Le sommeil de la raison engendre des monstres, tel est le titre de la fameuse estampe de Francisco Goya, réalisée en 1799. Fut-il inspiré par les monstres nés de la Révolution française, en dépit de l’appel au culte de la raison ? Ce sommeil de la raison, on le retrouve encore chez bon nombre de décisionnaires, parfois par faute, parfois par manque d’informations et à chaque fois des monstres sont engendrés.
On le voit depuis deux ans sur la guerre en Ukraine, où beaucoup de fous parlent. Certains exaltent un régime russe vu comme le salut, oubliant la corruption massive du pays, l’état de délabrement social de la population, mal remis du communisme, et dont témoigne la faiblesse de l’espérance de vie, la brutalité de la politique. D’autres se voient en croisés du monde libre, alignant les mensonges et les jugements erronés sur les plateaux TV, tout en étant réinvités. Un tel, « spécialiste militaire », expliquait il y a un an que l’armée russe allait s’effondrer. Elle est en train de grignoter l’armée ukrainienne. Un autre considère comme « pro-russe » toute personne qui ne reprend pas le narratif otanien et ne communie pas dans l’appel à la guerre. La raison dort, les monstres sont engendrés.
L’hypothèse comme méthode
Il faut affirmer, pérorer, quitte à dire des énormités. Alors que le propre de la démarche scientifique consiste à avancer par hypothèses, à tester, à dire que l’on ne sait pas. Mais aux experts, on demande de savoir, tout sur tout, quitte à dire des bêtises. Les commentateurs de plateaux télé ne semblent guère soucieux de vérité, mais de lumière.
Il y a pourtant, en France, une vie intellectuelle intense et vive. Des chercheurs de grande qualité, des personnes mesurées, qui prennent le temps de réfléchir et de douter avant d’affirmer. Parmi les nombreux livres parus récemment, deux ouvrages majeurs viennent de paraitre dans le domaine de la géopolitique : Le logiciel impérial russe de Jean-Robert Raviot (L’Artilleur), Les leçons de la crise syrienne, de Fabrice Balanche (Odile Jacob).
Sur la Russie, depuis deux ans, les ouvrages pullulent, oscillant entre le mauvais et le médiocre. D’un côté ceux qui, par obsession anti-américaine et qui, par haine du libéralisme, voient dans la Russie de Poutine et la Chine de Xi les phares de l’humanité. Pour eux, tout est la faute de l’Otan et des États-Unis et la Russie n’a fait qu’exercer une défense légitime. De l’autre côté, et ce sont finalement les mêmes, Poutine est l’ennemi absolu, la démocratie occidentale est pure et sans reproche, et il faut mener une guerre totale. Ne pas avoir de passion particulière pour le régime russe ne signifie pas que l’on ait envie de mourir pour une Ukraine qui n’est pas particulièrement démocratique, où les coups d’État se sont additionnés depuis 20 ans et où la corruption est majeure et systémique.
L’ouvrage de Jean-Robert Raviot, qui est professeur du monde russe à l’Université de Nanterre et a lui-même longtemps vécu en Russie, analyse la pensée politique russe sur le long terme. Il étudie ce fameux « logiciel impérial » afin de comprendre et d’expliquer comment la Russie voit le monde. Sans jugement de valeur, mais avec la volonté de comprendre.
Étudier et comprendre. Ou, selon la devise de la JAC : « voir, juger, agir ». C’est essentiel pour toutes les personnes qui exercent des responsabilités et qui doivent décider et agir : les politiques, les officiers, les chefs d’entreprise.
Le sommeil syrien
L’ouvrage de Fabrice Balanche revient lui sur la crise syrienne, ouverte en 2011 et dont les suites ne cessent de se faire sentir au Moyen-Orient. Selon les Fabius et Juppé de l’époque, « Bachar » devait disparaitre dans les dix jours. Il est toujours là et fut, en mai 2023, l’invité d’honneur du sommet de la Ligue arabe. Aveuglements intellectuels et stratégiques ont conduit à un ensablement politique. Avec sa connaissance du pays, des communautés et des interactions sociales, Fabrice Balanche revient sur ces treize années qui ont conduit à l’effacement de la France et des Occidentaux au profit des Russes et des Iraniens. Pour avoir dit, dès 2011, que Bachar ne tomberait pas, il fut attaqué à l’université et privé du poste qu’il devait légitimement avoir, remplacé par une personne ignorante du dossier. Le politique avait alors préféré le sommeil à la raison.
Notre défaite en Ukraine et en Syrie est le fruit de notre défaite intellectuelle. Un pays qui ferme ses centrales nucléaires pour les remplacer par des panneaux solaires, qui condamne son industrie automobile pour faire place nette aux voitures chinoises, qui considèrent que le monde est en paix et que les investissements dans l’armée sont inutiles, ne peut connaitre que des échecs internationaux. Il n’y aura nulle victoire possible tant qu’il n’y aura pas un réveil de la raison. Or tout est là et sombrer dans le désespoir serait une erreur. Il y a déjà des chercheurs et des auteurs brillants, qu’il faut encourager et mettre en avant, il y a des étudiants volontaires et passionnés qui veulent faire quelque chose pour leur pays. Il y a des entrepreneurs, qui créent et qui inventent. Le désespoir est une autre forme de sommeil de la raison. Certains prospèrent en disant que tout va mal, que tout est foutu, en préférant rabaisser leur auditoire. Alors que c’est au contraire vers le haut qu’il faut porter le regard, en démontrant à ceux qui peuvent désespérer qu’il y a encore de nombreuses personnes éveillées qui n’ont pas endormi leur raison.
Auteur: Jean-Baptiste Noé
Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).
De Wispelaere
15 mars 2024👏😉
Nanker
13 mars 2024Encore un mot… Ce midi j’entends Jean-Paul Palomeros, un ancien ponte français de l’OTAN avouer l’air un peu agacé que l’organisation militaire n’a PAS – contrairement à la Russie – les moyens de mener une guerre de haute intensité.
Traduction : Palo et d’autres ont depuis 15 ans méthodiquement planifié l’extension de l’OTAN à l’Est, en dépit des promesses (verbales) faites à Gorbatchev à la fin des années 80 et en dépit des mises en garde de plus en plus en courroucées de Poutine.
MAIS ils n’ont jamais renforcé les capacités offensives de l’Alliance qu’ils commandaient, pensant certainement que soit la Russie était un tigre de papier qui plierait en 48h, ou que Poutine se débalonnerait malgré ses menaces répétées.
On peut appeler cela à minina de l’incompétence… Et cerise sur le gâteau on apprend par Wiki que Palomeros est le conseiller militaire spécial de Macron. Cela augure de « grandes » et « belles » choses…
Nanker
13 mars 2024Quant à l’Ukraine… ce pays pourrait devenir pour l’U.E. ce que l’Afghanistan fut pour l’U.R.S.S., à savoir son tombeau et l’agent conduisant à son éclatement. Macron, en voulant faire durer ce conflit, pense que cela lui donnera le temps de relancer l’industrie militaire occidentale autour de 2025. Ce qui ne servira car nous sommes et resterons pour au moins une décennie des nains militaires, avec une force de frappe taillée pour le contre-terrorisme (Afghanistan, Sahel).
Une fois l’Ukraine vaincue, notre « devoir » d’Européens sera d’absorber au sein de la grande « famille » de l’U.E. ce qui restera de l’Ukraine : cela coûtera des centaines de milliards d’Euros en reconstruction et en aide aux éclopés du front. Cela pourrait bien être la crise finale qui emportera l’Euro et par conséquent l’U.E. telle qu »on la connaît.
breizh
13 mars 2024« Certains exaltent un régime russe vu comme le salut, oubliant la corruption massive du pays, l’état de délabrement social de la population, mal remis du communisme, et dont témoigne la faiblesse de l’espérance de vie, la brutalité de la politique. »
Depuis l’arrivée de Poutine aux commandes, la situation s’est grandement améliorée, même si des difficultés demeurent. Et les russes lui en sont gréés, d’où sa popularité…
Robert
12 mars 2024Un billet pragmatique et optimiste quant à l’avenir.
Le sommeil de la raison en Occident, en particulier en Europe, n’est-il pas plutôt un coma ?
Karl Weiss
11 mars 2024Un seul responsable de ces deux énormes bévues : Barack Hussein Obama . Ne cherchez pas plus loin . L’annulation de la victoire de Yanukovitch en 2005 c’est lui , le laissez-faire pour Assad, c’est encore lui .
texmik
11 mars 2024bravo ,comme d’hab
Patrice Pimoulle
11 mars 2024On ne peut que sosucrire a votre conclusion, mais ceci ne suffit pas, encore faut-il chercher a comprendre.
Tout d’abord le fait imperial russe ne fait aucun doute; on le voit apparaitre avec le voyage a Paris du Tsar Pierre le Grand., sous la Regence. C’est pour y faire face que la France et l’Angleterre se sont rapprochees des 1815. C’est finalement l’entente franco-anglaise; soutenue par les Etats-Unis, qui a permis d’abattre les IIe et IIe Reich en 1918 et en 1945, puis l’URSS en 1989.
Depuis les choses ont change.
L’Etat prussien a ete dissous expressement et l’Allemagne est devenue une democratie occidentale; la Russie n’est plus sovietique.
Mais depuis la devaluaution du dollar, les Etats-Unis ont regresse de la notion romaine de « res publica » a la « culture du contrat’ et a « l’economie de marche », retablisant de ce fait un nouveau royaume barbare anglo-saxon.
L’Ukraine est le theatre de l’affrontement entre le messianisme du royaume barbare anglo-saxo et de la Russie qui defend son heritage romano-byzantin.
IIl est clair que le royaume barbare anglo-saxon n’a pas les moyens, a long terme, de faire face a la Russie; la subtilite de Poutine est alors de le reduire a choisir entre la capitulation et la guerre nucleaire; donc le temps travaille pour la Russie.
Tendance ulterieure du temps: 1/ aneantissement du royaume barbare anglo-saxon; 2/ rapprochement de la civilisation romano germanique et de la civilisation orientale romano-byzantine, la distinction entre les deux n’ayant plus de sens au XXIe siecle. Mais evidemment, l’Occident sera bien oblige de reconnaite une certaine suprematie de la Russie.
Robert
12 mars 2024Oui. Le rapprochement aurait pu se faire lors de l’ éclatement de l’ URSS.
Poutine y était bien sûr favorable, les Américains s’ y sont opposés – évidemment- et l’ Europe s’est couchée, comme d’habitude.
La situation n’était peut-être pas mûre…
breizh
13 mars 2024« C’est finalement l’entente franco-anglaise; soutenue par les Etats-Unis, qui a permis d’abattre les IIe et IIe Reich en 1918 et en 1945, puis l’URSS en 1989. »
Difficile d’oublier pour la chute du 3ème Reich, le rôle de l’Armée Rouge…
Quant à 1989, l’URSS s’est surtout effondrée sur elle-même, plus que vaincue par le mode occidental.
Gaspard de la Nuit
11 mars 2024merci pour vos excellents articles, qui réhabilitent la pensée libérale dont on a plus que jamais besoin… je songe à deux livres à conseiller aux gens qui s’inquiètent du déclin de la raison en Occident : « Droit naturel et histoire » de Léo Strauss, et « Foi et Raison » de Jean-Paul II… ces deux ouvrages apporteront une véritable aide théorique et historique aux partisans de la raison et de la liberté.
germain
10 mars 2024L’avenir de la France réside dans la souveraineté retrouvée du peuple français, grâce au Frexit. Vous ne citez pas l’hécatombe de l’Afghanistan où des soldats Français ont été sacrifiés pour l’Otan ou les USA. Les ressources de la France sont immenses, même si aujourd’hui elles profitent à l’Allemagne ou à l’UE d’Ursula von der Leyen. L’oligarchie européiste ou française veut nous faire peur et pousse à la guerre totale afin de rester au pouvoir: la soupe est bonne, celle que leur sert nos impôts.
Hélas l’histoire se répète: en 1939 le Front populaire est au pouvoir en France et va voter la confiance, en juillet 1940, au régime vichiste du maréchal Pétain; en 2024 Macron ex-ministre socialiste de l’économie de Hollande (président socialiste) pousse à la guerre à tout va pour rester au pouvoir comme en 2022.
Robert
12 mars 2024Le Frexit est une illusion, ou alors peut-être lors d’un éclatement généralisé de l’ UE.
Pour faire le Frexit, il faudrait n’être pas dans l’ Euro.
Quant à sortir de l’ Euro et revenir au Franc, c’est se condamner à des dévaluations perpétuelles, dans ce pays qui exporte peu et importe beaucoup !
Certes, la situation actuelle n’est pas enviable… mais nous avons le choix entre la peste et le choléra…
Charles Heyd
12 mars 2024je réponds en fait à #Robert;
le Frexit, pas plus que le Brexit, ne sont des illusions; certes sortir de l’UE ferait aussi sortir de l’€ mais en fait le plus important est de sortir de l’€! Des dévaluations feraient réfléchir et à la fin motiver les Français; on a vécu pas mal de temps sans l’€ et on ne s’en portait pas plus mal. Et plein de pays ne sont pas dans l’ € et s’en sortent plutôt mieux que nous. Le choix est vite fait; la Suisse va négocier un rapprochement avec l’UE, alors quand va-t-elle adopter l’€? C’est la question à 1 000 francs (suisses)!
Explorer76
13 mars 2024De ce que je comprends de l’économie grâce à C. Gave j’en tire quatre pistes d’action :
1- On peut rétablir le franc pour les transaction internes entre français.
2- Mais comme on ne produit pas tout ce qu’on consomme et qu’on ne consomme pas tout se qu’on produit il faut vendre hors de France ce qu’on ne consomme pas contre une ou plusieurs monnaies (DM, dollar, or, renminbi) acceptée par ceux à qui on achète ce que nous consommons et ne produisons pas.
3- Il faut donc produire plus pour exporter plus.
4- Il faut rétablir la primauté du droit français sur le droit européen condition nécessaire de la stabilité juridique.
Corollaires :
1- l’Euro pourrait devenir une monnaie commune pour les transactions intra européennes (et plus si affinités).
2- Il faut augmenter le produit intérieur brut marchand : pistes : l’énergie (nucléaire et hydrocarbures de schiste), l’agriculture, l’industrie manufacturieure à forte valeur ajoutée.
3- Il faut réduire la part de la masse salariale des fonctionnaires (PIB non marchand) dans le PIB : il y en a 5,6 millions au statut et 1, 4 millions hors contrat soit 7 millions. Il faut diviser par au moins 2 ce total en réduisant drastiquement le périmètre d’intervention de l’état et en rétablissant une vraie concurrence : éducation, santé, logement, production d’énergie, environnement, transports, médias, culture : une condition nécessaire et l’interdiction de toute subvention publique. Rappelons que un fonctionnaire c’est au moins un emploi productif détruit. Pour ce faire soit virer tous les fonctionnaires et les faire candidater au statut privé et/ou geler les recrutements (-175 000 foncyionnaires par an) . Et interdire aux fonctionnaires de briguer un mandat électif.
4- Rétablir un taux de marge correct en supprimant le SMIC, tous les monopoles d’assurances sociales, en réduisant les impôts et en versant le salaire complet.
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Robert
14 mars 2024Je réponds à Charles Heyd : Oui, nous avons vécu longtemps sans l’ Euro, mais à une époque où la France produisait plus et importait moins : malgré cela le Franc dévaluait régulièrement.
Je ne crois pas que les Français supporteraient les conséquences d’un retour au Franc, avec une inflation à deux chiffres sur nombre de produits… dont l’essence !
Concernant la Suisse, le « rapprochement » avec l’ UE est déjà une réalité, mais quant à renoncer au CHF je n’y crois pas, ou alors il faudra « tordre le bras » de la BNS…. et de puissants motifs géopolitiques.
Charles Heyd
10 mars 2024Le problème n’est pas le sommeil de la raison mais l’étouffement de la raison; certes c’est une formule mais autant utiliser les mots qui conviennent c-à-d bien cibler ceux (et toujours ne pas oublier les celles!) qui justement veulent étouffer la raison. C’est vela qu’ils faut dénoncer; cela fait du monde mais peu importe ce n’est pas parce que l’on est minoritaire que l’on a tort.