Les 3 et 4 avril, Samarcande est le lieu du premier sommet UE – Asie centrale. Un événement majeur, tant pour les liens économiques que pour le balancement géopolitique.
C’est une première et cela se passe dans une ville mythique : Samarcande. Nœud des routes de la soie, point d’étape essentiel dans le commerce entre l’Asie et l’Europe, Samarcande retrouve son rôle historique avec ce premier sommet entre l’Union européenne et l’Asie centrale. Les dirigeants du Kazakhstan, du Kirghizistan, du Tadjikistan, du Turkménistan et d’Ouzbékistan sont présents, ainsi que les responsables de l’UE.
Une région centrale
Alors que la guerre en Ukraine porte le trouble au cœur de l’Europe, ce sommet permet de positionner les Européens dans l’ancien espace soviétique, ce qui fut, jusqu’en 2022, considéré comme l’étranger proche de la Russie. Moscou y avait conservé une forte influence, s’appuyant sur les liens historiques anciens et la présence d’une diaspora russe nombreuse. La guerre d’Ukraine a modifié la donne. Ces pays ont craint de subir le même sort que l’Ukraine, et notamment le Kazakhstan, qui partage près de 8 000 km de frontière avec la Russie. S’éloigner de l’emprise russe pour se rapproche de l’Europe est donc une façon de se protéger de l’impérialisme moscovite toute en tissant des liens, notamment économiques, avec le monde occidental.
Le second élément important dans ce sommet est la prise en compte de l’Eurasie comme espace clef du nouveau monde en cours de recomposition. Que ce soit pour la présence des hydrocarbures et des minerais que pour son positionnement géographique, l’Eurasie joue un rôle central. C’est à Astana, capitale du Kazakhstan, que Xi Jinping a annoncé la mise en place des nouvelles routes de la soie. C’est dans ces pays en « stan » que passent les réseaux, les échanges, les flux mondiaux. Pour une fois, l’UE fait bien les choses. Elle a compris que cette zone est essentielle et qu’il faut tisser des liens avec les pays concernés. D’où ce sommet de deux jours qui souhaitent tisser des partenariats entre les différents pays.
Le SPG+, un outil politique et économique
Si le sommet se tient en Ouzbékistan, c’est que ce pays est de plus en plus important au regard des échanges commerciaux et politiques avec l’Europe. En 2021, l’UE a accordé à l’Ouzbékistan le statut de bénéficiaire du SPG+ dans le cadre du système de préférences généralisées. Un système qui est valable jusqu’en 2027.
Le SPG+ (Système de préférences généralisées plus) est un accord commercial et politique qui incite les pays en développement à poursuivre le développement durable et la démocratisation de leur gouvernance. Les pays concernés doivent mettre en place 27 conventions internationales dans les domaines suivants : droits de l’homme, droits du travail, environnement, bonne gouvernance.
En contrepartie, l’UE réduit ses droits à l’importation à zéro sur plus des deux tiers des lignes tarifaires de leurs exportations.
Aujourd’hui, les pays bénéficiaires de ce programme sont la Bolivie, le Cabo Verde, le Kirghizstan, la Mongolie, le Pakistan, les Philippines, le Sri Lanka et l’Ouzbékistan. L’UE se plaint souvent d’être victime de la guerre du droit menée par les Etats-Unis mais ce programme correspond tout à fait à cet usage du droit pour influencer la politique et l’économie.
Avec des résultats puisque la coopération commerciale avec l’Ouzbékistan s’est intensifiée : entre 2017 et 2024, le commerce de l’Ouzbékistan avec les pays de l’UE a été multiplié par 2,4, passant de 2,6 milliards de dollars à 6,4 milliards de dollars, les exportations ont été multipliées par 3,6, passant de 472,3 millions de dollars à 1,7 milliard de dollars, et les importations ont été multipliées par 2,2, passant de 2,2 milliards de dollars à 4,7 milliards de dollars.
En conséquence, en 2024, la part de l’UE dans le commerce extérieur de l’Ouzbékistan était de 9,7 % du commerce total, de 6,3 % des exportations et de 12 % des importations, ce qui place l’UE au troisième rang des partenaires commerciaux de l’Ouzbékistan après la Chine et la Russie.
En 2024, l’essentiel des exportations de l’Ouzbékistan vers l’UE était constitué de produits chimiques (52,1 %), ainsi que de textiles, de produits métalliques ferreux et non ferreux, de produits minéraux et alimentaires (y compris les légumes, les fruits, les épices, les noix, etc.). Parmi les pays de l’UE, la France se classait au premier rang des importations en provenance d’Ouzbékistan (47,2 % des exportations), suivies de la Lituanie (10 %) et de la Lettonie (6,9 %).
Les importations de l’Ouzbékistan en provenance de l’UE dépassent largement les exportations, en grande partie en raison de la structure des échanges commerciaux mutuels et du besoin de modernisation technologique du pays. Les pays de l’UE représentent environ 16 % des importations totales de machines, d’équipements et de véhicules de transport de l’Ouzbékistan. En 2024, ces articles, y compris les avions, les produits électriques, les instruments et les équipements médicaux, représentaient environ 50 % des importations en provenance de l’UE.
On le voit avec l’exemple ouzbek, il s’agit de concurrencer la Russie et la Chine dans une zone qui est l’une de leurs chasses gardées. Des partenariats économiques qui assurent une présence et des échanges, ce qui reste essentiel. L’UE utilise les mêmes armes que les États-Unis : l’arme douanière avec la promesse de la baisse des tarifs, l’arme politique, avec la demande d’alignement sur les critères politiques et sociaux. Elle pèse de son marché de 500 millions de personnes et de sa richesse pour imposer sa marque et attirer à elle. La géoéconomie est ici au service de la politique.
Auteur: Jean-Baptiste Noé
Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).
le chinois
7 avril 2025« » On le voit avec l’exemple ouzbek, il s’agit de concurrencer la Russie et la Chine dans une zone qui est l’une de leurs chasses gardées » » He????