Les chefs d’État courent après les réunions internationales, multipliant les congrès, les discours et les photos de groupe. En vain. Devenus trop nombreux, ces sommets ont perdu leur sens et leur intérêt.
Un énième sommet du G20, cette fois-ci en Inde. Mais où ni Xi Jinping ni Vladimir Poutine n’étaient présents. Trois jours de réunion, une visite au mausolée de Gandhi, des photos de groupe, des repas et des palabres et un communiqué final qui doit convenir à tout le monde, donc qui ne dit rien. Après le G20 il y aura le G7 puis le sommet des Brics, celui de l’Europe, de l’Asie du Sud-est, du groupement Sahel, etc. Facilité par l’avion et la rapidité des moyens de communication, ces sommets se multiplient à en donner le tournis. Tout est superficiel, tout est perte de temps. Alors que les entreprises tentent de lutter contre la réunionite, les chefs d’État multiplient les réunions internationales. Ça prend l’avion pour un discours à la tribune de l’ONU, qui n’intéresse personne, puis pour un sommet sur l’environnement, enfin pour parler multilatéralisme ailleurs. Entre hôtel de luxe, petit-déjeuner continental et avion privé, les réunions internationales créent du mouvement, mais n’aboutissent à rien de tangible. Sans compter la fatigue et la dispersion que provoquent ces voyages à répétition.
Problème de représentation
Cela conduit à une concentration pyramidale et à une centralisation autour de la personne du chef d’État ou de gouvernement. À quoi servent alors les ambassadeurs et les ministres des Affaires étrangères si c’est le chef d’État qui se déplace et qui supporte tous les sommets internationaux ? Omniprésents sur la scène mondiale, ils banalisent leur rôle et perdent leur influence. Pour bien faire, les chefs d’État devraient rester dans leur capitale, parler peu et voyager le moins possible. Laissant aux ambassadeurs et au ministre des Affaires étrangères le soin de se rendre à ces réunions.
Jusque dans les années 1970, les voyages de chefs d’État étrangers étaient un véritable événement. À Paris, le pont Alexandre III fut bâti pour célébrer l’alliance russe. Des opéras étaient créés pour l’occasion, les invités se rendaient au théâtre et les sorties culturelles étaient un passage obligé et une façon de connaitre le pays où l’on se rendait. L’absence de Xi et Poutine est une manifestation de cette lassitude à l’égard de ces sommets, moulin à vent de la parole publique.
Récemment, je relisais le discours du général de Gaulle à Phnom Penh (1966). Devant 100 000 personnes, de Gaulle prononça un texte majeur qui redéfinissait la place de la France dans la guerre froide et la guerre du Vietnam et devait enclencher des négociations qui aboutirent à l’accord de Paris de 1973. Ce discours essentiel, dont on parle encore aujourd’hui, fait à peine trois pages. Rien à voir avec les discours-fleuve et creux infligés désormais. C’est une leçon de science politique et de lien entre l’action et la parole : plus on a de choses importantes à dire moins il faut faire usage des mots. La brièveté et la concision permettent la densité et la profondeur. Il en va de même pour ces multiples sommets dont l’inflation des discours est corrélée à la dévaluation de la parole politique.
Ces sommets internationaux donnent l’impression que les chefs d’État fuient leur pays et leur responsabilité en se réfugiant dans ces événements qui leur donnent l’illusion qu’ils sont importants. Un phénomène identique se constate par ailleurs à l’échelle nationale. Dès qu’il y a un accident de la circulation ou une maison de retraite qui brûle le Premier ministre, les ministres de l’Intérieur, de la Justice ou de l’Éducation nationale se déplacent. Pour donner l’impression « d’être sur le terrain », proche des gens, prenant sur eux la souffrance des victimes et de leurs proches. Cela oblige à établir des mesures de sécurité qui empêchent parfois la bonne intervention des secours. Comme secoués dans un shaker à cocktail, les ministres sont ballotés d’un point à l’autre de la France, sans pouvoir travailler leurs dossiers, sans pouvoir lire, sans pouvoir prendre le temps de travailler dans le silence. Cette agitation perpétuelle affaiblit l’action politique, que cela soit au niveau international ou au niveau local.
Fragmentation mondiale
Il est vain de penser que les Brics pourront un jour concurrencer l’Occident. Si plusieurs pays sont puissants, jamais ils ne pourront s’entendre et s’unir sur un front commun. Ils ont trop de rancœurs, de différences et d’intérêts divergents. Jamais l’Inde et la Chine ne seront alliées, surtout pas au moment où le gouvernement chinois publie une carte mise à jour sur laquelle on voit des morceaux de ses voisins annexés. Le Brésil peut vouloir rééquilibrer ses échanges et limiter sa dépendance aux États-Unis, cela ne signifie pas pour autant qu’il va changer de pied et prendre l’Algérie ou les Philippines comme alliés principaux.
Le « sud global » est trop désuni pour opposer un véritable front à l’Occident. Trop désuni et trop concurrentiel pour former un seul bloc qui pourrait imposer une quelconque volonté. Pour l’instant, cela reste au stade du concept et ne forme nullement un nouveau bloc géopolitique. Comme les non alignés autrefois ou même le bloc communiste, qui se fissura bien vite entre titistes et maoïstes, staliniens et castristes. Les intérêts nationaux l’emportent toujours sur les grandes idées, ni les nations ni les États n’ont encore disparu.
Auteur: Jean-Baptiste Noé
Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).
Robert
27 septembre 2023Votre phrase de conclusion s’applique parfaitement à la situation de l’ UE.
Heureusement dirai-je !
breizh
21 septembre 2023« Il est vain de penser que les Brics pourront un jour concurrencer l’Occident. »
vu l’état de l’Occident, c’est déjà le cas…
NOËL BARLET
19 septembre 2023Le sommet des Brics ressemble surtout à la réunion du syndicat des tyrans et des gouvernements corrompus. Actuellement, leurs comptes privés sont conservés dans les banques occidentales, directement dans nos grandes banques (cas des avoirs de la classe dirigeante de l’ Amérique du Sud conservés en Floride) ou dans des organismes intermédiaires comme l’ont montré les Panama papers. Bien sur, les services de renseignement occidentaux en connaissent souvent le détail. Cela peut servir dans le cadre de discussions « constructives ». La Chine vient désormais prendre sa place dans ce marché en garantissant qu’elle ne posera jamais de questions sur l’origine frauduleuse de l’argent qu’un dictateur et son entourage viennent lui confier. HSBC en est désormais l’un des principaux réceptacles et cette banque est, justement, passée sous le contrôle du gouvernement chinois.
La lutte contre l’hégémonie de l’ occident est surtout la volonté de pratiquer la culture de corruption. Celle-ci, d’ailleurs, n’est pas contradictoire avec les pratiques locales… C’est nous, avec nos racines judéo-chrétiennes, qui prétendons imposer notre morale de l’honnêteté publique (et privée); les autres cultures considèrent que le Pouvoir a surtout pour objet d’ enrichir ceux qui l’exercent. Et c’est bien ce qu’elles pratiquent . En Afrique, nous savons que le tiers de l’aide apportée est replacé à l’étranger , au nom des dictateurs locaux. Quelques affaires récentes l’ont montré. Transparency international fait ce qu’elle peut…
nkwj
19 septembre 2023Bravo pour cette analyse, c’est tout à fait çà, c’est comme si il fallait qu’ils trouvent une occupation… Mais n’est pas parce que les leviers réels du pouvoir sont désormais une case au dessus ??
Gudule
17 septembre 2023Merci pour cet article qui remet en perspective l’importance de certaines informations / événements devenus tellement nombreux et fréquents qu’on en est saturé !
Cela fait penser dans un registre plus léger à l’époque où notre président François Mitterrand était surnommé « La madone des aéroports » : quand la situation à domicile est mauvaise et qu’on n’arrive à rien, (sans compter le risque de se retrouver face à des sans-dents ou, pire, des gilets jaunes) autant briller avec de beaux discours à l’étranger !