La géopolitique s’intéresse également à l’intelligence territoriale, c’est-à-dire à l’étude des territoires locaux et à leurs imbrications dans différentes strates d’échelles, du local au global. Le psychodrame autour de la ligne aérienne d’Air France Orly / Mérignac illustre ici une incompétence territoriale manifeste et une nouvelle défaite de l’État stratège, qui semble transformer en plomb tout ce qui fonctionne bien.
Récapitulons les faits. Bruno Lemaire promet que l’État, c’est-à-dire le contribuable, viendra en aide aux compagnies aériennes que celui-ci a interdit de travailler durant le premier confinement. Il promet donc de prêter 7 milliards d’euros à Air France, une entreprise que le contribuable ne cesse de renflouer depuis les années 1990. Mais ce prêt, vital pour la survie de l’entreprise, est soumis à une condition : fermer la ligne aérienne Orly / Mérignac. C’est ce que l’on appelle du chantage : si vous ne répondez pas à ma demande, je ne vous donne pas l’argent dont vous avez absolument besoin pour survivre. Un chantage qui répond à deux lobbys : celui de la SNCF, qui espère ainsi récupérer des passagers sur une ligne TGV qu’elle vient d’ouvrir, et celui des Verts, qui n’aiment pas l’avion et qui demandent à ce que les lignes ferment. Air France est donc obligée de se soumettre et de fermer la ligne. Évidemment, les conséquences économiques, territoriales et sociales d’une telle fermeture n’ont pas été évaluées.
Une ligne pour quoi faire ?
Ainsi les journaux parlent d’une ligne aérienne Bordeaux / Paris, ce qui est faux. Il s’agit de la ligne Orly / Mérignac, 5 vols par jour et 560 000 passagers par an. Orly est situé à 17 km du centre de Paris et l’aéroport de Mérignac à 16 km de la gare Bordeaux Saint-Jean. Quand un passager prend l’avion à Orly pour se rendre à Mérignac ce n’est pas nécessairement pour aller à Bordeaux, mais pour se rendre soit dans la zone économique de Mérignac, soit dans une commune extérieure à Bordeaux. Le trajet en avion n’est donc pas le même que celui en train. L’aéroport de Mérignac est facile d’accès, avec sa rocade et ses larges avenues. La gare de Bordeaux est difficilement accessible, les maires de toutes les villes ayant décidé que leur gare devait être le plus inaccessible pour les passagers. La palme du pire revenant sans doute aux gares de Dijon et du Mans, où il est quasiment impossible de s’arrêter pour déposer un voyageur et ses valises. C’est la raison pour laquelle les infrastructures qui attirent de nombreux flux de va-et-vient pour des déposes de personnes sont situées à l’extérieur des villes, afin de limiter les embouteillages et d’agrandir au maximum la zone d’influence de celles-ci. Aujourd’hui, il est encore aisé de se rendre à Orly et à Mérignac, plus du tout à la gare saint Jean ou à la gare Montparnasse. Fermer la ligne au motif que le trajet train est équivalent au trajet avion est donc faux.
Deux zones économiques différentes
À cela s’ajoute l’intérêt économique de la zone de Mérignac et d’Orly. Cela fait plusieurs décennies que les aéroports ne sont plus des hangars et des pistes où se posent les avions, mais des centres d’affaires, avec leurs hôtels, leurs salles de réunion, leurs entreprises. Ainsi, pour un grand nombre de travailleurs, nationaux ou internationaux, on ne se rend pas à Paris, mais bien à Roissy ou à Orly ; comme on se rend à Mérignac et non pas à Bordeaux. Orly, c’est plus de 250 entreprises et 25 000 salariés. Des emplois qui ne sont pas directement liés à l’activité de l’aéroport, mais qui vivent grâce à lui. L’aéronautique et le spatial représentent 300 entreprises et 35 000 emplois dans la métropole de Bordeaux, là aussi relié au cœur de Mérignac qui permet les échanges entre Paris, Toulouse et l’international. À titre de comparaison, le quartier d’affaires de La Défense, l’un des principaux quartiers d’affaires en Europe, représente 180 000 emplois. Couper la ligne aérienne c’est donc couper Mérignac de ses connexions avec les autres pôles économiques français et européens. C’est une ineptie, car ces personnes ne vont pas s’engouffrer dans les embouteillages bordelais pour tenter de prendre un TGV SNCF, quand celle-ci n’est pas en grève.
Le prix de l’immobilier est un excellent indicateur de l’attractivité d’un territoire et donc de la valeur que les acheteurs accordent à un lieu. Ceux-ci sont quasiment identiques dans le quartier de Bordeaux Saint-Jean et de Mérignac, preuve que les inconvénients de l’aéroport, notamment le bruit et les passages, passent après ses avantages : proximité géographique forte avec une zone économique attractive et en expansion. Mais cette zone dépend de cette liaison aérienne. Ce qui pourrait sauver Mérignac c’est que la liaison avec Roissy Charles-de-Gaulle est maintenue, une façon donc de continuer à relier ce territoire à la capitale. Et peut être aussi pour Air France une façon de fermer une ligne peu rentable en basculant ses vols vers le seul Roissy.
La SNCF et Air France ont par ailleurs décidé de créer un billet « train + vol » pour les vols internationaux. Il est alors possible de prendre un train de la gare de Saint-Jean pour relier la gare de Massy TGV, puis de prendre un taxi entre Massy et Orly. Soit 30 minutes de trajet en plus, sans compter le temps du transbordement, dans une zone qui est très souvent fortement embouteillée. Une belle idée sur le papier, qui ne devrait pas satisfaire beaucoup de monde.
La mise à l’écart de Bordeaux ?
Les Verts se sont réjouis de cette fermeture, eux dont la compensation carbone sert de morale d’ajustement. Ce qu’ils ne voient pas, c’est que la fin de cette ligne et de ces 1 500 passagers qui transitent quotidiennement va affaiblir le pôle économique de Bordeaux. C’est sa rivale Toulouse qui peut en tirer bénéfice, elle dont l’aéroport de Blagnac possède plusieurs navettes quotidiennes vers Paris.
L’exemple de cette ligne aérienne Mérignac / Orly illustre comment un sujet de traitement national a des répercussions au niveau local, mais aussi au niveau régional. Le match est ici relancé entre la capitale de l’Aquitaine et celle de l’Occitanie, la dernière bénéficiant en plus d’un maire expérimenté et moins sectaire. Toulouse souhaite avoir un TGV depuis des décennies, ce qui est rendu compliqué par le relief de la région et la présence dominante de l’aérospatiale qui ne souhaite pas avoir un concurrent dans les pattes. La décision de Bruno Lemaire, expression d’un fait du prince qui passe à côté de ses dossiers, entérine un partage des transports entre le ferroviaire et l’aérien, et dont le gagnant ne sera peut être pas Bordeaux, mais Toulouse.
Auteur: Jean-Baptiste Noé
Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).
Grégoire
18 janvier 2021Il y a toujours des vols Bordeaux Paris par Roissy et le TGV. L’attractivité de Bordeaux et de sa région ne sera pas impacté par la suppression du vol vers Orly, il y aura seulement des habitudes à changer pour ceux qui étaient habitués.
Pour l’attractivité de Toulouse VS Bordeaux, c’est une vieille histoire qui a toujours exacerbé les toulousains, les bordelais étant beaucoup moins obnubilés par cette compétition régionale.
Or si Toulouse est un pôle aéronautique reconnue il est néanmoins centré sur l’activité de transport actuellement en crise et sur le montage des usines airbus. Il y a finalement plus d’emploi dans l’aéronautique à Bordeaux qu’à Toulouse et celle ci est aussi plus diversifiée, notamment le militaire et l’aviation d’affaire.
Toulouse est plus enclavé que la région Aquitaine qui est ouverte sur la façade atlantique et l’Espagne, tout en ayant le réseau autoroutier qui relie à Lyon et Paris pour les axes principaux.
Je vois beaucoup plus d’atouts en aquitaine et pour Bordeaux que pour Toulouse.
Ces observations étant faites on peut constater les données chiffrées et voir que la Gironde a 233 000 habitants en plus et une évolution du solde entrée/sortie depuis 2017 (hors natalité) deux fois supérieur, 0.8 contre 0.4%. Le taux de chômage est plus faible en Gironde et le distinguo est plus fort si on considère les régions Occitanie et Aquitaine.
Bref je ne vois pas en quoi cette dynamique de territoire pourrait être contrarié par la fermeture, toutefois regrettable, d’une liaison aérienne.
Dominique
16 janvier 2021Excellente chronique qui remet à jour cette scandaleuse atteinte aux libertés, bien vite oubliée. Car cette décision crée un précédent et le monstre étatique SNCF va vouloir fermer d’autres aéroports. Maintenant : que faire afin que la LIBERTÉ de choix du mode de transport persiste ?
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Déjà la taxation de l’essence et le coût des péages pénalisent outrageusement le mode automobile ! On attend donc que les élus patriotes se manifestent pour arrêter cette folie du tout-TGV, car le train est par ailleurs un moyen de transport dépassé, ruineux, polluant, etc. etc.
Charles Heyd
17 janvier 2021Plus polluant que vous, je parle de ce site, je ne vois pas!
Arrachons toutes les lignes de chemins de fer! Et commençons par le RER et métro parisien!
Xavier.C
16 janvier 2021Juste une petite digression… La France avec son domaine maritime immense, mériterait une capitale qui soit un port..!!
Et une marine digne de ce domaine immense, maintenant ce n’est que l’avis d’un Îlien à 18000 km de cette métropole.., qui a pu voir la différence avec Hawaii..!! son voisin Polynésien..!
Plusieurs évoque l’avenir au fond de nos mers, je parlerai plus du présent avec le pillage de nos eaux par les bateaux poubelle Chinois… Qui pour faire la police..!!! Le Mana..!
Merci
Xavier.C
16 janvier 2021Je suis désolé d’être un peu court, mais quand t’es con, t’es con, l’inculture à tous les niveaux de ceux qui se font nommer « élites » est pathétique…! Il est temps qu’un Monsieur Propre face un brin de toilette dans ce parisianisme incestueux..! Que nous puissions retrouver des valeurs locales avec leurs besoins, leurs spécificités, leurs intelligences, leurs façons de vivre en propre, ce qui a toujours fait la spécificité et l’attrait de nos régions et de leurs restaurants, lieux de partage de ces cultures et particularités..!!!
A nous de réinventer une façon nouvelle de les vivre…
Merci
breizh
15 janvier 2021réflexion intéressante !
ET quand on coupe toutes les subventions, que se passe-t-il ?
Lionel
15 janvier 2021Bravo pour ce brillant article Jean-Baptiste Noé ! Il y aurait fort à dire sur la politique de développement ferroviaire en France.
SAHUC / Olivier
15 janvier 2021Bonjour,
D’abord une précision concernant la gare de Dijon : j’ai habité 5 ans à Dijon et Grand Voyageur le Club : le parking pour déposer gratuit sans problème suffit de faire un échange de billet . De l’autre côté c’est un couloir pour les journaliers.
Vous avez tout à fait raison : sous sommes sous Staline ; maintenant ce qui est différent c’est que Staline a dû être très violent pour foutre par terre les infrastructures de transport. Ici c’est plus simple mais tout à fait efficace. Je pense que les vieux qui nous gouvernent rêvent d’une terre brûlée pour leur mort . Ne rien laisser derrière . C’est un objectif de fin de vie ne rien laisser aux autres.
FREDERIC GIROT
15 janvier 2021Bon article qui pose des questions judicieuses sur les conséquences pour les emplois et l’activité économique de Bordeaux, hormis cette phrase, qui n’est pas tout à fait juste : « Air France, une entreprise que le contribuable « ne cesse de renflouer depuis les années 1990 ». Non le contribuable « ne cesse pas » de renflouer AF « depuis les années 1990″…Sous entendu, qu’il renflouerait AF « en permanence », ce qui est faux.
Il est juste par contre d’écrire que les contribuables (vous, moi, etc…), ont renfloué AF au début des années 1990 (vers 92 ou 93…De mémoire…), par une recapitalisation d’AF de 20 milliards de francs de l’époque à la suite de la gestion calamiteuse d’un certain Bernard Attali (frère de Jacques), à l’époque PDG d’AF.
Cordialement
Charles Heyd
15 janvier 2021Je m’étais évertué pendant de longues minutes ce matin à poster une réponse sans succès, je retente donc ma chance!
Ce billet me rappelle furieusement un précédent qui parlait de l’état stratège; je réponds donc, car déjà à l’époque je n’étais pas d’accord avec vous M. Noé;
la manière de mettre dos à dos le TGV et l’aérien dans ce billet me met mal à l’aise et me parait même de mauvaise foi;
– le TGV va jusqu’à Bordeaux mais pas à Toulouse; qui a décidé de relier Paris à Bordeaux en TGV; mais c’est la SNCF me direz-vous; la SNCF est une entreprise nationale (nationalisée pour les nationalistes et autres populistes) et c’est donc l’état qui incite (très fortement) cette entreprise (un peu endettée) à réaliser cette œuvre dans le cadre de l’aménagement du territoire (l’état stratège!); mais une fois réalisée et le déficit de cette entreprise creusé un peu plus, il ne faut surtout pas inciter les usagers à utiliser le TGV mais l’avion; tous les businessmen vont à Mérignac et nullement à Bordeaux et partant d’Orly ils n’ont pas besoin d’emprunter le métro sale et puant pour prendre l’avion payé par leur entreprise!
Si je vous comprends bien M. Noé il n’aurait pas fallu construire cette ligne TGV (Paris-Bordeaux) et surtout pas relier Toulouse à Paris (Montparnasse, une banlieue parisienne) car en plus Toulouse est un pole aérospatial et on ne comprendrait pas pourquoi un train moderne irait dans ce genre d’endroit! C’est un argument de mauvaise foi.
– il y a longtemps, un certain baron Hausmann a désengorgé un Paris vieux et délabré et nos brillants ingénieurs, lorsqu’ils ont construits ces aéroports ont pris soin de bien étudier les liaisons avec les centres-villes; je ne vais pas reprendre vos (bons) arguments qui parlent de cela; je vous répondrais simplement que lorsqu’on a construit les lignes TGV à travers champs il faillait aussi penser aux gares de départ et d’arrivée,; c’est encore une fois de la stratégie! En Lorraine, sur le trajet Paris-Strasbourg on a ainsi construit une belle gare en plein champs; c’est bucolique, ubuesque et je ne sais quoi!
Bref, quand on dépense des milliards (d’€) d’argent public pour financer une infrastructure il faut penser à son utilisation; et quand on finance une entreprise au bord du dépot de bilan (Air France) avec des milliards de ces mêmes € il faut se demander si cela en vaut vraiment la peine! Cela aussi c’est de la stratégie, de l’Etat, puisque c’est nos sous!
breizh
20 janvier 2021pourquoi réfléchir quand il y a des subventions et les impôts qui paient ?
michel hasbrouck
15 janvier 2021Épisode du jour de notre grand feuilleton à insuccès : « L’ineptocratie et Mérignac »
Arthur Justice-Espenan
15 janvier 2021Sans compter que Toulouse a l’avantage d’avoir des prix immobiliers encore raisonnable (notamment aux alentours), d’être une ville étudiante importante et que l’industrie aéronautique a permis de maintenir un tissu de sous-traitants (ETI et PME) qui seront obligés de se réinventer et pourquoi pas produire demain autre chose que des pieces aéronautiques.
Le maillage des villes moyennes autour est intéressant (Montauban, Auch, Albi, Tarbes..) et il y a une certaine stabilité politique, néanmoins sans poids au niveau national, comme a pu l’être Juppé pour Bordeaux. Si la ville parvient à freiner l’insécurité et cantonner l’extreme-gauche en marge de sa vie municipale , Toulouse a un role à jouer intéressant dans ce nouveau monde, en plus de rester une ville agréable et accueillante, comme l’a surement connu Monsieur Gave durant ses années sciences po 😉
Jepirad
15 janvier 2021Vous expliquez bien les enjeux territoriaux. Vous ne rappelez pas que ce chantage est le fait de la mise en œuvre de la convention citoyenne sur le climat. La création de cette convention voulue par Macron est une démonstration de la faiblesse du pouvoir. L’aménagement du territoire dépend d’une stratégie globale décidée par un homme d’État visionnaire. On en est loin.
Henri
15 janvier 2021Guillaume 9 d’Aquitaine et Raymond 4 de Toulouse passaient leur temps à se chercher querelle, avec l’arbitrage du roi de France. Plus ça change…
Daurat de Châtelus
15 janvier 2021logique puisque on vit en absurdi….