C’était en 1991. Nous avions gagné contre l’URSS et l’Europe allait enfin pouvoir tirer parti des « dividendes de la paix ». C’est-à-dire, selon les promesses de l’époque, diminuer les dépenses militaires pour allouer ces économies à la réduction de la dette et des impôts. Si la première partie de la proposition fut bonne, la seconde ne s’est pas passée tout à fait comme prévu.
Entre 1991 et 1995, les armées ont été réduites du quart de leur format. Les dépenses de fonctionnement ont baissé, tout comme les dépenses d’investissement. De 5,4% du PIB en 1960, les dépenses militaires de la France sont passées à 3,5% en 1970, 2,8% en 1990, 2% en 2000 et 1,8% en 2018.
Cette baisse des dépenses s’est accompagnée d’une hausse des interventions militaires. Les Opex (opérations extérieures) françaises ont été plus importantes depuis 1991 qu’entre 1962 et 1991. Essentiellement en Afrique, mais aussi en Bosnie et en Afghanistan. La France avait moins d’armées, mais elle l’utilisait plus. Avec un matériel qui coûte de plus en plus cher, à acheter et à entretenir.
Les dépenses de la paix sociale
Des « dividendes de la paix » qui passent certes par moins de dépenses militaires, mais des économies qui n’ont pas été affectées, comme cela fut annoncé, à la baisse de la dépense publique et des impôts. Bien au contraire, les deux postes n’ont cessé de croître depuis 1991, le budget des armées étant une variable d’ajustement pour faire des économies afin d’accroître les dépenses sociales. Puisque les militaires ne rechignent pas et ne font pas grève, contrairement aux éboueurs, puisque les dépenses pour les armées ne rapportent pas de voix, aucune élection nationale ne se jouant sur les questions internationales, il était aisé de réduire sans cesse le budget des armées afin d’allouer le budget vers les dépenses sociales. Une façon aussi de se parer de bonne vertu en faisant croire que l’on augmentait un budget ici avec la baisse d’un budget là-bas, moyen de camoufler l’ampleur de la dette.
Voilà comment nous arrivons, trente ans plus tard, avec un déficit maximal, des impôts stratosphériques et une armée en quenouille. L’opération militaire conduite par les Russes depuis un an peut faire saliver les officiers français : ils sont dans l’incapacité technique et militaire d’en faire autant. Certes le territoire métropolitain n’est plus menacé, comme il le fut durant la guerre froide, mais les outre-mer sont toujours, elles, sous la menace d’un adversaire. Que ce soit les îles françaises du canal du Mozambique, la Nouvelle-Calédonie, la Guyane et Mayotte, la France ne tient pas ses frontières et serait bien embêtée de devoir défendre ses territoires si jamais un conflit survenait. Les dividendes de la paix finissent en factures de guerre si jamais l’épée est rangée et soumise à la corrosion.
Deux temporalités
Nous voyons-là un aspect habituel en économie, la fracture entre deux temporalités : le temps politique et le temps économique. Le politique est dans le temps court, 4 ans maximum, et doit sans cesse trouver des résultats immédiats afin de les faire valoir pour gagner ses élections. D’où le succès du keynésianisme, qui tue certes l’avenir, mais qui permet de faire illusion dans le présent. Or à l’avenir, les élus ne sont plus là. Personne de demande des comptes à Lionel Jospin pour avoir fermé Super Phénix ou à Jean-Pierre Chevènement pour s’être opposé au plan de rigueur de 1983. L’immédiateté temporelle du résultat politique n’est pas compatible avec le nécessaire temps long de l’investissement économique.
Les intérêts de la paix
Problème, désormais qu’il faut remonter le budget des armées, la comptabilité française n’a plus de marge. Difficile de s’endetter et d’accroître les impôts, même si l’on peut faire confiance à Bruno Lemaire pour mettre l’économie française à genoux. Reste donc à réduire la part des dépenses sociales afin de financer le « régalien ». Mais de telles coupes reviendraient à couper l’oxygène d’un système qui vit de la dépense publique. Il est plus facile de mettre en place l’État-providence que d’en sortir. Comment sevrer les millions de personnes qui vivent de la dépense publique ? Comment mettre un terme à des systèmes sociaux qui maintiennent la population dans l’indigence tout en lui donnant le peu dont elle a besoin pour survivre ? À moins d’un défaut de paiement et d’un effondrement généralisé qui obligerait à couper court dans les dépenses, un peu comme le Royaume-Uni à la fin des années 1970, il est sinon très difficile de sortir de la trappe à pauvreté, surtout quand il y a des élections importantes chaque année.
Une fois encore, la temporalité de l’immédiat nuit à l’investissement de long terme. Voilà donc la France prise dans la nasse de son incurie. Emmanuel Macron a certes annoncé un budget de guerre pour les armées, le détail des dépenses réelles montre tout l’inverse. Marine et armée de terre auront moins que prévu et moins que nécessaire pour permettre aux armées de tenir leur rang. Sur l’échelle du gain démocratique, les éboueurs et les cheminots valent plus que les soldats.
Auteur: Jean-Baptiste Noé
Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).
Robert
20 mars 2023Une analyse pragmatique.
Le verbe haut, nos politiques ont de grands projets : réindustrialisation, relance du nucléaire, remise » à niveau » de nos armées, relance de notre système de santé, et j’en passe…
Sauf que rien de tout cela n’est crédible.
Comme vous le soulignez justement, la France, financièrement ruinée , est droguée à la dépense sociale et une cure de sevrage est inenvisageable, sauf à subir une crise des Gilets jaunes puissance 1000…
Conclusion : la France va continuer à décliner et à régresser dans le classement des nations, d’ autant que le peuple Français, dans sa majorité, pratique la « politique de l’ autruche ».
On le voit dans l’actuelle crise sociale générée par la réforme du système des retraites ; réforme qui nous est imposée par nos créanciers étrangers…
breizh
19 mars 2023vu comment les armées françaises ont été employées ces dernières décennies par les politiques (auxquels les chefs militaires français ne se sont pas opposés), à savoir Kosovo, Libye, Syrie, eh bien heureusement qu’elles sont désormais à la portion congrue !
Cela nous évitera peut-être de mettre d’avantage le pied dans le guêpier ukrainien, comme les va-t-en guerre otaniens veulent nous pousser.
les Armées françaises existent pour défendre la Nation, pas pour servir des intérêts politiques qui ne sont pas ceux de la Nation.
le chinois
18 mars 2023Bjr,
Protection militaire de l’Empire Américaine : 854 milliards
Protection de cet République Française par la dépense sociale : 834 milliards
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Ben, il faudrait savoir ce qu’on veut .
Voulons un pays des hommes et femmes vifs, ou cet mouroir sans douleur.
Épiderme individuel, ou peau collective .
Millions de fleurs aux couleurs éclatants, ou ces immondes habitants des immondes crevasses ?