La chaine Public Sénat diffuse un reportage sur le sinologue Simon Leys (1935-2014) connu pour avoir démonté l’idéologie maoïste. Le film est l’occasion de découvrir la vie de Leys et de s’immerger dans une époque, les années 1960-1980, où il était de bon ton, chez les intellectuels de gauche, de soutenir le régime totalitaire de Mao. Jean-Paul Sartre, Philippe Sollers, Gérard Miller, Serge July, Roland Barthes, André Glucksmann sont quelques-uns de ces écrivains qui ont vu en Mao l’homme providentiel et le modèle de l’Occident. Des journaux comme Libération, ouvertement maoïste, et Le Monde, ont publié des articles mensongés sur le grand bond en avant (1958-1960) et la révolution culturelle (1966-1976), taisant les crimes du maoïsme, occultant les millions de morts de la machine totalitaire. Très bien mené, s’appuyant sur des images d’archives et des témoignages d’amis de Leys, le reportage permet de comprendre ce que fut la folie communiste et la chappe de plomb intellectuelle qui sévissait en France. Quiconque n’était pas communiste était un « chien » selon les mots de Sartre, et Simon Leys fut traité pire qu’un chien.
Mao face à ses crimes
Son crime fut grand en effet. Connaissant la Chine, marié à une Chinoise, parlant et écrivant le chinois, Leys vu la réalité de la politique de Mao. Il lut et décortiqua ses écrits, notamment le Livre rouge, dont la teneur intellectuelle est proche du néant. De ses études parurent plusieurs ouvrages dont Les habits neufs du président Mao (1971) et Ombres chinoises(1974) dans lesquels il démontait le mythe maoïste. Il fut, bien évidemment, éreinté par la critique. Le Monde et Le Nouvel Observateur se déchainèrent contre lui. Il fut interdit de radio et de télévision, attaqué par les intellectuels de gauche. Bien que parfaitement sinologue, on lui refusa un poste à l’université française. Son éditeur, René Vienet, lui-même sinologue et fin connaisseur de Taïwan, fut exclu du CNRS. La purification maoïste était en marche. C’est finalement l’université de Canberra (Australie) qui l’accueillit et le Belge qu’il était passa le reste de sa vie en Australie.
Mao aujourd’hui
Mais le reportage vaut aussi pour ce qu’il dit du maoïsme et ce qui peut être rapporté à la situation actuelle. Beaucoup s’émeuvent, à juste titre, des fausses nouvelles et des théories complotistes relayées dans des médias parallèles. Mais qui en sont les premiers responsables si ce n’est les médias officiels qui, des décennies durant, ont diffusé de fausses informations ? Comment croire que Le Monde est un journal de référence quand il menti sur Mao et Pol Pot et attaqua Simon Leys ? Comment accorder du crédit à des journalistes actifs qui sont les héritiers assumés de ceux qui ont défendu le communisme en France et en Europe ? Il ne s’agit pas d’interdire ces médias, ce qui serait contraire à la tradition libérale, mais de cesser les subventions étatiques qui les maintiennent en vie. Comment un journal comme Libérationpeut-il recevoir autant de subventions quand il fut l’organe de propagande des pires exactions des années 1970-1980 ? Il fallut attendre mai 1983 et une invitation de Bernard Pivot dans son émission Apostrophes pour que Simon Leys puisse s’exprimer dans un média d’État, soit 12 ans après la sortie de son premier ouvrage.
Le rejet de la science
Le Grand bon en avant plonge la Chine dans le désastre humanitaire. Mao déteste la science et rejette les scientifiques. L’industrialisation doit se faire par les masses paysannes, qui sont contraintes de créer et de s’occuper de hauts fourneaux artisanaux. Il est évident, pour tout esprit rationnel, qu’une telle politique ne peut pas fonctionner. Et c’est exactement ce qui se passe. L’acier produit est de mauvaise qualité et inutilisable et les paysans ayant été arrachés de leurs champs, la production alimentaire s’effondre et la famine survint. Au lieu de reconnaitre l’échec de la politique, l’idéologie maoïste accélère. Il est décrété que les famines sont causées par les moineaux, rendus coupables de manger les graines. Une chasse aux moineaux est lancée, qui aboutit à la destruction de millions de volatiles. Or les moineaux se nourrissent des larves de crickets. S’il n’y a plus de moineaux, les crickets n’ont plus de prédateurs et donc se développent. C’est exactement ce qui se passe : les champs sont ravagés par les insectes, aggravant la situation. La Chine doit rapidement importer des milliers de moineaux d’URSS afin de rétablir l’équilibre écologique.
« La politique commande tout. Une pensée politique correcte doit pouvoir faire pousser les choux plus vite » résume ainsi Simon Leys. En conséquence de quoi, les paysans en sont réduits à l’anthropophagie pour ne pas mourir de faim.
Cet épisode est en résonance avec le maoïsme d’aujourd’hui où le rejet de la science et du logos conduit aussi à des drames. Il est évident que si l’on arrête les produits phytosanitaires les insectes vont tuer les plantes et que si l’on ferme les centrales nucléaires, la France manquera d’énergie. Mais il faut attendre la catastrophe pour que les maoïstes des années 2020 reviennent, parfois et timidement, sur leurs pas. Nombreux sont ceux à croire que leur pensée politique suffit à faire pousser les choux. L’idéologie écologiste actuelle n’est rien d’autre qu’un maoïsme vert.
Notons aussi la catastrophe écologique causée par l’éradication des moineaux. Contrairement à ce qui est souvent dit, ce sont les régimes communistes qui détruisent l’environnement : assèchement de la mer d’Aral en URSS, pollution des villes et des fleuves en Chine. Le capitalisme permet au contraire d’entretenir les forêts, de préserver et de cultiver les espaces naturels.
Les gardes rouges de la révolution culturelle
Puis vint la révolution culturelle et la mise sur pied des gardes rouges, c’est-à-dire de la manipulation de la jeunesse pour éradiquer l’ancienne Chine. Les jeunes sont militarisés, formatés, encadrés. Ils doivent dénoncer leurs parents et leurs professeurs, détruire les livres et les éléments du patrimoine chinois. Cela rappelle furieusement la manipulation de la pauvre Greta Thunberg, les marches pour le climat, les grèves lycéennes. Les intellectuels sont humiliés en public, trainés dans les rues un panonceau dénonciateur autour du cou. Il est crucial d’éliminer tous ceux qui pensent. Comme aujourd’hui, la mise au ban et le lynchage médiatique fonctionne.
Le maoïsme investit la culture : Philippe Sollers, en extase, lit des poèmes de Mao, d’une vacuité terrible, remplaçant Baudelaire et la Pléïade. Andy Warhol décline le portrait de Mao en sérigraphie chic et pop, pendant que des milliers de Chinois sont déportés. La guerre cognitive joue à plein, l’influence étrangère dans la vie intellectuelle française est à son paroxysme. Les intellectuels servent la Chine de Mao, d’autres sont les rouages de l’URSS, comme Philippe Grumbach, patron de L’Express dont on vient de découvrir qu’il était un très actif agent du KGB, « un des plus grands espions soviétiques de la Ve République », selon les dires du journal.
Mao est mort en 1976 mais sa mémoire est encore vivace. À l’ENS Ulm, à Paris, là où est censé être formé l’élite de la nation, on trouve toujours des bustes de Mao dans certains bureaux. Simon Leys est oublié et rarement évoqué, ce qui rend d’autant plus intéressant le reportage de Public Sénat. Le plus grave étant que les techniques et les modes d’embrigadement du maoïsme demeurent, mis au service de la mutation de son idéologie.
Voir le reportage à cette adresse :
https://www.dailymotion.com/video/x8s2cym
Auteur: Jean-Baptiste Noé
Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).
JOACHIM
18 février 2024Mon grand-père, né en 1901, médecin, descendant d’une lignée sans interruption de médecins de campagne depuis le 18 ème siècle, m’a toujours dit qu’un régime de gauche en France se terminait toujours par une guerre.En effet, il avait vécu l’avant des 2 guerres mondiales du 20 ème siècle ! D’où sa réelle inquiétude en 1981 lors de l’élection de Mittérand ! C’est vrai qu’il n’y a pas eu de guerre mais quand même l’enclenchement d’un processus de décomposition de la France toujours en activité. Pour arriver, aujourd’hui, à notre président Macron, socialiste moderne, très belliqueux !
À lire votre article, je me demande si les intellectuels de gauche ne sont pas comme les « nouveaux riches », d’où le concept de « nouveaux intellectuels » atteints d’une frénésie qui lles fait complètement dérailler.
Gaspard de la Nuit
24 février 2024la gauche elle-même est un déraillement depuis qu’elle n’est plus libérale mais socialisante… le socialisme est un réflexe réactionnaire de criminalisation de la vie. Marx a commencé par requalifier « d’exploitation » l’échange humain au travail… aujourd’hui on « exploite » la nature, on « exploite » l’amour, on « exploite » les peuples du tiersmonde, etc. C’est une véritable hérésie intellectuelle… quand les gens comprendront que le socialisme est philosophiquement réactionnaire (à la différence des nostalgiques ordinaires, il annonce une eschatologie qui mettra fin à « l’exploitation » apportée par les vilains libéraux… mais la base du raisonnement est un rejet de la modernité libérale et de l’activité humaine sous toutes ses formes). Réactionnaire, et nihiliste : revenir au rien primitif pour se libérer du génie humain. Le socialisme est une hérésie de notre époque.
Stioui
16 février 2024Le fond de l’article est pertinent. Onfray a écrit aussi à ce propos.
Sur la forme, orthographe et grammaire nulles. Idem pour C. Gave.
Traderidera
19 février 2024Ecrire que Michel Onfray est un piètre écrivain, concernant son orthographe et sa grammaire, … ça, je ne l’avais jamais lu. Son style est remarquable, et sa connaissance de la langue française est excellente, si ce n’est mieux encore. Eh oui, on trouve quelques fautes d’orthographe dans les papiers de C. Gave, et parfois ( très rarement) des maladresses dans l’expression, mais … Charles est un économiste, pas un agrégé de grammaire. Quant à l’article ci-dessus, merci de nous préciser les diverses fautes que vous avez repérées. J’en suis très curieux, en tant qu’agrégé de grammaire, justement. ( Personnellement, je suis très tolérant, trop peut-être, et je n’ai rien vu de réellement « grave »). Voici les « fautes », il est vrai que ça accroche un tout petit peu à la lecture … : « Leys vu la réalité » ; « quand il menti sur Mao et Pol Pot » ; « plonge la Chine dans le désastre humanitaire » ; « la famine survint(on attend le présent) » ; » Nombreux sont ceux à croire que » ; « être formé l’élite de la nation ») En avez-vous trouvé d’autres ? … J’avoue ne pas être trop gêné dans ma lecture par ces petites taches sur le papier.
Traderidera
19 février 2024Monsieur Noé, si vous voulez que Stioui n’ait rien à redire sur votre prose, envoyez-moi votre article avant de le publier … je me ferai un plaisir de le passer au crible de la grammaire et de l’orthographe de la Grande École. C’est bien entendu parfaitement gratuit et cela peut être fait très rapidement : je suis à la retraite …
A. Ravoux
16 février 2024Eh bien, ce n’est pas rassurant de savoir que de ce côté, notre pays est peuplé de gens ayant des convictions criminogenes pour notre avenir sans compter les wokes. Décidément, je ne sais pas si les écuries sont encore nettoyantes ?
Général de Guerrelasse
16 février 2024Bien lire Chine et non pas Chino bien sûr
Général de Guerrelasse
16 février 2024Excellent article, j’ai ressorti un vieux numéro du Nouvel Observateur (hors série de juillet 1972) intitulé « La dernière chance de la planète ». On y trouve un article à la gloire des remarquables réussites de la révolution culturelle chinoise en matière d’agriculture de lutte contre la pollution et comme modèle économico industriel. Cette fange a été écrite par monsieur Orville Shell codirecteur du Bay Area Institute de San Francisco et auteur de « Chino, the Revolutionnary Experiment ».
germain
16 février 2024La France est atteint d’un cancer depuis le front populaire de 1936, le socialisme béat, la fausse camaraderie, qui a conduit à la guerre d’Indochine( où le gouvernement français de Pierre Mendès a lâchement abandonné les vietnamiens qui ont servi la France et à coups de crosse les a chassé des camions de l’armée française) et à la guerre d’Algérie avec le pogrom des pieds noirs consenti par le gouvernement de De Gaulle( tout en sachant que cette même gauche socialiste voulait diffuser les lumières de la République en Algérie au XIX et au XXème siècle). La gauche trahit ses électeurs et la pseudo droite l’imite…
La République française dévore et sacrifie ses enfants à défaut de les défendre et de les protéger au nom d’un idéal socialiste qui détruit la paysannerie et la classe ouvrière dont cependant elle s’est réclamée. Le grand capital, les Rockefeller et compagnie, s’est servi du socialisme pour supprimer des avantages sociaux en lançant la sociale démocratie, un courant de pensée bâtard, une idéologie de milieu de gué. Le capitalisme paternaliste a lancé les réformes pour améliorer les conditions de vie des ouvriers( terrain de de foot, habitation).
Frexit!!! Ou le retour à une souveraineté authentique nationale loin du globalisme de l’Etat profond US et de Davos.
Emmanuel
16 février 2024« Il est évident que si l’on arrête les produits phytosanitaires les insectes vont tuer les plantes » il est surtout évident que vous n’avez jamais semé un radis 🙂 Les plantes de débrouillent très bien sans nous depuis quelques millions d’années. Il existe d’autres modèles que l’agribusiness d’aujourd’hui qui détruit notre environnement et provoque de graves maladies. A part ce point, merci pour vos articles !
Jc
16 février 2024Très intéressant. Merci 🙂