C’est l’une des tartes à la crème de la géopolitique : le sport serait un élément du soft power des États. Une assertion maintes fois répétées mais qui n’est pas aussi évidente qu’il y parait. Or contrairement à cette assertion, le sport n’est pas un levier de puissance, mais une conséquence de la puissance. Il est un outil de communication, qui permet de faire connaitre une ville (Cholet et le basket), un pays (le Brésil et le football) mais dont le rôle de puissance est limité.
Qu’est-ce que la puissance ?
Ce que nous appelons puissance, c’est la capacité à être et à influencer. Plus un pays est puissant, plus il maintient son être, c’est-à-dire son existence et l’existence de sa population. La puissance, c’est la capacité à nourrir, à protéger, à éduquer, à innover et à inventer. La puissance est aussi influence, c’est-à-dire la capacité à étendre son être sur d’autres, qui cherchent à le copier et à s’en vêtir. C’est en cela que l’on parle de soft power, qui est une puissance d’influence et un levier pour continuer à être. La culture entre dans ce domaine. Le sport ne permet pas d’être, mais il est une conséquence de la puissance. Pour être une grande nation sportive, il faut disposer d’infrastructures de haute qualité, d’associations et de clubs, qui s’occupent des enfants et des adolescents, de bénévoles, c’est-à-dire de personnes qui disposent de temps libres qu’elles peuvent consacrer à la vie des clubs. Sans piscine municipale, pas de Florent Manaudou. Sans clubs de football pour la jeunesse, pas de Mbappé et de Griezmann. Et sans croissance de la productivité, là aussi un autre levier de la puissance, pas de réduction du temps de travail et donc pas de temps libre. Donc, in fine, pas de possibilité de se consacrer aux sports. Si les enfants d’aujourd’hui peuvent opter pour le judo, la piscine, le foot ou le tennis, c’est qu’ils n’ont pas besoin d’aller travailler aux champs ou à l’usine, comme c’était le lot commun de la plupart de leurs ancêtres au même âge il y a deux siècles. Si le sport de masse prend son essor en France à partir des années 1880, décennies où sont créés les premiers clubs, c’est parce que la mécanisation commençait à permettre l’essor du temps libre. Les premiers clubs furent créés par des aristocrates et la haute bourgeoisie (le baron Pierre de Coubertin, fondateur du CIO, le professeur de droit Ernest Wallon, co-fondateur du Stade toulousain) avant de toucher les masses ouvrières. Le sport est le fruit de la civilisation des loisirs et de sa généralisation à l’ensemble de la population, grâce aux progrès techniques. Il est certain qu’il est aujourd’hui un outil de communication, mais moins certain qu’il soit un levier de puissance.
Les JO en question
Si Paris a obtenu l’organisation des Jeux olympiques, c’est que la capitale française était la seule ville candidate. Partout où des référendums locaux furent organisés, la population vota majoritairement contre leur organisation, consciente des nuisances provoquées par les jeux. Le schéma est invariable et s’applique à chaque fois : les organisateurs annoncent des jeux dont le budget sera tenu, qui utilisera des infrastructures réutilisables et qui générera de la richesse pour le pays. Et à chaque fois le scénario est le même : les coûts explosent, les jeux ne sont pas rentables, la ville met plusieurs décennies à rembourser sa dette et une partie des infrastructures sont abandonnées après les trois semaines de compétition. Schéma immuable qui fait que les jeux n’attirent pas les organisateurs. D’autant que les retombées d’influence sont médiocres : qui peut citer les noms des villes organisatrices des JO d’été depuis l’an 2000 ? Les seuls JO dont on se souvienne sont ceux de Munich en 1972, mais c’est à cause de la prise d’otage qui frappa les sportifs israéliens. Et éventuellement ceux de Moscou en 1980, parce qu’ils furent boycottés. Qu’est-ce que Rio de Janeiro (2016) et Tokyo (2020) ont gagné en puissance par l’organisation des JO ?
L’Inde n’a gagné que 35 médailles depuis les JO de 1900, dont trois médailles d’or entre 1968 et 2020. Il n’empêche que c’est un pays dont la puissance est réelle et ne cesse de croître. La Jamaïque, depuis sa première participation en 1948, totalise 86 médailles, dont 23 d’or depuis 1968. La Jamaïque est pourtant beaucoup moins puissante que l’Inde.
La conséquence positive sur l’économie est nulle. Il y aura certes des emplois temporaires créés dans certains secteurs, notamment la sécurité, mais c’est au détriment d’autres emplois qui seront détruits ailleurs. Certaines fédérations sportives vont gagner de l’argent quand d’autres vont en perdre. La Fédération française de rugby estime ainsi sa perte à plus de 6 millions d’euros du fait de ne pas pouvoir utiliser le Stade de France en 2023 et de devoir jouer les matchs du Tournoi des VI nations dans des stades plus petits. Autres pertes massives à venir, celles des nombreux festivals qui ne pourront pas être organisés en province. En raison de la mobilisation des policiers et gendarmes pour la sécurisation des sites olympiques, le reste du territoire sera déshabillé de forces de l’ordre. Dès 2023, le ministre de la Culture avait informé de nombreuses associations que leurs festivals d’été ne pourraient pas être organisés, faute de forces de l’ordre pour en assurer la sécurité. Des pertes sèches à venir pour le secteur du tourisme dans ces différentes villes de province. Ce qui sera éventuellement gagné à Paris sera perdu ailleurs.
À quoi s’ajoutent les tensions sur l’économie de l’Île-de-France, première région économique d’Europe. Le gouvernement a d’ores et déjà annoncé des transports en commun saturés, encourageant les salariés à travailler à distance. Les commerçants parisiens des zones concernées par les Jeux ont été informés en juillet 2023 que les livraisons ne pourraient se faire qu’entre minuit et six heures du matin. Face aux différents blocages des circulations, la venue des salariés, des serveurs et des garçons de café va être particulièrement tendue. La manne espérée par les JO n’aura pas lieu.
Que des chefs d’États se servent du sport à des fins politiques est une chose. Il s’agit de récupérer l’image positive de la victoire pour tenter d’accroître sa gloire. Cela est passager et ne dure pas, les moments de fête sont éphémères. Depuis quelques années on voit les pays du golfe arabique investirent massivement dans le sport : organisations de coupes du monde, achat de joueurs, création d’équipes artificielles. C’est là aussi la conséquence de leur puissance, et notamment de leur force de frappe financière. Mais c’est bien le gaz et le pétrole et les fonds d’investissement qu’ils sont en train de bâtir qui sert de pilier à leur puissance, non leurs équipes de football, leur tour cycliste ou leur championnat. Le sport est ici utilisé à des fins de communication, pour véhiculer une image positive à l’étranger. Sans qu’il soit certain que ce déballage d’argent hors sol soit réellement efficace dans la construction de leur image.
Avant d’être un message vers l’extérieur, le sport est d’abord un discours vers sa population : un moment de fierté nationale partagée, d’unité, de fraternité. À condition que le sport en question soit populaire et qu’il transcende les classes d’âges et les classes sociales. Sébastien Loeb fut neuf fois d’affilé champion du monde de rallye (2004-2012), sans que cela suscite un enthousiasme majeur en France : la course automobile y est moins populaire que le football. Le sport est un discours, qui permet d’unir les générations : amour du Tour de France pour certains, attachement à un club local pour d’autres, où les générations se retrouvent au stade. C’est souvent par tentative de récupération politique que l’on tente de lui faire être ce qu’il n’est pas. Que la France gagne ou non des médailles cet été, la dette et l’insécurité seront toujours là. Le rôle des sportifs est d’unir, non de créer des dissensions en prenant des positions politiques. La séparation du sport et du politique est probablement le meilleur service que l’on puisse rendre aux sportifs et aux compétitions.
Auteur: Jean-Baptiste Noé
Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).
Guy
26 janvier 2024Excellent article. Tout est dit. L’organisation de ce genre d’événement n’intéresse que les parasites au pouvoir à qui ces événements donnent de nouveau prétextes à taxation, réglementations, restrictions (circulation par exemple), et leur permette de justifier leur existence, un besoin vital pour eux puisqu’ils ne servent à rien.
Blondin
22 janvier 2024Très bon papier auquel j’ajouterai deux points :
Il est frappant de voir le peu d’intérêt que porte l’Inde aux compétitions planétaires (JO, Foot…). Il n’y a guère que le cricket et leurs sports locaux qui les passionnent vraiment.
L’image des JO peut aussi être désastreuse. Je ne le souhaite évidemment pas mais un attentat est fort possible (surtout avec la folie des grandeurs qu’est la cérémonie d’ouverture prévue sur la Seine). Ou des émeutes comme celle de l’été dernier sont encore possible (et nombre de touristes vont devoir traverser des quartiers « sensibles » pour assister aux épreuves sportives). Et même sans aller jusque là chacun se rappelle des fameux « supporters anglais » lors de la finale de la Champions Cup.
Charles Heyd
21 janvier 2024Oui, je suis d’accord avec vous, le sport n’est pas un levier (instrument) de puissance; mais le sport peut avoir un effet envoutant, déstabilisateur même; lorsque l’on gagne la coupe du monde de footbal, est-ce que l’on est pas les meilleurs? Bien sûr que si, et grâce à qui, à notre génial Führer!