5 novembre, 2023

Ukraine : des nouvelles du front

Une actualité chasse l’autre. Depuis que le Hamas a attaqué Israël, on ne parle plus de l’Ukraine, alors même que les combats se poursuivent et que le front entre dans une phase critique, qui est celle de l’épuisement des forces et de l’approche de l’hiver.

La contre-offensive ukrainienne lancée cet été, en plusieurs phases, n’a pas donné de résultats satisfaisants. Les armées ukrainiennes ont certes réussi à reprendre des positions sur certaines parties du front, mais elles en ont perdu d’autres ailleurs, ce qui égalise le rapport de force. Dès cet été, les grands journaux américains reconnaissaient l’insuccès de cette opération, mais il a fallu attendre ce début d’automne pour que les journaux officiels français le reconnaissent à leur tour. Les problèmes d’informations et de désinformations, nés dès le début de l’invasion en mars 2022, n’ont toujours pas été résolus. Je me souviens d’une personne, invitée comme moi sur un plateau télé en septembre, qui affirmait que dire que la contre-offensive ukrainienne avait échoué, c’était être pro-Poutine. En quoi le fait de regarder une carte et d’observer les déplacements de troupes nous place dans un camp ou dans l’autre ? À la guerre, il y a bien ceux qui avancent et ceux qui reculent, ou les deux camps qui stagnent. Ce qui est le cas depuis de nombreux mois déjà.

Usure des combats

Briser les positions russes est une chose difficile. La Russie a disposé de nombreux mois pour implanter ses positions et ses batteries. Face à des forces retranchées, établies sur une large profondeur de front, avec de nombreuses batteries, il faut pouvoir disposer d’une supériorité du feu aérien et terrestre. Or l’Ukraine n’a jamais eu l’avantage de l’air et n’a pu supplanter la Russie sur terre (comme la Russie, du reste, n’arrive pas à supplanter l’Ukraine). La Russie contrôle toujours près de 20 % du territoire ukrainien. Pour faire la guerre, il faut des hommes et il faut de l’argent. Depuis 2022, l’Ukraine vit sous perfusion des États-Unis et de l’UE qui lui ont livré (ou promis de livrer) des financements et des armes. Les États-Unis ont ainsi versé 43 milliards de dollars. L’UE souhaite apporter 50 milliards d’euros sur la période 2024-2027. Mais aux EU comme au sein de l’UE des voix contraires se font entendre. Le projet de rallonge budgétaire voulu par Joe Biden (62 Mds $) a été rejeté par le Congrès. En Europe, la Hongrie et la Slovaquie ne veulent pas signer de chèque en blanc et veulent, d’abord, des engagements sur la façon dont les fonds seront utilisés.

Sans cet argent, le nerf de la guerre, l’Ukraine ne peut pas poursuivre son offensive. Et sans matériel non plus. Or les industries occidentales arrivent au bout de ce qu’elles peuvent fournir. Si on connait bien la situation ukrainienne, la situation russe est, elle, plus obscure. Moscou est confronté au même problème d’accès aux financements et aux armes, sans que l’on puisse savoir si elle y a accès ou non. Plus que de savoir si l’une ou l’autre partie arrivera à percer le front, la question est de savoir qui craquera en premier. Si c’est l’Ukraine, alors rien n’empêchera l’armée russe d’avancer jusqu’au Dniepr. Raison pour laquelle de nombreuses voix s’élèvent aux États-Unis pour appeler à une fin des combats et une négociation, ce qui passe par la reconnaissance de la perte de la Crimée et des quatre oblasts du Donbass. Avec un Proche-Orient qui s’embrase et une mer de Chine toujours aussi tumultueuse, beaucoup estiment qu’il est temps de fermer le dossier pour passer à autre chose.

Nouvelles du front

Les forces armées ukrainiennes sont surtout actives sur la rive gauche du Dniepr. Kiev rassemble des forces fraîches à Krynki pour tenter de tenir une tête de pont. Mais les forces armées russes continuent de maintenir leur contrôle dans les directions de Donetsk et de Starobelsky, empêchant l’avancée des forces ukrainiennes.

Après une longue période de calme, les forces armées ukrainiennes ont lancé des attaques massives sur les régions frontalières tenues par la Russie. Des drones ont été utilisés et les bombardements ont été intensifiés. La Crimée et Sébastopol sont régulièrement touchées, ce qui oblige à suspendre les communications sur le pont de Crimée. Mais ces attaques dans la profondeur, pour déstabilisantes qu’elles soient pour la Russie, ne permettent pas une avancée significative des forces ukrainiennes.

En réponse, la Russie a ciblé le chantier de réparation navale et l’aéroport d’Odessa, utilisés à des fins militaires par l’Ukraine.

L’Ukraine positionne des unités de réserve à l’arrière, en prévision d’une éventuelle offensive des forces armées russes. Sans que cela soit pour l’instant, semble-t-il, à l’ordre du jour.

Le front est donc quasiment figé, avec des escarmouches, mais sans avancée ni changement majeur. L’arrivée de l’automne modifie les conditions climatiques. La pluie, la boue, le froid bientôt, vont rendre les combats plus difficiles pour le deuxième hiver de cette guerre.

À cours d’argent, à cours de volonté aussi, les Occidentaux cherchent des portes de sortie et des options de négociation. L’Ukraine sera l’un des enjeux des prochaines élections américaines, Donald Trump ayant déjà affirmé qu’il cesserait les aides financières, les contribuables du Texas et de l’Arkansas n’ayant guère envie de continuer à financer une guerre lointaine et sans intérêt direct pour eux. L’automne – hiver 2023 / 2024 sera donc un moment crucial pour cette guerre, dans la capacité de l’Ukraine de maintenir les combats ou de négocier et dans celle de la Russie de maintenir sa pression. Ce n’est qu’à l’issue de cette guerre qu’il sera possible d’établir les conséquences pour l’Europe et le monde d’un conflit qui à d’ores et déjà changé beaucoup de choses.

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

18 Commentaires

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  • phil o meme

    12 novembre 2023

    ben facile – l Ukraine comme pays n a jamais existe, non correct ? a part les mafias et le nazisme, comme production locale ? donc normal que l UE de grande tradition naziste la subventionne …. maintenant de pauvre types ont ete envoyes a la guerre alors qu ils n en ont rien a foutre = les gouvernements sont des vrais ennemis car ils veulent soit notre argent, voir notre peau …..

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  • Bastien Mesnil

    6 novembre 2023

    ça me semble quand même être une idée pas si farfelue que ça d’ouvrir les négociations avec Poutine et de figer les frontières en l’état, non? Négocions pendant que les occidentaux tiennent le couteau plus ou moins par le manche (en tous cas pas par la lame…). Cela permettra à tout le monde de sauver sa face.
    Le territoire ukrainien aura été amputé de 20%, Crimées et les 4 Oblasts, et alors? Les ukrainiens auront d’autres chats à fouetter, et tout un pays à reconstruire.

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    • le chinois

      7 novembre 2023

      Bjr,
      L’Ukraine ne sera pas reconstruirable,
      Il reste entre 23-27 million habitants,
      La majorité de la population est retraité, avant la guerre il y avait 1.7 active
      aujourd’hui env , 0.8
      La fertilité des femmes vient de tomber sous 0.8, on estime 0.5,
      Apres la guerre commencera la guerre civile,
      30 % des terres agricoles de qualité appartiennent aux étrangères. Qui produisent des céréales OGM le plus infâmes, limite nocifs
      50 % de l’industrie sera Russe,
      La moitié des jeunes rêvent de foutre le camp, les filles devront se vendre,
      La Cleptokratie organise déja la vente finale de tout .
      L’Ukromarais sera maintenu en vie par l’argent de UE ….pour longtemps

  • Robert

    6 novembre 2023

    Putin ira jusqu’où son allié Xi Jinping lui permettra…
    Ne regardons pas le doigt, regardons la lune… Derrière la guerre en Ukraine s’inscrit la confrontation USA-Chine.
    Quant à l’ UE, elle ne peut que faire de la figuration .

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    • Patrice Pimoulle

      8 novembre 2023

      La confrontation USA-Chine, c’est comme la confrontation USA-Russie; c’est deja termine.

  • Patrice Pimoulle

    6 novembre 2023

    La Russie dit ce qu’elle veut et fait ce qu’elle dit, mais elle le fait avec precaution; les cow-boys du Far-West prennent la moderation pour de la faiblesse, d’ou les 450 000 morts ukrainiens. Ceci ne suffit pas a affaiblir l’optimisme de l’Europe qui espere, apparemment, que la guerre va durer au moins jusqu’en 2027. La verite est que l’Ukraine sera a l’occident ce que Sedan fut a la France. Ce fut une erreur de tenter d’infliger une paix de vengeance a la Russie au lieu de lui offrir une paix de reconciliation. Cette erreur aura un cout.

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  • Philippe

    5 novembre 2023

    Le Grand Jeu voulu par Zbigniew Brzezinski dans son livre  » the grand chessboard  » se révèle un échec total ; Brzezinski a poussé l’OTAN a s’étendre a l’est et surtout a repousser la Russie hors d’Ukraine . Depuis 2010, les USA ont entrepris d’appliquer cette vision qui arrive maintenant à l’échec . Cette posture anti-russe due a l’origine polonaise de Zbrezinski , a été contredite dés le départ par Henry Kissinger et Georges Kennan , qui souhaitait eux une zone territoriale neutre allant de la mer noire a la Baltique donc réunissant l’Ukraine, la Biélorussie, les républiques Baltes dans une structure non inscrite dans une alliance militaire . De plus Brzezinski était a l’opposé de Kissinger , partisan d’un accommodement avec les courants islamistes du Golfe Persique et du Machrek .Il fit armer les Talibans mais une fois l’URSS ecartè d’Afghanistan cela s’est révélé un boomerang avec Bin Laden et le 11 septembre . Au final, la posture géostrategique de Brzezinski a trop accentué l’antagonisme USA-Russie et a negligé la nécessaire présence des USA au Moyen-Orient , laissant ainsi le champ libre à l’Iran. Le Grand Jeu de Zbigniew Brzezinski s’est révélé un fiasco total . Seul Kissinger avait compris qu’il fallait ménager la Russie en Europe Centrale pour etre indéboulonnable au Moyen-Orient .

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    • Paul

      7 novembre 2023

      Vue la probable reélection de Trump , Poutine doit se maintenir en Ukraine pour obtenir satisfaction pour la Russie . Par contre au Moyen-Orient , Trump sera déterminé à combattre la virulence de l’Iran. Ce qui traduit la vision réaliste de Kissinger au détriment de la vision idèéaliste de Brzezinski .

    • Patrice Pimoulle

      8 novembre 2023

      Je souscris entierement; c’est cette idee que je voulais exprimer en ecrivant que l’occident a commis une erreur en tentant d’infliger a la Russie une paix de vengeance au lieu de lui offrir une paix de reconciliation. Le resultat est que la civilisation romano-byzantine detruit actuellement le royaume babare anglo-saxon. Apres Avdievka, les Russes iront tranquillement a Odessa et a Lviv.

  • hoche38

    5 novembre 2023

    Le bilan de l’illusion d’une protection américaine aura coûté cher à l’Ukraine, 400 000 morts, un pays en ruine et la guerre civile quand les Américains seront rentré chez eux, en somme ce qui est déjà arrivé au Vietnam, en Somalie, en Irak, en Libye, en Syrie ou en Afghanistan.

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    • oblabla

      5 novembre 2023

      Oui mais quand la « négociation » avec la Russie aura eu lieu, Putin aura gagné la Crimée et les 4 oblasts ukrainiens. On reparlera vite des pays baltes, de la Moldavie, de la Roumanie, de l’Arctique, des anciennes républiques soviétiques etc. Et c’est sûr, les étasuniens seront au chaud chez eux. Mais chez nous en Europe occidentale, on sera au chaud, genre chaud brûlant…

    • breizh

      5 novembre 2023

      @oblabla,
      la Russie n’a ni les moyens ni l’intérêt, ni l’envie de s’emparer de territoires.
      Son intervention en Ukraine était d’abord pour sécuriser la Crimée (qui a toujours voulu être russe) et le port de Sébastopol, stratégique vis à vis du proche-orient.
      Il est probable que toute la Novorussia rejoigne la fédération de Russie, car c’est la volonté des habitants depuis 2014.

    • le chinois

      6 novembre 2023

      L’étape suivant pour la geopo russe : la réalisation du corridor Suwalki.
      Sans refermer le « conflit » très utile au sud.

    • Nox

      7 novembre 2023

      @Oblabla et Breizh
      On dit souvent que Poutine dit ce qu’il veut faire et fait ce qu’il a dit.
      Sur ce sujet il vient de dire solennellement que la Russie est le plus grand pays du monde en superficie et qu’elle n’a nul besoin de nouveaux territoires. La mise en valeur du pays actuel l’occupe suffisamment.
      Avant 2022 il avait dit solennellement qu’il ne voulait pas de frontière directe avec un état de l’OTAN. Les velléités de l’OTAN d’inclure l’Ukraine font partie des raisons qui ont poussé à la guerre. Si les accords de Minsk avaient été respectés il se serait très bien accommodé d’un Donbas ukrainien.

    • Patrice Pimoulle

      8 novembre 2023

      Mais la suite ne sera pas tres agreable pour les Americains.

  • Bertschi J-Y

    5 novembre 2023

    Avons nous le droit moral de rester neutre, quand on connait la responsabilité des occidentaux depuis 2014 ?

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    • Patrice Pimoulle

      8 novembre 2023

      A Oblablabla: les Russes ne demandent rien ni aux Etats baltes. ni a la Roumanie. Les Americains ne seront pas au chaud chez eux.Il faudra payer les creanciers. avec quoi? Les Americains sont dans une situation analogue a celle de la France.

    • Patrice Pimoulle

      8 novembre 2023

      On est pas neutre, on est belligerant.

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