1 octobre, 2021

Maroc : rivalités algériennes

Deux histoires, deux approches du territoire, deux situations politiques, le Maroc et l’Algérie sont bien deux pays différents en rivalité permanente. Le Maroc a pour lui la profondeur historique, la longue histoire et la stabilité grâce à la famille royale. L’Algérie a, un temps, recueilli les espoirs des révolutionnaires politiques et tenté de prendre la tête d’un tiers-monde arabe, espérant jouer les premiers rôles devant l’Égypte et la Syrie. Temps révolus que la corruption, la faillite et l’enlisement social ont rangé aux placards des illusions. Ne reste plus qu’à l’Algérie, pour camoufler encore un peu ses échecs, de faire usage de la corde nationaliste en s’élevant contre ses voisins. C’est ce qu’elle fait actuellement en ravivant les tensions avec le Maroc.

 

Rupture diplomatique

 

Le 24 août dernier, l’Algérie a rompu ses relations diplomatiques avec le Maroc puis a interdit aux avions commerciaux marocains de survoler son territoire. Le décès et l’enterrement de l’ancien président Bouteflika s’est déroulé en silence, comme pour faire oublier les échecs qu’il symbolise, et notamment ceux de l’évanescence des espoirs de l’indépendance. La rupture des relations diplomatiques trouve ses origines immédiates dans les incendies qui ont frappé la Kabylie durant l’été. Incendies majeurs que le pays a été incapable d’éteindre et de circonscrire par manque de pompiers et de matériels. Pour un pays qui se veut prospère et développé, cette impuissance a porté un grave coup à l’orgueil national. La France aurait pu prêter des Canadairs à Alger, mais la pratique algérienne courante consistant à insulter Paris pour cacher ses déboires, on comprend que le gouvernement français n’ait rien fait en ce sens.

 

Alger a donc accusé le Maroc et Israël d’être responsables de ces incendies. Selon la version gouvernementale, les feux auraient été allumés par des Kabyles indépendantistes financés par le Maroc et Israël, donc Rabat et Tel-Aviv seraient à l’origine des incendies. Une assertion sans fondement qui ne sert qu’à réveiller le nationalisme algérien en agitant la haine des ennemis de toujours. Il ne manque plus qu’à accuser la France d’avoir planifié ces départs de feux.

 

Alger a peu apprécié que le Maroc et Israël normalisent leurs relations diplomatiques, en échange d’une reconnaissance par Tel-Aviv de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. De plus en plus isolée et en proie à une faillite économique et politique totale, l’Algérie n’a plus que la vindicte à l’égard de ses voisins pour tenter de maintenir l’unité de sa population. Cette escalade étant sans limites, il est à craindre une nouvelle « guerre des sables » comme celle qui a concerné les deux pays en 1963.

 

Enjeu du Sahara occidental

 

L’Algérie ne désespère pas de récupérer le Sahara occidental, dont la richesse en phosphate lui permettrait de donner un peu d’air à une économie exsangue. Cette région, sous contrôle de fait du Maroc, est soumise à des rivalités nombreuses : revendications de l’Algérie et de la Maurétanie, mouvement autonomiste (Front Polisario) soutenu par les voisins, action des ONG pour soutenir l’indépendance. Plusieurs de ces ONG sont financées par l’Allemagne, qui soutient les revendications autonomistes du Sahara. Depuis le XIXe siècle et la crise de Tanger (1905), l’Allemagne a toujours souhaité intervenir au Maroc. C’est à la fois un moyen de déstabiliser la France et une façon d’être présente dans la zone saharienne, cruciale pour de nombreux flux commerciaux.

 

Le 10 décembre 2020, Donald Trump a officiellement reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Les indépendantistes espéraient que la nouvelle administration américaine reviendrait sur cette décision ; peine perdue puisque la reconnaissance fut réaffirmée par Joe Biden le 5 juillet 2021. Ce fut un camouflet pour la diplomatie algérienne, ce qui a contribué à l’escalade d’août.

 

Lors du dernier sommet de l’ONU à New York, le ministre des Affaires étrangères de l’Algérie, Ramtane Lamamra, a de nouveau insisté sur la nécessité d’une indépendance du Sahara occidental :

 

« L’organisation d’un référendum libre et équitable pour permettre [au peuple sahraoui] de déterminer son destin et de décider de son avenir politique ne peut rester à jamais l’otage de l’intransigeance d’un État occupant qui a failli à plusieurs reprises à ses obligations internationales […] Le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination est inaliénable, non négociable et imprescriptible. »

 

Ces propos, tenus le 27 septembre, ont été suivis par ceux du lendemain prononcé par le ministre de la Défense algérien où celui-ci a accusé le Maroc de conspiration et d’atteinte à la sureté de l’Algérie.

 

« L’attachement de l’Algérie à ses principes et sa détermination à ne guère en dévier dérangent le régime du Mekhzen [le palais marocain] et entravent la concrétisation de ses plans douteux dans la région. […] Ce régime expansionniste est allé trop loin, dans les conspirations et les campagnes de propagande subversives visant à réduire le rôle de l’Algérie dans la région ».

Il a ensuite accusé le Maroc de « tenter de porter atteinte à l’unité [du peuple algérien] en semant la discorde et la division en son sein. [Ces actes] seront voués à l’échec, car l’Algérie est déterminée […] à défendre sa souveraineté et son unité nationale ».

Des propos très lourds qui témoignent d’une montée croissante des rivalités entre les deux pays. Allant de plus en plus vers l’escalade, il n’est pas à exclure une intervention militaire de l’Algérie.

 

Guerre du gaz

 

D’autant qu’Alger a lancé une guerre du gaz contre son voisin en modifiant le passage des livraisons vers l’Espagne. Dès le 26 août, et après une rencontre avec l’ambassadeur espagnol, le ministre de l’Énergie algérien a annoncé que les livraisons de gaz à l’Espagne se feraient via le gazoduc Medgaz, qui relie directement l’Algérie à l’Espagne (Beni Saf – Alméria). Ce faisant, l’Algérie renonce à utiliser le gazoduc Maghreb / Europe, qui relie Hassi R’ Mei à Cordoue via le Maroc. Ce gazoduc qui transite par le territoire marocain permet au royaume chérifien de percevoir un droit de passage payé en gaz naturel, selon des accords qui datent de 1991 et dont le renouvellement doit avoir lieu à l’automne 2021.

 

En annonçant utiliser le tube direct, sans passer par le Maroc, l’Algérie prive donc Rabat de ressources gazières et de royalties. C’est aussi une façon de faire pression sur le Maroc avant l’ouverture des négociations prévues pour la mise à jour du contrat.

 

Le Palais marocain vient de réussir une bonne opération en politique intérieure avec la lourde défaite des islamistes et l’arrivée au pouvoir d’un parti proche du roi. Cela témoigne de l’habileté politique de Mohammed VI qui demeure à ce jour le seul dirigeant arabe à avoir évincé les islamistes de façon légale et sans recours à la force. Conforté à l’intérieur, le Maroc peut désormais affronter de façon plus sereine les tensions diplomatiques avec l’Algérie. Reste à la France à prendre sa part au dossier. Les liens historiques et économiques entre le Maroc et la France sont anciens et étroits. Alger a le soutien de l’Allemagne qui souhaite l’indépendance du Sahara occidental afin de faire main basse sur la région. Ce qui se joue donc entre Rabat et Alger concerne directement la France et les affaires européennes.

 

 

 

 

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

8 Commentaires

Répondre à Oblabla

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

  • Nanker

    3 octobre 2021

    « Ce qui se joue donc entre Rabat et Alger concerne directement la France et les affaires européennes ».

    Et si une guerre ouverte se déclarait entre ces deux pays je propose que nous fassions comme dans les années 80 au moment du conflit Iran/Irak : livrer des armes aux DEUX parties, pour faire durer les hostilités le plus longtemps possible. L’occasion de faire baisser la natalité galopante au Maroc comme en Algérie en s’assurant que la jeunesse masculine de ces deux pays soit détruite à 80% est une occasion historique qu’il faudra saisir absolument!
    Et pour affiner notre Grand Jeu dans la région expulsons tous les Marocains et Algériens résidant en France, pour leur donner l’occasion de défendre leur pays (ce que nous n’avons pas su faire avec les Maliens bien au chaud ici tandis que nos soldats meurent pour Bamako…).

    Répondre
    • Djamel

      8 octobre 2021

      C’est ça.
      Déstabilisez le Maroc/Algerie (Après la Lybie, Syrie, Irak…) et y aura 10 fois plus de clandestin en europe…
      ça c’est de la stratégie !
      (Maroc/Europe c’est 15 km)

  • Oblabla

    2 octobre 2021

    Rappelons les « performances » de l’Algérie depuis la fin de la guerre d’indépendance en la comparaison à la Corée du Sud.
    Il faut rendre au FLN l’hommage qu’il mérite pour le succès et la réussite de la nation algérienne moderne. Jugez par vous-même :
    Comparaison Algérie – Corée du Sud
    Fin de la guerre d’Algérie mars 1962
    Fin de la guerre de Corée juillet 1953
    La Corée du Sud a été détruite par une guerre totale alors que l’Algérie ne l’a pas été par une guerre qui n’était qu’une guerre de guérilla
    PIB par habitant Algérie 172 USD en 1962 et 9374 USD en 2019
    PIB par habitant Corée du Sud 260 USD en 1960 et 31846 USD en 2019
    60 à 70 ans après ces guerres, la Corée qui avait un PIB par habitant comparable à celui de l’Algérie a un PIB par habitant qui lui est 3 fois et demi supérieur !
    De plus l’Algérie a en grande quantité du gaz et de pétrole ce que n’a pas la Corée
    Et toutes les infrastructures pétrolières et gazières algériennes ont été financées et réalisées par la France
    Vous en concluez ce que vous voulez…

    Répondre
  • Aviso

    2 octobre 2021

    Bonjour, votre article est clairement orienté en faveur du Maroc. Economiquement et geostragiquement je pense que la france a clairement plus interet à se rapprocher de l’algerie ou du moins à avoir une position equilibrée. Je n’arrive pas à commprendre votre partialité si ce n’est par votre alignement sur les interets d’un autres etat au detriments de ceux de la France. Peut etre le recent rapprochement Maroc-Israel??? Cordialement

    Répondre
    • Steve

      3 octobre 2021

      Bonjour Aviso
      Auriez vous la bonté de nous expliquer comment « équilibrer » nos relations avec un pays dont l’hymne national dit:
      « Ô France ! le temps des palabres est révolu
      Nous l’avons clos comme on ferme un livre
      Ô France ! voici venu le jour où il te faut rendre des comptes
      Prépare toi  » ? ( Kassaman couplet 3)
      Ceci montre qu’E. Macron a justement rappelé que le régime actuel ne subsiste que sur une rente mémorielle dont nous faisons les frais.
      Merci d’avance.

    • Robin François

      7 octobre 2021

      un des deux pays à été gouverné par des élites issues des universités Française l’autre par des élites formées par les universités Anglo-saxonnes je vus laisse deviner qui est qui.

  • Michel

    1 octobre 2021

    Jerusalem pas Tel-Aviv pour le reste rien de très original sauf peut être le fait de l’ecrire

    Répondre
    • Djamel

      8 octobre 2021

      En France, c’est Tel-aviv… à moins que la souveraineté Française n’existe plus.

Me prévenir lorsqu'un nouvel article est publié

Les livres de Charles Gave enfin réédités!