « Authenticity and gastronomic films » 2005) et au Oxford Companion to Food (article « Film and Food » 2006).

9 Commentaires

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  • Homo-Orcus

    5 juin 2015

    Rhô, du fromage râpé à la panure ? du Parmigiano Reggiano, pas de vulgaire « fromage » !
    Une Italienne m’a fait découvrir un truc surprenant concernant l’escalope milanaise. Vous passez l’escalope à l’attendrisseur, le goût est complètement différent et meilleur, mais les voisins apprécient moins. Les Italiens maîtrisent bien les recettes de veaux.
    On peut faire l’essai avec des blancs de poulet pour comprendre le phénomène : le blanc frappé a perdu ses bulles d’air, c’est l’explication de visu que j’avance.
    Toujours agréable à vous lire.

    Répondre
  • Aljosha

    4 juin 2015

    2001 : Traité de Nice. La salade Niçoise …

    Répondre
    • Francois Brocard

      16 juin 2015

      Joli sujet. Merci.

  • Libre

    4 juin 2015

    Délicieux …Un peu de plaisir gustatif dans ce monde de brutes…

    Répondre
    • Francois Brocard

      16 juin 2015

      Libre, Vous avez bien raison!

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