26 octobre, 2025

Le Paradoxe entre une Europe non compétitive et la hausse de l’euro.

Le Président Trump a décidé en avril 2025 que les déficits extérieurs des USA étaient insupportables sur le long terme, et, en conséquence, il a collé des droits de douane tout à fait conséquents à tout le monde.

Pour l’instant, cette poussée de protectionnisme n’a eu d’effets négatifs ni sur l’inflation ni sur l’activité économique, ni aux USA ni en dehors des USA : les produits importés aux USA n’ont pas subi de hausse des prix et le commerce mondial en volume vient de faire un plus haut.

Comment est-ce possible ?

Il n’y a qu’une solution à ce dilemme : les droits de douane aux USA ont dû être absorbées les sociétés exportatrices qui ont baissé leurs marges à due concurrence des droits de douane imposés par l’administration américaine sur leurs produits.

Logiquement, nous aurions donc dû avoir une baisse des profits de ces sociétés et, sans doute, une baisse des cours de celles qui étaient cotées puisqu’il y avait un transfert de profits du reste du monde vers les USA, pour peu qu’il y ait eu des concurrents aux USA. Nous avons eu quelques exemples de ce type avec la baisse de Stelantis en Europe et la hausse de GM et de Ford aux USA. Mais je crois que quelque chose de plus profond est en train de se passer. Que le lecteur veuille bien considérer le graphique suivant.

 

 

 

Explications.

Chaque ligne représente l’indice des prix à l’exportation pour chacun des trois pays base 100 au 1/1/202 (Allemagne, Japon, Chine), que j’ai ensuite corrigé du taux de change du pays contre le dollar. Ces trois indices mesurent donc la compétitivité industrielle contre le dollar de chacun de ces pays. De 2008 à 2021, les trois pays connaissent une évolution de leur compétitivité à peu près similaire. Mais depuis le début de 2022 et le déclenchement de la guerre en Ukraine, l’Euro est beaucoup monté contre le dollar tandis que le yen et renminbi baissaient.

Ce qui veut dire en termes clairs que la hausse des droits de douane ramène les marges des sociétés Japonaises et Chinoises là où elles étaient il y a quelques années, ce qui est très supportable. La baisse de ces deux monnaies a compensé la hausse des droits de douane. C’est ce que prouve mon premier graphique.

Absorber 20 % de droits de douane est très facile pour les affaires Chinoises ou Japonaises Leurs marges reviennent là ou elles étaient en 2020.

Mais l’industrie allemande, du fait de la hausse de l’euro est aujourd’hui non compétitive vis-à-vis de la Chine et du Japon non seulement quand elles exportent aux USA mais aussi dans tous les marchés des pays tiers.

C’est ce que montre le deuxième graphique. Le yen est grotesquement sous-évalué vis-à-vis de l’euro.

 

Les sociétés allemandes n’ont donc aucune chance de vendre quoi que ce soit si elles trouvent en face d’elles des sociétés Japonaises ou Chinoises.

La question est donc maintenant non pas pourquoi le yen et le renminbi ont baissé, mais bien plutôt pourquoi l’euro est-il monté ?

Le dernier graphique s’attache à résoudre cette question

 

Le taux de change yen/euro a tendance à suivre la différence des taux courts entre les deux pays et c’est ce qui se passe de 2019 à 2024, et le yen du coup baisse, passant de 120 y/e à 174 y/e.

Le yen recommence à monter quand les Japonais relèvent leurs taux courts pendant l’été 2024…. Et tout se passe comme prévu jusqu’en avril 2025.

Patatras, monsieur Trump est élu fin 2024, et en avril 2025, il se met à augmenter les droits de douane sur tout le monde.

Les investisseurs européens prennent peur que cela ne crée une dépression aux USA et vendent le dollar comme des fous contre l’euro, qui monte brutalement vis-à-vis du dollar mais aussi du yen et du renminbi, à la place de continuer à baisser comme il aurait dû le faire.

Et c’est là que se trouve le vrai problème de l’Europe : une réaction « logique » des investisseurs au niveau microéconomique (la couverture du risque de change dollar/euro dans leurs portefeuilles), amènera à un probable désastre macroéconomique pour la zone euro quelques mois après tant les affaires industrielles européennes se retrouvent non compétitives vis-à-vis des sociétés Chinoises ou Japonaises.

Trois remarques s’imposent ici :

  • Il est vrai que sur le court terme, la microéconomie (les flux de capitaux) l’emporte souvent sur les réalités économiques à long terme.
  • Mais sur le long terme, seule compte la compétitivité, tout au moins en ce qui concerne les taux de change.
  • Il faut à peu près 12 mois pour que des hausses des taux de change aient un impact sur la balance commerciale.

Je me demande ce qui va se passer sur le taux de change de l’euro vis-à-vis du yen et du renminbi quand la zone euro va passer en comptes courants déficitaires au printemps ou à l’été prochain.

Mais je sais que le Japon a des comptes courants excédentaires égaux à 5 % de son PIB, et la Chine une balance commerciale excédentaire de plus de 1000 milliards de dollars et que ces deux excédents vont continuer à augmenter dans les mois qui viennent.

Rendez-vous en Avril 2026 donc.

C’est à ce moment-là que l’on commencera à voir les effets de la hausse du taux de change de l’euro sur la balance commerciale de la zone euro.

Et je cherche désespérément QUI achètera de l’euro à ce moment-là.

 

 

 

 

Auteur: Charles Gave

Economiste et financier, Charles Gave s’est fait connaitre du grand public en publiant un essai pamphlétaire en 2001 “ Des Lions menés par des ânes “(Éditions Robert Laffont) où il dénonçait l’Euro et ses fonctionnements monétaires. Son dernier ouvrage “Sire, surtout ne faites rien” aux Editions Jean-Cyrille Godefroy (2016) rassemble les meilleurs chroniques de l'IDL écrites ces dernières années. Il est fondateur et président de Gavekal Research (www.gavekal.com).

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