6 mars, 2025

Trump / Zelensky : la faillite de la diplomatie directe

L’altercation entre Donald Trump et Volodymyr Zelensky est abondamment commentée depuis vendredi. Beaucoup y voient une rupture dans le lien transatlantique et une brutalité de Donald Trump. La réalité me semble plus nuancée.

 

D’abord, comme beaucoup, j’ai vu l’extrait, qui dure environ 3 minutes, et qui montre une forte altercation. Puis j’ai regardé l’entretien en entier, qui dure 49 min, et que l’on peut retrouver sur ce site :

https://www.youtube.com/watch?v=ZThLlfMvMRY

 

En regardant l’entretien en entier, du début à la fin, et non pas seulement l’extrait, l’impression est un peu différente.

Les choses partent plutôt bien. L’ambiance semble conviviale : il y a des sourires, des blagues, des traits d’humour. Donald Trump explique sa vision de la guerre, puis vient le tour de Zelensky. Chacun parle sans qu’aucune différence de vue n’émerge.

Mais un élément m’a tout de suite paru bizarre : le format même de l’entretien. C’est un mélange très curieux entre formalisme et décontraction, entre réunion officielle et propos au coin du feu. Or, après avoir vu l’entretien en entier, je pense que le principal problème vient justement de ce format. Et donc que ce qu’il faut retenir, ce n’est pas tant l’algarade, qui reste finalement très mesurée et qui peut arriver lors de négociation, que l’évolution même de la diplomatie vers une forme de transparence totale qui finit par lui nuire.

 

Le décor : une intimité problématique

 

La scène se tient dans un salon de la Maison-Blanche, au coin de la cheminée, même si celle-ci n’est pas allumée. Les deux chefs d’État sont assis côte à côte et discutent. Sur un canapé, à côté, le vice-président JD Vance et le secrétaire d’État Marco Rubio. C’est un décor intime, dans une salle qui n’est pas une salle de travail, une sorte de boudoir où l’on peut discuter tranquillement. Et c’est comme cela que la discussion débute.

 

Oui, mais.

La pièce est remplie de journalistes, qui posent des questions et interviennent, et la réunion est retransmise en direct.

Alors, où sommes-nous et quelle est la nature de cette réunion ? Est-ce une réunion privée, pour des négociations ? Est-ce une conférence de presse, avec des questions et des réponses, et donc des propos publics ? Visiblement, c’est la deuxième solution. Mais une conférence de presse qui entre dans l’intimité d’un boudoir, qui filme les négociations et qui les diffuse en direct. Or cela, c’est le contraire même de la diplomatie et de la politique.

Il doit y avoir le temps de la discussion, en privé, où l’on peut exprimer des désaccords et même hausser la voix. Cela fait partie du processus de négociation. C’est sain et c’est normal. Trump et Zelensky ont le droit de ne pas être d’accord, de se le dire, et chacun fait valoir ses arguments pour infléchir la position de l’autre.

 

Mais en privé. Derrière les murs. Sans que cela sorte.

 

Et si c’est une réunion publique, avec des questions de journalistes, alors ce doit être une conférence de presse officielle. Avec langue de bois et éléments de langage. Parce que c’est une nécessité quand on parle de matière aussi grave que la guerre, de négociations de paix, de vie humaine.

Le problème n’est donc pas que, sur 49 min d’échange, il y ait eu 3 minutes où les voix soient montées (et d’ailleurs très peu quand on regarde l’échange en entier), mais que cela se soit passé en direct et en public. Le problème principal est donc là : la règle de base de la diplomatie n’a pas été respectée.

 

Du calme à la tempête

 

Pourquoi est-ce que le ton est monté ?

 

D’abord Zelensky développe son argumentaire selon lequel on ne peut pas négocier avec Poutine parce que celui-ci ne tient jamais ses promesses. C’est peut-être vrai, mais Donald Trump est en train de négocier avec Poutine, notamment à Riyad. Dire cela, en public et devant Trump, c’est lui dire qu’il est incompétent puisqu’il ne sait pas qui est Poutine et qu’il va donc se faire rouler lors de la négociation. On peut dire cela en privé, et Zelensky l’a probablement fait, mais pas en public.

 

Vance tente de rattraper la situation en lui disant que l’Ukraine a du mal à recruter. Là aussi, c’est vrai. Mais encore une fois, on ne tient pas ce genre de propos en public.

Zelensky réplique à Vance en l’attaquant pour incompétence. Il lui dit, devant tout le monde, « vous ne comprenez pas la situation parce que vous n’êtes jamais venu en Ukraine ». Sous-entendu, « vous jouez au dur, mais vous ne savez pas ce que c’est que la guerre ».

Mais Vance a été soldat en Irak, il en a tiré un livre et une part de sa légitimité. Donc c’est une attaque qui le blesse durement.

Encore une fois, les propos de Zelensky sont justes, mais on ne dit pas cela devant le monde entier. D’autant que la mission du vice-président n’est pas de se rendre en Ukraine et de visiter ce que le gouvernement ukrainien voudra lui montrer, mais de prendre des décisions à partir de la matière fournie par ses services de renseignement diplomatique, militaire et sécuritaire.

Et donc, JD Vance réplique. Et puis Zelensky attaque frontalement Trump, dans une phrase qui peut paraître anodine, mais qui est clef. Il dit à Trump : « Les États-Unis sont protégés par un océan, mais vous finirez vous aussi par ressentir les effets de la guerre. »

Et là, ça vrille parce que Zelensky a touché une corde extrêmement sensible : les États-Unis sont faibles, ils vont ressentir les effets de la guerre. Or, Trump a bâti sa campagne sur Make America great again. Les États-Unis ne craignent personne, ils n’ont peur de personne. Et donc, il réplique : « You don’t know that, don’t tell us what we are gonna feel. »

 

Ou pour traduire : personne ne doit dire aux Américains ce qu’ils ressentent, ni leur dire qu’ils ressentir les effets de la guerre. Et surtout pas un chef d’État qui tient à bout de bras depuis trois ans grâce à l’aide américaine.

Et voilà comment se fait l’altercation. Ça dure trois minutes. Trump redit à Zelensky qu’il n’est rien sans les États-Unis, sans leur argent, sans leurs munitions. Et donc que, si Trump arrête de le soutenir, la guerre est finie en 48h.

Puis les esprits se reposent. On passe à d’autres questions, des sourires sont échangés et la réunion se termine.

 

Une leçon : pas de diplomatie publique

 

Les leçons que je retiens de cette réunion.

 

Tout s’est bien passé jusqu’à la 41e minute. Et tout aurait dû bien se passer dans les 8 dernières minutes si les sujets qui fâchent n’avaient pas été abordés.

La grande leçon est donc qu’il ne faut pas de diplomatie publique. Trump et Zelensky peuvent être en désaccord, notamment sur l’attitude à avoir à l’égard de Poutine, mais cela doit rester privé. Jamais public.

 

Le problème principal réside donc dans ce format de réunion, cette sorte de téléréalité de la diplomatie, où l’on a voulu tout rendre transparent et tout rendre public. Car, en réalité, il n’y a rien, le fond du débat est vide. Il n’y a même pas de désaccord entre Trump et Zelensky : tout s’est bien passé 46 minutes durant.

Un autre problème se pose : le sens même de cette visite. Zelensky a opéré un vol Kiev – Washington, pour une demi-journée de réunion. Même en voyageant en avion d’affaires, c’est fatiguant. À quoi s’ajoute le décalage horaire. Il n’est donc pas au mieux de sa forme quand il aborde la réunion, ce qui empêche de bien mesurer ses propos.

Ce n’était pas à lui de se rendre à Washington, mais à son ambassadeur et à son ministre des Affaires étrangères.

On touche là un autre problème central de la diplomatie actuelle : l’absence de subsidiarité. Tout se joue entre chefs d’État alors qu’il doit y avoir une hiérarchie afin qu’il puisse y avoir des fusibles et des sas de décompression. Les chefs d’État ne doivent se rencontrer qu’en dernier ressort, pour finaliser l’accord. Or, désormais les chefs d’État discutent directement et font de la diplomatie directe, ce qui est contraire à l’essence de la diplomatie.

Ce que révèle cet accrochage, c’est donc que la diplomatie n’a pas été respectée, que les règles de base n’ont pas été suivies.

 

Sur le fond, il n’y a pas grand-chose. Ni rupture ni remise en cause des engagements. C’est bien un problème de forme et de respect des règles diplomatiques. Ce qui peut finir par coûter cher.

 

 

 

 

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

13 Commentaires

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

  • Paul

    11 mars 2025

    Rencontre absurde quant à la forme : Le désaccord de Trump avec la politique suivie par Biden etait bien connu ; donc Zelensky aurait du confier a son ambassadeur la tache d’aplanir – au prealable – les divergences . De plus la présence de Vance comme Picador du Matador Trump signifiait qu’ ils voulaient le terrasser à deux contre un . Quant au fond , depuis 2014 EuroMaidan les USA ont choisi d’utiliser l’ Ukraine pour nuire a la Russie ; c’etait déjà clair a Bucarest en 2008 , confirmé par l’expansion de l’ OTAN dans les 3 pays Baltes et a nouveau enclenché avec les accord de Minsk sur le respect des russophones d’ Ukraine ; Hollande et Merkel ont admis qu’ill fallait ainsi gagner du temps pour réarmer . Putin agresse l’Ukraine apres 14 ans de poussée OTAN ; Quant a la morale de l’ Occident , elle ne vaut guere mieux que la russe . Boris Johnson a incité Zelensky a refuser le cessez-le-feu formulé a Istanbul en 2023 ; Deux ans aprés cette occasion manquée l’ Ukraine est a la ramasse, l’ Europe est dans la panique , Poutine a raflé la mise ; Comme gachis c’est remarquable. Pour masquer cet échec occidental et européen on insiste sur Trump , un peu grosse la ficelle .

    Répondre
  • Robert

    10 mars 2025

    Ni rupture ni remise en cause des engagements dîtes vous.
    Effectivement, à mon avis, il est faux de croire que les américains vont quitter l’ Europe de jour au lendemain. Présents sur le continent depuis 80 ans, Ils sont à l’origine de la création de la CEE, quoi qu’en dise TRUMP.
    Ce dernier va probablement « réduire la voilure » et montrer qui est le patron avec sa délicatesse habituelle, mais sûrement pas abandonner l’ Europe aux Russes…
    Ne soyons pas dupes : ce sont essentiellement les partisans de l’ Europe fédérale qui poussent des cris d’orfraie face à la menace russe !

    Répondre
  • Patrice Pimoulle

    10 mars 2025

    Je pertage cerre analyse, la preparation d;un traite appelle la participarion de profrddionnrld, wuon appelle diplomstes, comme la reacrion d;un contrst appelle l’intervention de professionneld qu’on appelle avocatsl Tel n’etait pas le cas ici ce qui explique cettesebe malheureuse.

    Répondre
  • Explorer76

    10 mars 2025

    Vous exposez mahistralement ce que j’ai ressenti à la vue de cette vidéo. j’ajouterai que Zelensky aurait dû parler sa langue maternelle avec un traducteur, ça lui aurait ménagé des respirations. C’est valable pour tous les dirigeants qui s’expriment en anglais alors que ce n’est pas leur langue maternelle., Meloni ne fait pas cette erreur. Globalement, le problème de ces réunions sous l’oeil des caméras est qu’on tombe immanquablement dans la pornographie politique abondamment pratiquée par Macron et von der Leyen.

    Répondre
    • Robert

      10 mars 2025

      Pornographie politique : les mots sont justes.

  • Gérard C.

    9 mars 2025

    Je me demande si ce n’est pas davantage un traquenard avec comme but un message que Trump voulait envoyer à Poutine

    Répondre
    • Robert

      10 mars 2025

      Je ne le pense pas. On voit clairement Zelenski « déraper » comme analysé par M. Noë.

  • Amike

    9 mars 2025

    Cette article dit une chose et le contraire.

    A-La réunion portait sur des négociations : faux.
    B-Les chefs d’état ne devraient se rencontrer que pour parapher l’accord : ce fut le cas.

    Sauf que Zelensky est revenu sur le but de l’accord : la paix.
    Les Américains ne pouvaient pas ne pas répondre, publiquement, pour éviter les détournements médiatiques. La visibilité a évité toutes les affabulations habituelles.

    Le problème n’est pas le non respect de la forme diplomatique. Comme le respect de la forme diplomatique n’a pas empêché l’échec des accords de Minsk.

    Répondre
    • Patrice Pimoulle

      10 mars 2025

      Les accords de Minsk n’ont pas echoue. les accords de Minsk n’etaient en somme qu’une escroquerie,

    • Robert

      10 mars 2025

      P. Pimoule : Oui, en fait ces accords étaient un leurre destiné à gagner du temps. MERKEL l’aurait reconnu…

  • Gaulois réfractaire

    8 mars 2025

    Très intéressante analyse. Merci.

    Répondre
  • Rob

    8 mars 2025

    Excellent papier. Clair, concis qui met l’accent sur l’essentiel. A noter, nous avons à peu près le même comportement avec Macron qui a d’ailleurs supprimé le corps diplomatique. Pas un hasard.

    Répondre

Me prévenir lorsqu'un nouvel article est publié

Les livres de Charles Gave enfin réédités!