27 janvier, 2015

Notre Etat, tel Cronos, mange ses enfants

Comment vivre dans un Etat juge et parti, gourmand de l’argent gagné par ses nationaux jusqu’à les écœurer !? Comment respecter un Etat qui n’hésite pas à rompre un contrat qui tout à coup ne lui convient plus.

La dénonciation de la concession des portiques pour le relevé des Ecotaxes avec des millions perdus et des centaines de chômeurs supplémentaires, celle de la concession des autoroutes supposée être, soudain, un eldorado financier perdu, ne sont que les affaires les plus visibles dans l’actualité du moment. Les promesses non tenues, les contrats léonins sources de chicanes invraisemblables, les commandes remisent en cause sans pouvoir obtenir de simples compensations, le droit du travail bafoué quand ce n’est pas le droit tout court. Il faut être un familier des couloirs des pouvoirs pour avoir une vision globale des nombreux manquements à la confiance auxquels un Etat de droit ne devrait pas déroger.

Les citoyens, entreprises et contribuables sont piégés dans le maquis de la multiplication et des modifications des lois. Lois toujours plus favorables à un Etat tout puissant et impécunieux, partenaire sans parole qui traumatise inutilement le corps social et économique depuis des années. Pour cela le gouvernement n’a jamais hésité à tordre le cou à des lois édictées quelques années et mêmes des mois auparavant. Les modifications permanentes des lois fiscales ou des politiques du logement ainsi que l’invention permanente de taxes nouvelles sont devenues historiques, tout comme la complexité des règlementations du travail et des salaires. Ce mouvement brownien aux multiples effets pervers a pris une telle ampleur que le gouvernement a du faire voter une loi – encore une !- (sic) qui engage l’Etat à abandonner l’utilisation (scandaleuse !) de la rétroactivité pour changer des règles qui lui apparaissaient, à un moment, moins favorables pour lui-même. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, cette loi n’est pas pour rendre service à nos entreprises, ni aux contribuables, non; c’est parce que les pouvoirs publics ont réalisé la mauvaise image de marque que cela donnait de la France alors que de plus en plus de sièges sociaux déménageaient à l’étranger. Une promesse dont je doute qu’elle tiendra longtemps. Dans une économie administrée on ne change pas une addiction qui, de plus, n’est jamais sanctionnée.

Mais si l’Etat sans foi ni loi est un mauvais perdant, il sait aussi tirer le meilleur parti de sa force… heu, comment dire ?… de persuasion. Nous sommes quelques-uns à n’avoir pas oublié que les 35 heures, réservées dans un premier temps aux secteurs concurrentiels, ont été octroyées ensuite au secteur public, ce qui a permis de constater l’embarras de responsables au Ministère du Travail où l’on pratiquait depuis longtemps les … 32 heures ! La gauche y a vu une manière indirecte d’offrir un avantage à sa clientèle électorale sans en mesurer l’impact sur les organisations concernées. Voyez-la rétropédaler maintenant qu’elle a réalisé les effets pervers des comptes d’épargne temps octroyés généreusement. Voici les mêmes, de retour avec le compte pénibilité. Les fonctionnaires et assimilés vont réclamer leur dû… Songez aux personnels hospitaliers, eux aussi ont des métiers pénibles et pourquoi pas d’autres !? Imaginez maintenant les effets des décomptes correspondants tout aussi généreux qui vont venir compléter des régimes spéciaux déjà inéquitables. Des régimes spéciaux datant des années 40, à la fin de la guerre et qui devaient, selon les pouvoirs publics de l’époque, rester « provisoires ». Là encore Paroles…  Paroles! Des régimes qui puisent de plus en plus dans les caisses des retraités du régime général mises désormais en danger. Partout le constat est le même, la sphère publique et assimilée, clientèle privilégiée de certains élus et membres du gouvernement, capte de plus en plus de richesses au détriment de la sphère privée[1]. Bien que plus productive, celle-ci s’anémie, ne peut plus investir, réduit le nombre de salariés et les met en situation sans cesse plus précaire. Tous ceux qui le peuvent tentent de se sauver en délocalisant ou en entrant d’une façon ou d’une autre dans cette sphère de la France protégée sans réaliser que cela enfonce encore plus la barque de nos finances.

Je suis absolument convaincu qu’une grande majorité de français n’a absolument pas conscience de l’impitoyable chasse des grosses têtes de Bercy pour alimenter le monstre étatique qu’est devenu notre Etat, qui tel Cronos, mange ses enfants. À la fin du troisième trimestre 2014, la dette publique de la France s’établissait selon l’Insee à 2031,5 milliards d’euros, soit une hausse de 96 milliards en un an[2]. Cette année encore, et malgré la très faible inflation, c’est la progression des tarifs des services publics (Poste- Gaz- EDF- Transports urbain – SNCF) qui pèsera sur le porte-monnaie des ménages. L’engagement de Bercy (un de plus) de ne plus augmenter les impôts aura simplement été contourné par l’augmentation des tarifs des services publics. Et, contrairement à ses promesses, ce monstre qu’est la sphère publique augmente encore ses effectifs malgré la disette alors que les comptes du pays continuent à se dégrader, comme l’emploi, d’ailleurs ! Tous les serments de rigueur et d’économies n’ont apparemment engagé que ceux qui y ont cru. Et tout le monde trinque. Lorsque les pouvoirs public annoncent qu’ils vont réduire leur délais de paiement aux entreprises, leurs services trouvent comme astuce de retarder, par toutes sortes de mauvaises raisons, la date de rendez-vous de la réception des travaux ou des études commandées qui lance le délai du règlement. Du coup, il augmente plus qu’il ne se réduit !

Je ne crois pas que cela soit une démarche « anti Etat » que de refuser l’immiscion croissante des pouvoirs publics dans les affaires privées. Je ne crois pas « anti-fonctionnaires » de remettre en question des situations de monopoles de services de l’Etat qui font concurrence aux entreprises privées dans de multiples domaines. Je ne crois pas que cela soit « anti démocratique» que de dénoncer le refus des élus de remettre en question les statuts de la fonction publique datant d’une autre époque, surtout en ces temps de vaches maigres. Enfin, je ne crois pas malsain de clarifier et réajuster les modèles économiques de l’Etat providence inventés il y a plus d’un demi-siècle. Imaginez un instant que d’autres pans de nos activités sociales et économiques soient restées en l’état, figées depuis les années 40 : où croyez-vous qu’en serait votre France, Messieurs les « Toujours plus » !? Au final, qui acceptera de plaider pour une loi sur la subsidiarité qui donnerait au secteur privé le droit de supplanter un service public chaque fois qu’il lui est possible de le fournir à coût et efficacité au moins équivalente !?

 

 

[1]Les activités de la sphère publique pèsent désormais 57% du PIB contre 52% en 2007

[2] Notre dette a triplé en vingt ans (680 milliards en 1995) et dou­blé en dix ans (1 025 milliards en 2003). Elle s’élève aujourd’hui à 30 770 euros par habi­tant, contre 12 000 euros en 1995. En pourcentage du PIB, la dette publique atteint 95,2%. On peut y trouver une explication en étudiant l’écart des dépenses publiques entre la France et de l’Allemagne

Auteur: Denis Ettighoffer

Denis Ettighoffer, 68 ans, est une figure connue des spécialistes en technologies de l’information et de la communication et en sciences sociales et économiques. On lui doit les premières réflexions avancées sur L'Entreprise Virtuelle, son premier livre début des années 90. Denis Ettighoffer, ex-directeur de Bossard Consultants, conseil en management & organisation, est intervenu auprès de grandes sociétés, d’administrations centrales et de nombreuses collectivités territoriales. En 1992, il a fondé Eurotechnopolis Institut avec pour ambition d'étudier les impacts de la diffusion des nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC) sur notre société, l'économie, la compétitivité de nos entreprises et sur nos façons de concevoir le travail.

10 Commentaires

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  • Aenas

    15 février 2015

    C’est Cronos qui mange ses enfants à éviter de confondre avec Chronos.

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    • idlibertes

      16 février 2015

      Merci. Vous avez raison.

    • ettighoffer

      16 février 2015

      KRONOS et CHRONOS

      La mythologie grecque avait le dieu : Kronos, le père des dieux et les romains Chronos, le temps. Fils puiné du Ciel et de la Tere, Kronos, après avoir détroné son père, obtint de son frère ainé Titant la faveur de régner à sa place. Toutefois, Titan y mit la condition que Kronos fasse périr toute sa prospérité mâle afin que la succession du trône reste réservée aux propres fils de Titan. Kronos avalait ses enfants mâles dés qu’ils sortaient du ventre de leur mère Rhéa. Lorsqu’elle fut sur le point d’enfanter de Zeus, elle demanda conseil à ses parents, la Terre et le Ciel qui lui dirent d’aller accoucher en Crête où l’enfant y fut caché. Puis elle remis à Kronos une grosse pierre emmaillotée qu’il avala. Plus tard sur le conseil de la déesse Prudence, Zeus fit prendre à Kronos un breuvage qui lui fit vomir tous les enfants engloutés en son sein avant de lui oter tous ses pouvoirs d’immortel. Le symbôle romain est resté du temps qui mange ses enfants. ( pour plus de détails voir mon intro du Livre « La Syndrome de Chronos » ( Dunod 1998)

    • idlibertes

      16 février 2015

      On est d’accord. mais du coup, ce n’est pas chronos (le temps) dont on parle mais bien cronos (adaptation du kronos). le probleme n’est pas le K mais le H. Celui qui mange la pierre est cronos/kronos.

  • MAIN

    29 janvier 2015

    Tant que rien n’explose , les hommes lucides hurlent dans le désert. Quand la situation ne sera plus contrôlable, ceux qui souffriront le moins seront probablement les mêmes qui ont cyniquement décomposé le système.
    Vous avez dit régimes spéciaux?

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  • RB83

    29 janvier 2015

    Le problème de fond de la France, à mon avis, est celui-ci: l’Etat a précédé la Nation. Dans un pays en construction (ajout de nouveaux territoires), l’intérêt de l’Etat prime toute autre forme de considération car il assure la construction et la cohérence de la Nation en devenir.
    Le temps a passé… l’unité du pays est une réalité et les habitants de ce pays se sentent français avec un destin et des valeurs communes indépendament de l’existence de l’Etat… Phénomène de désintermédiation bien connu. Sauf que l’Etat se pense toujours comme l’incarnation de la Nation et de ses habitants. Son intérêt doit donc primer toute autre forme de considération même si cela est au prix de la destruction de cette même Nation.

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  • Homo-Orcus

    28 janvier 2015

    « Au final, qui acceptera de plaider pour une loi sur la subsidiarité qui donnerait au secteur privé le droit de supplanter un service public chaque fois qu’il lui est possible de le fournir à coût et efficacité au moins équivalente !? »
    Le premier truc qui sauterait : santé et retraite

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    • JR

      28 janvier 2015

      Le 3ème : l’éducation 🙂 (c’est déjà un peu le cas mais il y a sans doute moyen d’aller plus loin)

  • jimmie19

    27 janvier 2015

    Belle analyse bravo!
    Comme vous le dites l’état a sécrété de petits ogres qui agissent en sous main : mais fort heureusement EDF n’a augmenté ses tarifs que de 2,6%, avec une inflation énorme certainement (Ah non! elle est proche de zéro…). Mais 2,6% c’est le chiffre officiel. En pratique le prix du KWh a augmenté de 4,5% en tarif bleu (consommation annuelle pour moi 5200 kwh) et de 1% en tarif rouge (consommation annuelle 160 kwh), et donc la vraie augmentation est autour de 4% pour 2,6% annoncés.
    Travailler plus pour gagner moins!

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  • yvesdemars

    27 janvier 2015

    Etat voyou assurément lorsqu’il ne respecte pas les contrats signés en connaissance de cause

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