29 avril, 2021

Le fleuve Congo : magnificence et impuissance

C’est l’un des plus grands fleuves du monde : une longueur de 4 700 km, un débit de 80 000m3/ seconde, des profondeurs qui atteignent les 200 mètres par endroit du fait de la présence de canyons immergés. Le fleuve Congo prend sa source dans les hauts plateaux de l’Afrique australe avant de se détourner vers l’ouest pour se jeter dans l’Atlantique. C’est un fleuve immense, puissant, autour duquel vivent de nombreux peuples, mais un fleuve encore sauvage et peu mis en valeur.

 

Les Portugais sont les premiers Européens à accoster à son embouchure à la fin du XVe siècle. La région est dangereuse, remplie de maladies inconnues et mortelles, d’insectes et de bestioles mortifères. Nombreux sont les Européens à être morts à cause des fièvres, des piqûres, des mouches qui les ont piqués ou contaminés. L’exploration de l’Afrique s’est faite au prix du sang, beaucoup n’ont jamais pu pénétrer « le cœur des ténèbres ». C’est le Gallois Henri Stanley qui explora le cours du Congo, à partir de l’est. Incroyable vie que celle de cet homme, né dans une ville du pays de Galles en 1841 de père inconnu et de mère qui l’abandonna aux services sociaux. Stanley s’en sortit par la force de sa volonté et de son intelligence, travailla comme journaliste aux États-Unis et fut envoyé en Afrique de l’est pour retrouver l’explorateur écossais David Livingstone. Parti de Zanzibar en janvier 1871 avec une troupe de près de 200 hommes, il rejoint les rives du lac Tanganyika, retrouve Livingstone puis se lance à l’assaut du Congo, dont il est l’un des premiers Européens à descendre le cours.

 

Sur le flanc ouest, c’est l’explorateur Pierre Savorgnan de Brazza qui a conduit les missions de repérages et de cartographie. Né à Rome en 1852 et d’origine vénitienne, Savorgnan de Brazza passe par l’École navale, est naturalisé français et s’engage dans l’exploration de la partie atlantique de l’Afrique. Partant du Sénégal il mène sa route jusqu’au Congo, où il fonde une ville qui porte aujourd’hui son nom.

 

Le Congo est marqué par ces deux explorateurs : Stanley, qui vient de l’est et Brazza, qui vient de l’ouest. Durant la période coloniale belge et jusque dans les années 2000, le Congo est tourné vers l’ouest et vers l’Atlantique, donc vers l’orientation donnée par Brazza. Depuis les années 2000, c’est l’Afrique de l’Est qui reprend le dessus. L’Inde et la Chine sont de plus en plus présentes, la région des Grands Lacs tourne ses échanges commerciaux et ses exportations vers l’océan indien, le Kenya, le Mozambique et la Somalie s’intègrent à ce nouvel espace océanique. La partie atlantique a donc tendance à être dévaluée au profit de la partie indienne et de l’est du pays. Le basculement du fleuve Congo de l’ouest vers l’est est en cours et montre le développement d’une nouvelle sous-région mondiale.

 

Un fleuve à vivre et à aménager

 

Dans l’ouvrage qu’il a consacré au Congo (Congo. Un fleuve à la puissance contrariée, CNRS, 2021), le géographe Roland Pourtier analyse les aménagements réalisés autour de celui-ci et la façon dont la vie s’est organisée autour de cette masse d’eau. Roland Pourtier a découvert le Congo pour la première fois en 1987, envoyé par Roger Brunet pour réaliser l’un des tomes de la Géographie universelle consacrée à l’Afrique. Son livre est une invitation au voyage et à l’analyse géographique. Il réalise ce qu’est réellement la géographie, c’est-à-dire une étude des paysages, des organisations humaines, des aménagements, des contraintes géologiques et topographiques et de la façon dont les hommes mettent en musique ces contraintes pour les dépasser. La géographie est une belle science, très loin de la mélasse socio-environnementale servie dans les programmes du collège et du lycée.

 

Comme le montre Roland Pourtier, autour du fleuve s’est notamment développé « un peuple de la pirogue ». Le fleuve fourni du poisson, qui peut être consommé, il est aussi un flux de transit et d’échanges. Les marchandises circulent sur le fleuve, à bord d’immenses pirogues, dont certaines atteignent les 30 mètres. Les échanges se font à même la pirogue, chacun monnayant un produit de la ville ou un produit du fleuve : pétrole, piles, singe boucané, savons ou recharges pour téléphone. La grande nouveauté est l’apparition des moteurs hors-bord qui rendent inutile l’usage des pagaies, qui permettent de remonter plus aisément le courant et de circuler dans des bras du fleuve autrefois difficilement accessibles. Un grand nombre de ces moteurs sont de fabrication chinoise. Ils sont en train de changer la perception de l’espace et du temps sur les rives du fleuve.

 

Cet accroissement des échanges ne fait pas disparaitre pour autant la prégnance de l’ethnie, qui demeure l’élément de compréhension de la politique africaine. L’ethnie n’est pas une invention des Européens, mais une réalité humaine qui structure la vie sociale et politique de l’Afrique.

 

« Le ʺtribalismeʺ, loin d’être un biais pernicieux de l’analyse occidentale des sociétés africaines, est ancré dans leur chair. Les groupes locaux peuvent bien être enchâssés dans des entités englobantes (linguistiques, administratives, religieuses), ils n’en demeurent pas moins jaloux de leurs droits coutumiers et prêts à les défendre quand ils les estiment en danger. C’est le cas notamment lorsque l’accès aux ressources, foncières ou autres est disputé, cause principale des conflits tribaux. L’absence d’un État fort, capable de canaliser le potentiel de violences et d’en prévenir l’explosion, laisse le champ libre à toutes sortes de groupes d’auto-défense prompts à prendre les armes, qu’il s’agisse de machettes, de lances, d’arcs et de flèches ou, et de plus en plus, de la Kalachnikov qui s’invite désormais dans les conflits à répétition du bassin du Congo. Les treillis se substituent aux tenues traditionnelles des guerriers, les trafics d’armes et les instrumentalisations politiques aggravant la violence des conflits, selon un schéma devenu récurrent. » (p. 101-102)

 

Évolutions du Congo

 

De 10 millions d’habitants en 1950, le Congo est en passe d’atteindre les 100 millions d’ici quelques années. Une croissance démographique que n’a pas accompagnée la croissance économique et la croissance des infrastructures. Comme partout ailleurs en Afrique, l’explosion démographique est un drame qui attise les conflits et qui explique en partie les difficultés de développement de ces pays. La croissance démographique a renforcé les rivalités ethniques, le Congo subissant à la fois les déstabilisations venues du Rwanda et des Grands Lacs et celles de la Centrafrique et du Soudan du Sud. Le Congo est la caisse de résonnance de tous les troubles de l’Afrique centrale. Chez lui se retrouvent les guerres, les affrontements, les déstabilisations.

 

Deux villes émergent néanmoins : Brazzaville et Léopoldville, devenue Kinshasa. Capitale du petit Congo, Brazzaville compte près de 2 millions d’habitants quand Kinshasa, capitale de la RDC en compte 15 millions. Les deux villes se font face sur le fleuve. On y retrouve les bidonvilles, les habitats précaires et insalubres, les entassements des populations venues de la campagne vers la ville pour y trouver une vie meilleure, et aussi les quartiers internationaux, plus luxueux, mieux aménagés et des quartiers résidentiels fermés et sécurités, réservés à l’élite noire qui a réussi dans les affaires et dans la politique. Le brinquebalement de ces villes et ces paysages si différents à quelques centaines de mètres de distance est typique de ces mégapoles des pays émergents. Tous les problèmes du pays s’y retrouvent et s’y condensent.

 

Le rapport à la mémoire est lui aussi très particulier et fort différent de ce qui est vécu en Europe. Alors que les Belges se prennent d’une honte soudaine pour leur passé, la statue équestre du roi Léopold trône toujours à Kinshasa. Les Congolais les plus anciens n’ont pas oublié la période belge, et les écoles, les routes et les hôpitaux qui ont été avec. Savorgnan de Brazza dispose d’un grand mausolée, inauguré en 2006, et où ont été transférés les restes de l’explorateur. Ce mausolée a été édifié à la demande du roi Makoko Gaston Ngouayoulou, roi des Téké, l’une des plus grandes ethnies du Congo, dont l’ancêtre avait été l’allié de Brazza et que l’explorateur avait soutenu lors de conflits locaux. Le monument devait même à l’origine être construit à Mbé, l’ancienne capitale des Téké, mais il fut finalement édifié à Brazza, à la demande du gouvernement congolais.

 

Ces hommes et ces événements font partie de l’histoire des deux Congo, comme le rôle joué par Patrice Lumumba dans le processus d’indépendance. En les honorant, les gouvernements contribuent à montrer l’unité de leur pays et à créer une identité nationale qui est encore très loin aujourd’hui de s’imposer à l’ensemble de la population.

 

 

 

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

5 Commentaires

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  • BF

    30 avril 2021

    Le Congo…j’en garde un souvenir formidable…j’y suis allé il y a 40ans…Brazza / Pointe Noire par la Route Nationale N°1…..

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  • michel hasbrouck

    29 avril 2021

    C’est la géographie qui fait l’histoire. J’ajoute : la géographie des températures…

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  • Ockham

    29 avril 2021

    Promenade géographique agréable. Cela fait du bien de lire des nouvelles d’un grand pays splendide et riche avec ce fleuve d’une puissance qu’il faut voir quand il arrache des blocs de terre aussi impressionnant que des icebergs flottant sur la Stanley-Pool. Il est toutefois d’une insécurité grave tant sur la plan de la santé que personnelle. Ce pays a une taille d’empire. Ce que les Belges ont réussi est remarquable mais cet espace est démesuré ! C’est une dimension nord-américaine, indienne, russe, chinoise, brésilienne ou d’Europe entière. Vous faites bien de souligner que les ethnies sont toujours incontournables. D’ailleurs si un Européen peut facilement fédérer plusieurs ethnies différentes, lorsque sa place devient vacante, les problèmes commencent et sont souvent insurmontables. Beaucoup oublient que notre langue vit et se développe à Kin-La-Belle. Il n’y a pas que le business du diamant, du cobalt, du cuivre, des terres rares …dont les Chinois raffolent mais pas qu’eux.

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  • sissou

    29 avril 2021

    Merci pour cet article qui en ce qui me concerne fait un lien avec l’émigration. L’Afrique devrait être les USA du 18/18 éme siècle et à l’inverse c’est l’encouragement à la fuite de ses habitants pour venir chez nous comme esclave moderne ne maitrisant pas la langue du pays .Le Congo, comme l’Algérie, et beaucoup d’autres pays recèlent de richesses qui ne demandent qu’a être misent en valeur. Les chinois l’ont compris . Pourquoi les autochtones n’arrivent ils pas à mettre en valeur ces territoires?

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  • breizh

    29 avril 2021

    très intéressant ce point de vue fluvial.
    on peut ajouter pour le Congo la richesse minière (cobalt et autre…) objet de toutes les convoitises et pas forcément pour le bien de cette région.

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