Par Olivier Meresse
L’idée qu’un taux de chômage élevé est un nécessaire tribut payé à la modernité s’installe peu à peu dans la société française. Surprenante à plus d’un titre, cette croyance s’appuie probablement sur la persistance d’un fort pourcentage de chômeurs dans notre pays depuis le début des années 70. Les justifications fournies durant une quarantaine d’années par nos dirigeants politiques ont pourtant fini par s’imposer, relayées par des commentateurs de la vie publique peu soucieux de leur porter la contradiction. Les travailleurs immigrés, les robots, les Chinois ou les financiers se sont ainsi succédé pour en endosser tour à tour la responsabilité. Le chômage reste ; seules les causes varient…
De plus savants que nous ayant déjà, en cette matière, démonté tous les mensonges et démontré toutes les vérités, nous nous efforcerons plutôt ici d’aligner quelques évidences qui nous paraissent faire trop souvent défaut dans le débat public.
Tant que tout n’est pas parfait, il y a du travail
C’est bien là la première de toutes les évidences. On ne travaille pas que pour le plaisir de travailler. On travaille pour résoudre des problèmes, apporter des solutions, anticiper des désirs. Aussi, tant que subsistera cette petite coulure de peinture dont l’apparence disgracieuse souille le tuyau du radiateur qui jouxte votre bureau, et quelque discrète qu’elle puisse être, il restera un travail à accomplir. Et quand elle sera gommée, il faudra encore faire disparaître le tuyau lui-même, ou inventer un nouveau radiateur pour remplacer ce nid à poussière d’un autre âge, et notre acuité aux disgrâces qui nous entourent ne connaît aucune borne, tout désir satisfait laissant émerger de nouvelles insatisfactions.
Du travail il y en a donc. Ce doit être l’argent qui manque. Navré d’aborder si tôt les sujets qui fâchent mais la taxation des revenus du travail est fort peu incitative. Sur un salaire minimum et sans impôt sur le revenu, les seules charges (charges salariales et charges dites abusivement patronales, puisqu’elles aussi sont payées au prorata des salaires versés) représentent déjà plus de la moitié de la part laissée au travailleur (on voudrait donner des chiffres, on ne le peut pas : les charges sur le salaire minimum varient suivant les branches d’activité et les zones géographiques). Dès lors, de nombreux travaux qui trouveraient preneurs sont abandonnés à la rouille ou au stade de l’esquisse. Quant au salaire minimum, le nombre de stagiaires et de statuts dérogatoires (contrats d’apprentissage, de professionnalisation, en alternance, etc.) ayant franchi en France les limites du défendable, nous ne le défendrons pas.
Taxer le travail et rémunérer l’oisiveté : un pari audacieux
Les différentes aides : allocations de chômage ou revenus minima, aides au logement, allocations familiales, versements et avantages divers sous conditions de ressources, secours municipaux, etc. permettent à bien des foyers de vivre ou de survivre sans travailler. Ou plutôt en fournissant un travail peu utile à leurs contemporains et assez peu gratifiant : faire la queue dans des administrations publiques, remplir des formulaires, contacter des services sociaux, geindre… Si en taxant le travail et en rémunérant l’oisiveté nous n’obtenions pas du chômage, ce serait sans doute le signe d’une dégénérescence irréversible des cerveaux humains. Aussi, félicitons-nous de ce fort taux d’inactivité qui frappe la France : ce qui est désolant du point de vue économique est très rassurant du point de vue biologique. La matière grise n’est toujours pas atteinte. Au plan génétique s’entend. Le clonage d’hommes nouveaux n’est encore qu’un projet.
Il n’est bien sûr pas question de taxer les chômeurs pour subventionner ceux qui travaillent, mais entre cette proposition outrancière et la situation actuelle nous disposons d’une marge confortable.
La charité participe de la noblesse de nos civilisations et il est bien naturel de tendre la main à ceux qui connaissent un passage difficile ou de soutenir ceux dont la naissance est marquée par le malheur. C’est l’érection d’un système vicieux et inique que nous fustigeons bien plutôt que ce qu’il laisse intact de notre part d’humanité. Et, à condition d’être libres et concurrentielles, les assurances sont une des plus louables réalisations du marché.
Si nous cessions de tout mettre cul par-dessus tête, les demandeurs d’emploi redeviendraient des offreurs de travail. Un pâtissier n’est pas un “demandeur de gourmandise”. C’est à lui que revient le devoir de proposer des gâteaux appétissants, de faire saliver les passants, de fidéliser ses clients. Le demandeur d’emploi est un objet social ; l’offreur de travail est propriétaire de lui-même, comme un adulte, libre de choisir son salaire ou ses horaires. Le statut de profession libérale ou d’entrepreneur devrait d’ailleurs nous être donné de naissance, du simple fait d’être Français, et c’est le salariat qui devrait être une exception contractuelle à ce statut d’individu libre. Le salariat est d’une certaine façon un double esclavage, en effet, le salarié n’ayant pas le droit de travailler en même temps pour un concurrent, et son patron n’ayant pas le droit de le licencier abruptement. Le salariat ou les droidloms, il faut choisir.
Le plein emploi exige le plein dividende
Nicolas Bruni, notre bien-aimé président, proposait récemment de partager les dividendes en trois parts égales : un tiers pour les salariés, un tiers réinvesti automatiquement dans l’entreprise, et enfin le dernier tiers généreusement concédé aux actionnaires (c’est très gentil d’avoir aussi pensé à eux ; il n’y était pas obligé). Tout le débat public a porté sur les pourcentages : un tiers, un cinquième, un quart ? chaque famille avait sa recette et souhaitait la promouvoir. Ce projet inepte nous aura pourtant donné la chance d’entendre Jean-Marc Daniel, dans sa chronique radiophonique matinale On redécouvre la Lune1, nous rappeler que le débat avait déjà eu lieu en 1966-67 lorsque le Général avait instauré “la participation”. Tout le monde était contre pour des raisons variées et le dispositif passera par ordonnance. Ainsi, les syndicats de salariés s’y opposaient par refus de la “collaboration de classes”. Plus intéressant : les patrons de l’époque, manifestement moins décérébrés que ceux d’aujourd’hui sur le plan politique, arguaient que le dispositif serait contre-productif parce qu’il aurait pour effet d’amoindrir les profits, donc l’investissement et la croissance, quand cette dynamique de la croissance est la meilleure alliée du pouvoir d’achat des salariés.
Les salaires augmentent plus du fait de la concurrence que les entreprises se livrent à l’embauche que du fait des luttes syndicales pour leur revalorisation. L’offre de travail répond, elle aussi, qu’on l’accepte ou qu’on le déplore, aux lois du marché, et un taux élevé de chômage ne peut que faire baisser les salaires. Les choses sont liées : plus d’investissement c’est plus d’activité, donc moins de chômage et de meilleurs salaires. Libre à chaque salarié d’investir alors son revenu dans les actions de son choix, celles de son entreprise comme celles d’un concurrent. Concernant la diminution du chômage, la marche à suivre est donc très claire : supprimer la participation et baisser l’impôt sur les bénéfices. Plus on se rapprochera de l’idéal de 100 % des dividendes laissés à la discrétion des actionnaires et mieux l’emploi se portera, c’est certain. La spéculation n’a rien de nocif, mais de meilleurs dividendes rééquilibreront à la baisse sa part dans les placements.
Licencier est la dynamique même de toute entreprise, une de ses fonctions les plus essentielles
C’est la croissance des entreprises d’une part, et la multiplication des entreprises d’autre part, qui font l’emploi. Mais chaque entreprise, prise séparément, s’efforce de faire plus avec moins. Tel atelier qui fonctionne aujourd’hui avec sept ouvriers fonctionnera l’an prochain avec seulement cinq personnes, dont certaines moins expérimentées. On ne s’en rend pas toujours compte car les entreprises qui fonctionnent bien se développent et continuent d’embaucher, mais la fonction la plus importante de l’entreprise, son job number one, c’est de licencier. Si elle ne fait pas en permanence ce travail d’ajustement ou d’élagage, ce seront ses concurrents qui le feront à sa place, et plus douloureusement puisque cela conduira l’entreprise à arrêter l’activité qui n’est plus concurrentielle ou même à fermer.
1 BFM Business, 3 mai 2011
Comme il n’est pas si simple de trouver des gens compétents, qui comprennent les tenants et les aboutissants de votre activité, qui connaissent le trajet de chez eux à votre usine, qui supportent les manies de vos autres collaborateurs ou qui adhèrent à l’esprit de la maison, l’intérêt des entrepreneurs est le plus souvent de réaffecter les personnes libérées par ces gains de productivité.
Cette “destruction créatrice” a été rendue manifeste par Joseph Schumpeter : « […] processus de mutation industrielle – si l’on me passe cette expression biologique – qui révolutionne incessamment de l’intérieur la structure économique, en détruisant continuellement ses éléments vieillis et en créant continuellement des éléments neufs. Ce processus de destruction créatrice constitue la donnée fondamentale du capitalisme : c’est en elle que consiste, en dernière analyse, le capitalisme et toute entreprise capitaliste doit, bon gré mal gré, s’y adapter. »2 Lecteur attentif et revendiqué de Schumpeter, Geoffroy Roux de Bézieux rappelait récemment à une tribune qu’il n’y avait pas d’économie dynamique, en croissance et créatrice nette d’emploi qui ne détruise au minimum — condition nécessaire mais non suffisante, soulignait-il — 15 % de ses emplois chaque année.
Les très grandes entreprises, celles qui faisaient la croissance des décennies passées, licencient généralement plus qu’elles ne recrutent. Les activités d’aujourd’hui ou de demain présentent un solde positif, mais c’est une illusion d’optique qui ne doit pas nous empêcher de voir qu’elles débauchent, elles aussi, à tour de bras. Rien n’est donc plus contraire à la croissance et ne peut nuire davantage à l’emploi que d’ « interdire les licenciements ».
La sécurité des uns fabrique mécaniquement la précarité des autres
Lorsque le personnel de l’Etat, toujours très joueur, nous fabrique une nouvelle crise monétaire, nous ne la recevons pas tous de la même façon. Certains bénéficient de la sécurité de l’emploi. Ils ne peuvent être licenciés et même leurs revenus sont garantis. Mais il faut bien pourtant que cette crise se traduise à un endroit ou à un autre par un effet donné. Il faut bien qu’elle soit absorbée quelque part. Quand le salaire du clown des rues ou de l’agent d’ambiance est budgété, et donc reconduit d’années en années, ou que les jardiniers de nos squares continuent de planter, d’arroser, de tailler comme s’il ne s’était rien passé, que rien ne se passait, comme s’il ne se passerait jamais rien d’autre que le doux rythme des saisons, c’est bien parce qu’ailleurs la misère se répand, que des gueux meurent de froid et que des enfants pleurent.
En cas de crise, qui paie la note pour ces tripotées de hauts fonctionnaires, pour ces kyrielles de revenus garantis, pour ces myriades de budgets irrécusables ? En premier lieu tous ceux qui ont pris des risques qui se sont révélés moins profitables qu’anticipé. Pour bénéficier du talent et des exploits d’un Zidane, il faut que beaucoup de gamins doués embrassent la carrière de footballeur. Zidane a procuré du travail à beaucoup de gens : chez les fabricants de vignettes ou les vendeurs de T-shirts, à la télévision ou dans ses clubs, chez les buralistes ou les brasseurs. Et il a tiré lui-même un bon revenu de cette richesse qu’il a engendrée. Mais c’est un choix de carrière très risqué. Il aurait pu être au final moins habile, ou se faire casser par Gillhaus ou Koeman en défense.
Il n’y aura pas d’emplois pour les uns si les autres n’innovent pas (la roulette pour Zidane…). Les carrières de ceux qui prennent des risques ne peuvent pas être linéaires. Ils peuvent gagner beaucoup les années fastes et subitement plus rien. Les carrières sans accidents sont d’ailleurs de plus en plus rares. La progressivité de l’impôt est un des pires freins à la prise de risque et une des pires calamités pour tous ceux qui connaissent des vies professionnelles en dents de scie. Puisqu’il est un peu tôt pour rêver à un impôt de capitation ou mieux encore à la disparition de tout impôt, l’instauration d’une flat tax permettrait déjà de ne pénaliser ni les uns ni les autres.
Que davantage de rentiers laissent la place à ceux qui ont besoin de bosser !
Comme nous le disions plus haut, du travail il y en a. Faut-il s’en réjouir ? Les anciens Grecs tenaient le travail en piètre estime, trouvant plus nobles la méditation et la contemplation. C’est le
2 Joseph Schumpeter, 1942, Capitalisme, socialisme et démocratie
christianisme, particulièrement dans sa version réformée, qui fera du travail une valeur suprême. Le socialisme s’en emparera dès l’origine pour en faire un dénominateur commun et égalitariste du collectif social d’individus-fourmis. Nous en sommes là et, chaque matin, c’est au nom de cette idéologie que des nuées de fonctionnaires prennent le métro pour aller faire un travail que d’autres, aussi nombreux, devront aussitôt défaire.
L’euthanasie des rentiers, chère à Keynes, a eu pour conséquence d’envoyer au turbin bien des personnes prêtes à céder leur place. L’impôt sur la fortune ou sur le capital fait du bien aux aigris et aux envieux mais il avive la concurrence à l’embauche et fait grossir les statistiques du chômage en plus d’assécher le capitalisme. Et nous manquons en France de business angels et de venture capitalists. Passer d’un système de retraite par répartition à un système de retraite par capitalisation est une des voies qui nous permettraient de reconstituer un vivier de rentiers.
Avant de se partager des richesses, il faut les créer, ce que seules peuvent faire des entreprises privées vendant des produits ou des services concurrentiels sur des marchés libres. La liberté engendre la richesse puisqu’elle laisse aux individus le soin de choisir ce qu’ils préfèrent : aller là où il y a de quoi manger par exemple, ou échanger des biens ou du travail avec d’autres individus libres. La contrainte exercée par un pouvoir engendre tout aussi automatiquement la misère puisqu’elle force des individus à faire autre chose que ce qu’ils auraient fait s’ils avaient été libres. Ainsi, toute somme qui chemine par le fisc fabrique de la misère puisqu’en plus du coût du cheminement lui-même, elle implique un coût d’opportunité : même très judicieusement investie, elle ne l’est jamais là où elle l’aurait été par son propriétaire légitime et cette perte, même infime (elle ne l’est pas souvent) est enregistrée pour tous. Bien mal acquis ne profite jamais : ni au voleur ni au volé ni à personne d’autre.
Pierre Bessard l’a très bien formulé : « Un marché, qui ne traduit rien d’autre qu’un ensemble de relations contractuelles librement consenties, ne peut, par définition, être défaillant. Un marché est toujours fondé puisqu’il reflète les choix des parties contractantes : que celles-ci acceptent de conclure l’échange en est une preuve suffisante. »3 Puisqu’il n’y a pas de défaillance du marché, c’est donc toujours dans ce qui prétend l’encadrer que nous devons chercher la source des calamités que nous aurions la tentation de lui attribuer.
Les politiques de l’emploi ne pourront jamais qu’administrer le chômage. Légiférer sans résultats pour favoriser tantôt les séniors, tantôt les juniors, ou la “diversité”, ou les non-diplômés, puis les jeunes diplômés, et de nouveau les séniors, ou les chômeurs de longue durée… Seul le retour de la prospérité nous permettra d’en sortir. Celle-ci ne pourra revenir qu’avec une forte diminution de la part des échanges contraints, qui consomment de la richesse. Autrement dit, avec une baisse des prélèvements obligatoires et des dépenses publiques, et la suppression de ces multitudes de législations qui prétendent orienter l’investissement et la consommation. Le plein emploi est au bout. Le moins qu’on puisse dire est que nous n’en prenons pas le chemin.
Concluons par ces mots d’un sermon de Bossuet : « Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences alors qu’ils en chérissent les causes. »
3 Pierre Bessard, Le Temps, 20 février 2008, La crise financière reflète la défaillance de l’Etat
Addendum: Dette totale du Gouvernement par salariés.
En rouge: Japon
En bleu: USA
En noir: France
Auteur: idlibertes
Profession de foi de IdL: *Je suis libéral, c'est à dire partisan de la liberté individuelle comme valeur fondamentale. *Je ne crois pas que libéralisme soit une une théorie économique mais plutôt une théorie de comment appliquer le Droit au capitalisme pour que ce dernier fonctionne à la satisfaction générale. *Le libéralisme est une théorie philosophique appliquée au Droit, et pas à l'Economie qui vient très loin derrière dans les préoccupations de Constant, Tocqueville , Bastiat, Raymond Aron, Jean-François Revel et bien d'autres; *Le but suprême pour les libéraux que nous incarnons étant que le Droit empêche les gros de faire du mal aux petits,les petits de massacrer les gros mais surtout, l'Etat d'enquiquiner tout le monde.