17 juin, 2023

L’Occident et l’enchantement du monde

Les récentes attaques, en France, contre des cultures expérimentales, les saccages de champs et les destructions d’outils de production démontrent qu’une partie du mouvement écologique est en train de prendre un chemin de plus en plus violent, ce qui n’est pas sans rappeler les mouvements d’extrême gauche des années 1970, dont une partie avait basculé dans l’action directe, les enlèvements et les assassinats. Il ne serait nullement étonnant qu’il en aille de même pour certains mouvements écologistes, surtout si ceux-ci devaient avoir l’impression d’une impunité à leur égard.

Ecologie : un bien qui va de soi

D’autant que ces mouvements s’appuient sur un a priori idéologique favorable : tout le monde est d’accord pour dire qu’il faut veiller sur la nature, la protéger, disposer d’un air pur, d’une eau potable, de rivières propres, etc. C’est ce que l’on appelle des « biens négatifs », non pas au sens où ils seraient mauvais (« négatifs »), mais dans le sens qu’ils vont de soi, ce sont des biens dont on présuppose l’existence, comme la vie ou la sécurité. Le rôle d’une action publique est donc de maintenir l’existence de ces biens. La question posée par les mouvements écologistes radicaux est bien plus profonde, car elle concerne la vision même de l’être humain. C’est l’existence même de l’homme, et surtout de l’homme occidental, qui est combattu. Ce n’est donc pas uniquement un combat politique, mais d’abord et avant tout un combat anthropologique. Il y a eu un changement de nature : les communistes ne cherchaient pas à éradiquer l’homme, ils voulaient le reconstruire et le remodeler, même si dans les faits cela a souvent abouti à sa destruction. Désormais, les communistes verts cachent à peine leur haine de l’humanité et leur volonté de l’éradiquer. L’homme étant vu comme un parasite qui détruit la nature, supposée bonne et parfaite, limiter l’homme est la meilleure façon de la protéger. D’où les appels à la planification pour la réduction des naissances.

Lynn White et la haine de l’Occident

Dans ce débat idéologique, un texte a joué et continue de jouer, un rôle fondamental, même s’il est peu connu du grand public. Il s’agit d’une conférence prononcée par l’historien américain Lynn White le 26 décembre 1966 à Washington, devant l’assemblée annuelle de l’American Association for the Advancement of Science, et publiée dans la revue Science de ladite association, en mars 1967, sous le titre « Les racines historiques de notre crise écologique ». Lynn White (1907-1987) est un médiéviste, professeur notamment à l’Université de San Francisco. Il a essentiellement travaillé sur l’histoire des techniques et les évolutions technologiques au Moyen Âge.

La conférence de White, brève, bien charpentée, d’un raisonnement logique implacable, soutient que le christianisme a apporté une transformation dans la vision du monde. D’un monde enchanté, peuplé d’esprits et de dieux, nous sommes passés à un monde compréhensible par la logique, permettant ainsi le développement des sciences et des techniques. Cela a modifié le rapport à la nature et, à partir de ce moment-là, la nature aurait sans cesse été abîmée. White a raison dans la première partie de son axiome : le christianisme a bien opéré un changement radical dans la vision du monde. Cela, il l’a repris et développé de la philosophie grecque et du monde hébreux. L’usage du logos et de la raison pour comprendre le fonctionnement de la nature, ce qui permet en effet de développer les techniques et donc d’assurer le progrès de l’espèce humaine avec le développement de la médecine, l’amélioration de l’agriculture, etc.

L’erreur de White réside essentiellement dans l’incompréhension de ce qu’est la nature. Il la perçoit comme un être vivant autonome et entier, qui serait pure et parfaite, et que toute action humaine viendrait abîmer. Couper un arbre, c’est blesser la nature ; construire une digue, c’est faire souffrir la rivière ; élever des moutons, c’est porter atteinte à l’environnement. L’idée du « bon sauvage », gentil et parfait, abîmé par la civilisation, est ici plaquée sur la nature, la wilderness, chère aux Américains. Les critiques de White sont exclusivement dirigées contre l’homme chrétien, l’homme occidental. Pour lui, l’Orient a au contraire développé des philosophies respectueuses de la nature et de sa bonté et l’islam serait lui aussi bienveillant. Un voyage sur les bords du Gange, de la Seine et du Mississippi permet pourtant de se rendre compte assez rapidement qu’elle est la culture qui protège ses espaces naturels et celle qui ne s’en soucie guère.

Mais les pierres sont posées : la « crise écologique » est la faute exclusive de l’homme occidental, parce que la philosophie qui le porte est mauvaise. Il ne s’agit donc pas uniquement d’appliquer les gestes qui sauvent, de ne pas jeter de papiers par terre, d’avoir des automobiles moins consommatrices de carburant : c’est la philosophie même de l’Occident qu’il faut abattre, car c’est elle qui est mauvaise pour notre monde.  C’est là un point essentiel du mouvement écologiste radical : la détestation de l’Occident, de sa nature et de ce qu’il est ; la volonté farouche de l’abattre.

Désenchantement du monde ?

White parle de « désenchantement du monde » initié par le christianisme, qui aurait conduit à maltraiter la nature. Il commet là une erreur d’analyse multiple. Ce que le christianisme a apporté, comme héritier de la Grèce, de Rome et des Hébreux, c’est la fin de la magie et donc de la pensée magique (whishful thinkink dans les relations internationales). Et cela est une véritable libération de l’homme. Il faut avoir étudié les sectes vaudou et les mouvements animistes en Afrique et en Amérique précolombienne pour comprendre la terreur des hommes enfermés dans la pensée magique. La terreur des esprits qui s’emparent des corps et des âmes, la peur de sortir la nuit, de traverser un cours d’eau, de toucher un arbre ou une plante. Parce que cette magie a disparu, on la regarde aujourd’hui avec bienveillance, voire affection, alors qu’elle est une véritable emprise pour les populations, dont profitent des sorciers malveillants pour contrôler les faibles. La victoire du logos sur le pathos et la magie a en effet permis à l’homme de connaitre la nature, d’en démêler les mécanismes, d’explorer les techniques.

Le monde a-t-il été désenchanté pour autant ? Absolument pas.

L’enchantement du monde est celui qui vient de la création, c’est-à-dire de la poésie (poïen en grec signifiant créer). Il n’y a rien d’enchanteur à écouter des cailloux qui s’entrechoquent. Il y a en revanche beaucoup d’enchantement à écouter un opéra, une sonate, une chanson populaire. L’enchantement provient de l’art, qui est un regard créateur porté sur le monde et la nature. Dans la littérature, la peinture, la musique, on voit apparaitre les paysages, la mer est chantée, les cieux et les couchers de soleil sont subjugués. L’enchantement vient du regard porté vers l’extérieur. C’est la capacité à créer de belles villes, qui respectent des plans d’urbanisme soigné, des maisons et des hôtels particuliers élégants, c’est la façon d’ordonner les paysages pour les rendre beaux. Pour créer de l’art, il faut avoir le ventre plein et être en sécurité. L’art est le fruit de la paix, de l’accumulation de richesses, du développement des techniques. Si l’on s’émerveille devant une fontaine romaine, encore faut-il voir ce que cela suppose de maitrise de l’eau, de sa captation et de son adduction. Merveille aussi du sculpteur qui manie le burin et le marteau pour créer un visage dans un bloc de marbre.

Lynn White explique, lors de sa conférence, que le christianisme et le monde occidental ont rejeté la nature. Il n’a jamais dû lire le livre des Psaumes ni le Cantique des cantiques ni fréquenté les musées, dont les États-Unis regorgent pourtant.

Ici aussi se retrouve le vieux débat entre économistes : est-ce que le monde est fini ou infini, est-ce que la nature est un stock plein que l’action humaine détruit ou bien un potentiel, que l’activité de l’homme fait croître et développe ? À ceux qui pensent que l’homme détruit la biodiversité, il n’est qu’à parcourir les étals d’un marché de Provence pour se convaincre du contraire. La quasi-totalité des légumes présents sont des créations récentes, pour la plupart nées au XXe siècle, de croisements et de sélections. Il en va ainsi des tomates, surtout celles que l’on présente comme « anciennes », qui n’ont plus grand-chose à voir avec celles qui ont été apportées d’Amérique. Les multiples variétés de fleurs sont elles aussi des créations récentes, à partir de fleurs souches. La même chose s’applique aux animaux d’élevage, vaches et moutons que l’on peut observer depuis les bords de route, nés de croisement en ferme pour disposer de races bonnes pour la viande, le lait ou la laine. C’est cela aussi l’enchantement du monde et de la nature. Tout à sa haine de l’Occident, Lynn White oublie la beauté et l’art et dépose des piliers idéologiques qui vont donner un monde triste et terne. Dont les militants écologistes les plus radicaux sont aujourd’hui les héritiers.

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

4 Commentaires

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  • Nanker

    23 juin 2023

    « quand l’homme blanc débarqua sur les côtes des Amériques ce fut la cause de la disparition de 100 millions d’êtres humains »

    Ah… les ravages de France-Culture sur les cervelles occidentales crédules… continuez à vous haïr, culpabiliser, et à vous mettre à genoux, les ressortissants mal dégrossis d’autres cultures – certainement inférieures à la notre – vous finiront à coups de pieds.

    LOccident est – pour paraphraser Churchill à propos de la démocratie – la pire des civilisations… à l’exception de toutes les autres.
    Méditez cela avant d’entonner le couplet minable du sanglot de l’homme blanc.

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  • Patrice Pimoulle

    22 juin 2023

    La source des maux de l’humanite se trouve dans l’abus de la consommation d’energie, L’energie est indispensable pour la cuisine et le chauffage et l’eclairage; mais il y une contrepartie: le feu degage du CO2, Normalement le systeme est equilibre avec la photosynthese, Mais si on consomme trop d’energie, pour aller en week-end a New-York ou a Bangkok, combien de temps faut-il a un chene pour absorber le CO2 et emettre l’oxygene necessaire a un avion volant pendant 11 h a 900 km/h a 10 000 m d’altitude? Oui mais, avec l;economie de marche et la mondilisation, il est avantgeux de mettre sur les marches en Normandie des filets de poison eleve au Vietnam et des crevettes elevees en Thailande; c’est plus rationnel..La solution, c’est le malthusianisme, car il est impossible, pour des raisons ethiques, de reduire la consommation de petrole.

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  • Michel Higuet

    19 juin 2023

    Je ne sais pas ce qu’est le Christianisme mais je sais que quand l’homme blanc débarqua sur les côtes des Amériques ce fût la cause de la disparition de 100 millions d’êtres humains.

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  • Laleye

    19 juin 2023

    Merci de votre article. Vous avez écrit
     » Il faut avoir étudié les sectes vaudou et les mouvements animistes en Afrique et en Amérique précolombienne pour comprendre la terreur des hommes enfermés dans la pensée magique. La terreur des esprits qui s’emparent des corps et des âmes, la peur de sortir la nuit, de traverser un cours d’eau, de toucher un arbre ou une plante. Parce que cette magie a disparu, on la regarde aujourd’hui avec bienveillance, voire affection, alors qu’elle est une véritable emprise pour les populations, dont profitent des sorciers malveillants pour contrôler les faibles. »
    Je confirme cette partie de votre texte.
    Je réside au Bénin (Afrique de l’ouest), je ne saurais vous décrire les ravages des sectes vaudoun qui malheureusement s’empare de l’élite, et dont l’enseignement des principes ce fait aujourd’hui dans dans centre de formation universitaire.
    Il y a même au Bénin une journée dédiée au vodoun ( appelé religion endogène) , le 10 janvier.
    Merci pour les lumières apportés à nos esprits.

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