« L’Égypte est un don du Nil » selon la belle formule du géographe Hérodote, qui décrit les paysages et l’histoire de ce pays dans ses enquêtes. Quiconque s’y est rendu se rend compte que ce pays est une île enlacée autour d’une bande fluviale qui lui apporte son eau et ses fertilisants indispensables au développement du pays. Ce n’est que depuis peu que le tourisme, archéologique et balnéaire, est devenu une autre source de richesse, auquel s’ajoutent les frais de péage du canal de Suez. La mort brutale de l’ancien président Morsi le 17 juin durant son procès au Caire clôture la courte parenthèse des Frères musulmans au pouvoir dans le pays. Le maréchal Al-Sissi a pris la suite, revenant au pouvoir militaire, comme Moubarak, Sadate et Nasser avant lui. L’armée continue de structurer la vie politique et économique de ce pays.
La nouveauté provient de la Méditerranée et des champs gaziers qui y sont découverts et qui révèlent des potentiels très importants. La partie est de la Méditerranée est en train de devenir un hub gazier majeur, contrebalançant les pays du Golfe. Israël, l’Égypte, Chypre et la Syrie pourraient ainsi devenir des acteurs de premier plan, ce qui ne va pas sans défi : exporter ses ressources (et donc construire des routes) et éviter les tensions militaires autour de ces champs d’hydrocarbures.
Zohr, Léviathan et Aphrodite
Les ingénieurs pétroliers se montrent poétiques dans la nomination des champs pétrolifères.
Les réserves de Zohr sont aujourd’hui estimées à 850 milliards de mètres cubes de gaz, ce qui en fait l’un des principaux gisements de la Méditerranée. Il est situé à 150 km de la côte, à une profondeur de 1 450 m. L’Égypte a conclu un partenariat avec ENI pour assurer l’exploitation du gisement. Les ressources de Léviathan sont estimées à 620 milliards de m3de gaz. Ce gisement est principalement dans la ZEE d’Israël. Quant à Chypre, c’est le gisement Aphrodite qui a été découvert en 2011. En une dizaine d’années, c’est l’ensemble de la géopolitique gazière de la région qui est changée. La Turquie contrôle toujours le nord de Chypre. L’appât du gaz pourrait rendre plus compliquée encore la question chypriote, surtout si les gazoducs devaient passer par les eaux territoriales turques. La Syrie conteste aussi le partage des eaux et, selon les frontières tracées, pourraient disposer d’une partie des gisements. Un gaz dont elle aurait grand besoin pour financer sa reconstruction, ou sa corruption comme c’est hélas trop souvent le cas. Les géopolitologues glosent beaucoup sur la guerre du pétrole et du gaz, voyant des conflits apparaître partout. Il est aussi possible d’estimer que ces ressources vont nécessiter une collaboration entre les États, afin de les exploiter et de les exporter, et que cela peut donc aussi être un facteur de paix.
Avec ses réserves de gaz, l’Égypte devient un contre modèle de la Libye, qui n’est toujours pas sortie de ses bombardements humanitaires de 2011. Entre 2000 et 2011, l’Égypte a triplé sa production de gaz, exportée essentiellement vers Israël et la Jordanie. Elle dispose aujourd’hui de deux terminaux de liquéfaction (Idku et Damiette). Là, le gaz y est liquéfié (GNL, gaz naturel liquéfié) pour pouvoir ensuite être transporté par des méthaniers. Autre voie d’exportation, les gazoducs. Celui qui relie Israël depuis 2008 et l’Arab Gas Pipeline, qui relie l’Égypte, la Jordanie, la Syrie et le Liban. Les gazoducs lient les deux côtés des pays, autant les émetteurs que les récepteurs, créant ainsi une situation de double interdépendance.
ENI (Italie) et BP (Royaume-Uni / Pays-Bas) sont les deux compagnies qui se partagent l’exploitation des gisements. Il y a donc ici des possibilités de coopération énergétique entre les pays de l’Est de la Méditerranée, ainsi qu’une diversification pour les pays d’Europe. Ces gisements viennent contrebalancer la diminution d’approvisionnement venant de la Libye et de l’Algérie. C’est aussi un moyen de trouver des sources ailleurs qu’en Russie et ainsi de s’affranchir de la tutelle de Moscou. La Méditerranée redevient intéressante. La France aurait grand intérêt à y remettre son nez et à penser une politique de développement dans ce secteur. Elle dispose pour cela de nombreux atouts : Total pour l’aspect industriel, les réseaux culturels et amicaux, notamment les chrétiens d’Orient, qui sont des leviers qu’elle peut activer. Il lui reste à faire oublier sa politique désastreuse tant en Syrie qu’en Libye.
Zohr et ENI : l’amour est dans le gaz
C’est la compagnie ENI qui a découvert le gisement Zohr en 2015. C’est donc logiquement qu’elle en assure l’exploitation et qu’elle contrôle l’essentielle des parts (60%), les autres étant détenues par une compagnie russe (Rosneft, 30%) et par BP (10%). ENI a également conclu des accords avec EGPC (Egyptian general petroleum corporation), la compagnie d’État égyptienne pour des projets dans le golfe de Suez, le delta du Nil et la Méditerranée et le désert égyptien. Il est prévu que le gaz de Zohr soit utilisé pour le marché domestique, l’Égypte ayant besoin de lui pour assurer son développement. Mais une exportation gazière n’est pas non plus à exclure, notamment à destination des pays du Moyen-Orient et de l’Europe. Cela mettrait l’Égypte au centre d’un hub gazier, donnant à la région un intérêt stratégique important. Un rapport du Parlement européen souhaite développer le carrefour gazier égyptien afin que le continent soit moins dépendant au gaz russe. Chypre et Israël présentent plusieurs contraintes qui ne sont pas encore levées. Contraintes techniques, les infrastructures de transformation du gaz n’étant pas pleinement opérationnelle, contrainte économique quant aux investissements nécessaires pour développer ces gisements, contraintes politiques avec la fragilité de la région et le fait que plusieurs frontières maritimes sont contestées et ne sont pas encore fixées.
À l’inverse, l’Égypte est redevenue un pays stable, l’épisode frères musulmans ayant été évacué et ses infrastructures de transformation et d’exportation du gaz sont de qualité. Les troubles au Sinaï et les attentats réguliers qui frappent autant les Égyptiens que les touristes fragilisent le pays, mais c’est surtout le tourisme qui est touché, les ingénieurs gaziers étant pour l’instant protégés. Le pays a tout intérêt à se diversifier, pour que son économie ne repose plus uniquement sur le coton, le tourisme et le canal.
Il est essentiel de regarder la Méditerranée
Ces découvertes gazières écornent une nouvelle fois les discours apocalyptiques quant à la fin des ressources. Les géologues sont capables de faire de nouvelles découvertes et de mieux exploiter les gisements en cours. Cela permet aussi beaucoup d’espoir pour les autres pays de la région. L’Algérie par exemple voit arriver la fin de ses gisements actuels. Depuis 1962, elle vit sur l’héritage laissé par la colonisation sans développer de nouvelles stratégies pour son pays. Ouvrir son désert et sa ZEE à la prospection permettrait de peut-être trouver de nouveaux gisements. Une Libye de nouveau stabilisée, sous la conduite du maréchal Haftar et du fils Khadafi pourrait, elle aussi, redevenir un acteur énergétique de premier plan. Quel dommage que les élections européennes se soient limitées à des pugilats verbaux alors qu’il y avait tant de sujet à évoquer et tant d’horizons stratégiques et géopolitiques à ouvrir. La présence de la France en Méditerranée est plus que jamais nécessaire et c’est tout un chantier de réflexion stratégique qu’il faut ouvrir sur le Moyen-Orient et sur le travail des réseaux culturels et historiques afin de permettre le développement de celle qui reste la mer des Romains et de la civilisation.
Auteur: Jean-Baptiste Noé
Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).
schoepp
22 juin 2019La présence de la France en Méditerranée est plus que jamais nécessaire et c’est tout un chantier de réflexion stratégique qu’il faut ouvrir sur le Moyen-Orient et sur le travail des réseaux culturels et historiques afin de permettre le développement de celle qui reste la mer des Romains et de la civilisation.
Donc si nos merveilleux diplomates interviennent, la collaboration:
Il est aussi possible d’estimer que ces ressources vont nécessiter une collaboration entre les États, afin de les exploiter et de les exporter, et que cela peut donc aussi être un facteur de paix.
Sera une guerre. Faut pas réver.
Philippe
20 juin 2019La question du cout d’un gazoduc sous-marin est cruciale : Pour relier Israel + Chypre a la Gréce via La Créte et a l’italie , il faut un flux tres important donc une mise en commun du gaz extrait par les pays en question .Le cout évoqué est de 7,35 Mds $ et sera amorti sur une longue periode vu la quantité a fournir . L’ addition de l’ Egypte (1800 Mds M.3 ) a Israel (650) et Chypre (600 ) peut rendre le projet plus abordable .
Denis Monod-Broca
20 juin 2019« Ces découvertes gazières écornent une nouvelle fois les discours apocalyptiques quant à la fin des ressources. »
Ces ressources n’en auront pas moins une fin et il est bien inconscient de faire comme si nous ne le savions pas.
Certes le gaz est moins nocif pour l’environnement que le pétrole ou le charbon, il n’en est pas pour autant une énergie propre et renouvelable.
Ces richesses naturelles sont-elles, pour les pays qui en ont ou en découvrent, un bien ou au contraire une calamité alimentant corruption et colère ? La question ne me semble pas tranchée.
Cincinnatus
20 juin 2019Comme d’habitude, ce n’est pas la ressource en elle-même qui représente une calamité ou un bienfait, tout est dans l’usage qui en est fait. Les Norvégiens ont utilisé les revenus de la rente pétrolière pour créer un des plus gros fonds souverains mondiaux et assurer le futur des jeunes Norvégiens. Les Algériens ont dilapidé les revenus de la rente pétrolière pour acheter la paix sociale et maintenir une clique corrompue au pouvoir. Chacun sa vision des choses, l’une paraissant quand même plus positive que l’autre !
Ockham
20 juin 2019Bonne nouvelle pour ce pays splendide et si aimable qui a failli tomber aux enfers. Il reste que sa classe moyenne ne se développe pas assez vite. Souhaitons que cette manne avec le tourisme et le canal lui profite et rééquilibre cette société fragile. Les ignorants sont encore trop nombreux au grand plaisir des frères musulmans, professeurs en haines, rumeurs et superstitions qui attendent une fois plus leur moment comme en 1982 à Hama en Syrie et en 2011. Toute réforme visant à rendre les textes fondateurs de l’islam moins explicitement assassins de la liberté de Sapiens est bloquée avec le soutien pugnace de la mosquée d’Al Hazar, ce que le président Sissi regrette amèrement. Toute réforme démocratique signifie donc l’arrivée mathématique des extrémistes au pouvoir. L’islam dans son jus du Xème siècle est politique contrairement à l’opinion de nos politiques européens. Que nos islamo-gauchistes vilipendent la situation de l’Égypte soit, finalement le crétinisme ne coûte rien à la Sécurité Sociale! Mais que certains journalistes des médias publics payés sur nos impôts fassent chorus contre l’Égypte actuelle mériterait le retrait de leur carte de journalisme pour inculture crasse et anti-droit-de-l’homme primaire! Il n’y a pas que les imams extrémistes qu’il faut expulser dans les meilleurs délais.
breizh
27 juin 2019l’Islam dans son essence même n’est pas réformable, ni compatible avec la culture judéo chrétienne occidentale et n’a pas vocation à coexister pacifique à côté d’autres cultures ou religions.