16 novembre, 2024

Mercosur : peurs agricoles face au Brésil

L’accord commercial entre l’Union européenne et plusieurs pays d’Amérique latine est sur le point d’être ratifié. Il suscite de nombreuses incompréhensions en France et une opposition des secteurs les plus protégés du monde agricole.

Après une vingtaine d’années de négociation, l’Union européenne est sur le point de finaliser l’accord commercial entre les pays membres et plusieurs pays d’Amérique latine, dont le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay. Comme tout ce qui a trait au commerce et aux échanges, cet accord suscite une grande opposition des secteurs protégés et une incompréhension des acteurs français.

Un accord pour toute l’industrie

L’accord ne concerne pas que le secteur agricole, mais aussi l’automobile, la pharmacie, le textile, la chimie. Il prévoit la disparition des droits de douane sur près de 90% des exportations de l’UE, ouvrant aux industriels un marché de 700 millions d’habitants et des pays en plein essor économique. Pour une très grande partie du secteur industriel, cet accord est une chance, surtout au moment où Donald Trump annonce la hausse des tarifs douaniers.

En retour, et c’est évidemment la clef de la réciprocité, les tarifs douaniers européens seront abaissés afin de faciliter les importations vers l’Europe. D’où l’inquiétude d’une partie de l’agriculture française, notamment la viande, les céréales (maïs, riz, soja), le poulet puisque le Brésil, « ferme du monde » est un des leaders dans ce secteur. Ces secteurs craignent d’être balayés et de ne pas pouvoir supporter la compétition des entreprises latino-américaines. S’active alors l’habituel lobbying auprès des politiques, qui jouant sur les ressorts anti-libéraux de la population française ont tôt fait de dénoncer « l’ultralibéralisme » et les « menaces » que ferait peser cet accord. Rien n’est moins sûr pourtant.

Pour une grande partie du secteur industriel français, cet accord est une chance. Il permettra aux entreprises chimiques, pharmaceutiques, textiles, de trouver de nouveaux débouchés et de nouveaux clients. Au moment où le secteur français est atone et où le gouvernement a décidé d’accroître la fiscalité tous azimuts, c’est une bouée de sauvetage. Ces secteurs-là soutiennent la signature de l’accord. Une grande partie du monde agricole français est également un grand défenseur de l’accord du Mercosur, car cela lui permettra de trouver de nouveaux clients. C’est notamment le cas de la viticulture, des produits fromagers, des viandes et des légumes de qualité.

Le monde agricole français est divisé en deux catégories. Il y a d’un côté un secteur mondialisé, très ouvert sur les marchés mondiaux, dont une partie des ventes et donc du développement dépend des échanges mondiaux. Une autre partie du monde agricole est un monde protégé, vivant de rentes, de subventions de l’Union européenne et de la France, qui s’est enfermé dans un capitalisme de connivence pour lesquels les échanges mondiaux représentent une mise en danger de leurs rentes. D’où leur opposition au Mercosur. Rarement les syndicats agricoles remettent en cause la bolchévisation du monde agricole ni les normes délirantes de l’UE et de la France. Il y a un malaise, réel et justifié, d’une partie du monde agricole, pour un métier pénible, essentiel et souvent mal rémunéré. Les nombreux suicides paysans en témoignent. Mais les Français portent généralement sur la paysannerie un regard de compassion, comme on en porte sur les miséreux, en pensant que l’État doit intervenir pour les aider, alors que c’est lui qui est responsable de leurs problèmes. Témoin le rapport entre le nombre d’agriculteurs et le nombre de fonctionnaires :

Nombre d’agriculteurs en France

En 1980 : 1.2 million

En 2024 : 400 000

– 66%

Nombre de fonctionnaires du ministère de l’Agriculture

En 1980 : 18 000

En 2024 : 36 000

+ 100%

1980 : 1 fonctionnaire pour 66 agriculteurs

2024 : 1 fonctionnaire pour 11 agriculteurs

À ces fonctionnaires du ministère de l’Agriculture s’ajoutent ceux du ministère de l’Environnement, qui agissent aussi sur l’agriculture. À quoi il faut ajouter également les para fonctionnaires de toutes les structures contrôlantes, dépendantes des régions et des organismes para étatiques.

Une partie de l’agriculture française a été transformée en kolkhoze, avec le concours et le soutien des apparatchiks des syndicats agricoles qui, comme tous les syndicalistes, ont trahi l’esprit initial des syndicats pour les transformer en fromages et en rentes. Rappelons que les libéraux ne sont pas opposés aux syndicats puisque ce sont eux qui les ont pensés et créés. Le syndicalisme repose sur une notion fondamentale de la philosophie libérale qui est le droit d’association. Ce qui a donné notamment les mutuelles. Mais les syndicats d’aujourd’hui ont été dévoyés et sont devenus l’inverse de ce qu’ils auraient dû être. Comme la vertu de solidarité est-elle aussi dévoyée dans un système d’État providence.

Au lieu de combattre cette structure administrative qui étouffe le secteur agricole, les syndicats attaqueront donc l’accord du Mercosur qui menace leurs rentes.

Concurrence déloyale ?

L’accord du Mercosur est souvent accusé de concurrence déloyale. Il est vrai que les pays d’Amérique latine font usage du génie génétique et ont largement automatisé leur production agricole. Il n’y a là rien de déloyal. Si la paysannerie française refuse les avancées scientifiques en conservant une vision paranoïaque du génie génétique, qui permet notamment de faire usage de moins de pesticides et d’eau, ou bien en refusant une nécessaire mécanisation, les agriculteurs brésiliens ne vont pas les attendre. Pour des raisons culturelles, il y a toujours eu une méfiance d’une partie de la paysannerie française à l’égard de la technique. Dans les années 1950, les exploitations agricoles font encore largement usage du cheval alors que le moteur et les tracteurs existent depuis plusieurs décennies. La productivité et les rendements français ont toujours été inférieurs aux Allemands et aux Anglais. La faute à une vision romantique et réactionnaire de la terre et de la paysannerie, qui dessert les agriculteurs eux-mêmes. La technique permet l’accroissement de la productivité, qui réduit la pénibilité et le temps de travail. La paysannerie française n’a pas à être le conservatoire des fantasmes passéistes des urbains.

Les Brésiliens produisent abondement du poulet aux hormones, vendus dans le golfe persique, et du porc, qui inonde les marchés chinois. L’essentiel est d’assurer la traçabilité afin que le consommateur français puisse aisément distinguer un poulet de Bresse d’un poulet du Mato Grosso. À lui ensuite de faire ses choix, en fonction de ses goûts culinaires et de son intérêt pour la gastronomie. Les produits d’excellence française ont d’immenses débouchés qui s’ouvrent à eux en Amérique latine. Débarrasser l’agriculture française du bolchévisme administratif sera beaucoup plus bénéfique aux paysans que de les maintenir à l’écart des échanges mondiaux.

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

4 Commentaires

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

  • FLORES

    23 novembre 2024

    les NORMES surtout françaises sont responsables de la mort annoncée de l’agriculture. Même sans Mercotur rien ne changera.

    Répondre
  • Patrice Pimoulle

    18 novembre 2024

    Le peuple francais est empereur en son toyaume, Ce n’est ni un camelot ni un maquignon, il n’a besoindepersonne pour faire son pain, son vin, sa viande et son fromage.

    Le rendement de l’agriculture francaise est inferieur a celui de l’agriculture allemande, peut[etre, mais c’est une affaire qui regarde Le peuple francais n’a que faire de vendre des moteurs diesel a u Bresil. d;aileurs les paydans bresiliens n’ont pas besoin demoteurs diesel qui consomment du petrole, qui polluente qui tombent en panne. Ils connaissent la nature.

    Répondre
  • hoche38

    17 novembre 2024

    Comment tolérer ces petits koulaks réactionnaires qui ne se laissent pas liquider une fois pour toutes, raisonnablement, humblement et respectueusement, par nos petits hommes gris de Bruxelles, qui eux savent ce que c’est que l’économie et ce qui est bon pour leurs sujets de l’hexagone.

    Faudra-t-il qu’Emmanuel leur envoie l’armée pour les mettre à la raison et leur apprendre les bonnes manières libérales à la sauce de Bruxelles ?

    Répondre
  • Arnaud

    16 novembre 2024

    oui mais non !! nos enfants n’auront pas le choix que de manger du poulet aux hormones brésilien (après celui d’Ukraine) car les cantines scolaires vont au moins cher et IMPOSE la viande. idem dans les restaurants d’entreprises ! votre discourt ne tient que pour les cadres de la défense qui choisissent leur plat du jour dans les bons restaurants parisiens. + je préfère 1000 fois une agriculture subventionnée de qualité et de proximité et pour TOUS car la nourriture est essentielle pour l’Homme. Désolé mais sur ce cout je ne peux pas vous suivre !

    Répondre

Me prévenir lorsqu'un nouvel article est publié

Les livres de Charles Gave enfin réédités!