Il ne s’agit pas d’une fable de La Fontaine, mais d’une réalité humaine : le chameau et le dromadaire ont façonné les modes de vie, de communication et de guerre de nombreux peuples. Ce qui renvoie à une dialectique géopolitique, celle du déterminisme et du volontarisme.
S’ils sont tous deux issus de la famille des camélidés, le chameau vit essentiellement en Asie centrale et est paré pour affronter les grands froids. Le dromadaire est quant à lui naturellement optimisé pour les régions chaudes et sèches. Le premier a deux bosses (chameau, deux syllabes nous dit le moyen mnémotechnique), le second une. Des bosses qui ne sont pas des réserves d’eau, mais de graisse, permettant aux animaux de passer de nombreux jours sans manger. Ce qui est bien utile quand on est un animal de bât et qu’il faut traverser des zones arides.
Chameau et dromadaire disposent d’un système de régulation interne qui leur permet de résister au manque d’eau. Sudation, digestion, excréments, organisation du métabolisme, tout est orienté vers la limitation maximale de la consommation d’eau. Un bijou technique pourrait-on dire, qui montre que la nature fait des merveilles. Lorsqu’il a soif et qu’il dispose d’eau, le chameau peut absorber 135 litres en 10 min. D’où l’expression « boire comme un chameau ».
L’animal des terres extrêmes
Si le cheval est omniprésent dans les mythes, la littérature et les arts, le chameau et le dromadaire n’ont rien à lui envier. Les hommes s’en servent comme animal de trait, de bât et aussi de guerre. Dans Les Cavaliers, Joseph Kessel peint la rencontre fascinante et terrible entre son héros, sur son cheval magnifique, et une colonne de nomades conduite par un chameau de Bactriane. L’animal terrorise et se montre féroce, si bien qu’Ouroz est contraint de passer son chemin.
Le cheval a permis l’expansion des Mongols et des peuples de la steppe, et l’on pense bien évidemment à Gengis Khan, mais sans le chameau, ils n’auraient pu édifier leur empire. Le chameau de Bactriane est l’un des plus imposants : 2 mètres au garrot, plus de 600 kg, une capacité à résister aux températures extrêmes, qui oscillent entre -40°C et + 40°C. Il résiste aux longues marches, pouvant parcourir près de 60 km par jour. On le retrouve dans le désert de Gobi, en Chine, ou sur les bords de la Caspienne. Moins noble peut-être que le cheval, mais essentiel pour ces peuples nomades qui n’auraient rien pu faire sans le chameau.
Le dromadaire, aussi appelé chameau d’Arabie, est lui parfaitement adapté au climat sec et aride. Ses pieds souple et élastique lui permettent de marcher sur le sable sans s’enfoncer. C’est l’animal des chevauchées en Arabie et des traversées du Sahara. Sans le dromadaire, les Arabes n’auraient pas pu faire leurs échanges à travers le désert. Leur civilisation n’aurait pas été la même. Il y a donc bien les peuples du chameau et ceux du dromadaire.
Les qualités et les limites
Problème, si le dromadaire est à l’aise dans les sables arabes, il souffre dès que les températures baissent et que l’humidité s’accroit. Il ne supporte ni le froid ni les parasites qui se glissent dans ses ongles et le blessent. L’une des raisons qui ont empêché les Arabes de prendre le contrôle des montagnes est la limitation du dromadaire. Avec lui, ils pouvaient attaquer dans le Hedjaz et en Égypte, mais pas dans les hauteurs du mont Liban ou de l’Anatolie. La puissance animale s’est retrouvée affaiblie face à d’autres climats et d’autres géographies. Les limitations du dromadaire en terrain montagneux et froid ont permis aux peuples combattant les Arabes de se défendre. On touche ici à une limite de la nature.
La nature ou l’homme ?
Certes ces animaux disposent de conditions biologiques exceptionnelles bien adaptées à leur milieu respectif (le déterminisme), mais ils ne seraient rien sans la capacité de l’homme à en faire quelque chose (le volontarisme). Ce sont bien ces peuples qui ont domestiqué l’animal, un chameau sauvage ne servant pas à grand-chose. Se sont transmises les techniques de soin, de dressage, de montage, qui ont permis d’utiliser les capacités naturelles des chameaux et des dromadaires pour en faire quelque chose. Adapter les harnais et les selles à leur morphologie, connaitre leurs limites et leurs capacités, être capable de les faire marcher en caravane, savoir comment les mener. En définitive, c’est l’homme qui a sublimé la nature pour faire de ces animaux les espèces connues aujourd’hui. Sans compter les croisements et les améliorations génétiques qui ont permis d’obtenir des races pures, comme pour les chevaux.
Et lorsque l’on arrive au bout de la nature, l’homme est capable d’inventer autre chose. Le pick-up Toyota a remplacé le dromadaire, l’avion a supplanté le chameau. C’est moins romantique il est vrai, mais cela permet d’augmenter l’homme et de lui faire dépasser ses limites. La yourte est sympathique, mais la chambre chauffée l’est encore plus. Savoir capter la fraicheur dans le désert est utile, pouvoir bénéficier d’un lieu climatisé l’est encore plus. La nature du chameau et du dromadaire est admirable ; mais plus admirable encore est le génie humain qui a su les sublimer.
Auteur: Jean-Baptiste Noé
Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).
Patrice Pimoulle
12 décembre 2022En tout etat de cause, et s’agissant tant du chameau que du dromadaire, une chose est certaine: e pericoloso sporghersi.
Patrice Pimoulle
12 décembre 2022Notre probleme, c’est que le pick up Toyota a remplace la 404. Pourquoi?
Robert
13 décembre 2022Non pas parce que le pick-up Toyota était meilleur que la 404 ou la 504, mais parce que Toyota s’est donné les moyens de conquérir le marché africain pendant que Peugeot s’ égarait en Chine ou aux USA…
Ockham
12 décembre 2022Lumineuse remarque sur les limites du dromadaire qui -en toute logique « géopolitique » – permet post-Gengis aux tribus turcophones converties à l’islam d’envahir l’Anatolie. Dans leur lancée ils rasent Jérusalem et abattent les murs de Constantinople d’un côté et de l’autre délogent les Arabes de la place du Calife. De là, le Chameau, et non le Dromadaire, ira jusqu’à Alger en s’installant solidement à Tunis. Ils essayeront d’avaler le Maroc mais les Espagnols qui boutèrent dehors les Berbères de l’Atlas lors de la Reconquista vinrent en prompt renfort pour éviter la « tenaille » en oubliant toute haine dominicaine pour aider ces fortes têtes marocaines éprises d’indépendance.
Bilibin
12 décembre 2022Dans un de ses livres, Sowell avance qu’une raison importante des différences de développement entre l’Europe et l’Amérique du Nord (malgré des climats similaires, et jusque récemment) est simplement la présence des chevaux dans le vieux monde, et les possibilités qu’ils offrent pour le commerce et la locomotion.
Ockham
12 décembre 2022Et l’Afrique centrale avec la barrière mortelle de la mouche tsé-tsé. pour les chevaux
Steve
11 décembre 2022Bonjour M. Noé Comme
» il est plus facile à un chameau de passer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume des Cieux » Matthieu 18 – 23
Telle est la vengeance du chameau: en transportant les marchandises et les guerriers , il enrichit l’homme et l’empêche ainsi d’entrer et il finit ses jours dehors, avec les cocus qui eux non plus ne peuvent plus passer les portes….
Cordialement
Patrice Pimoulle
12 décembre 2022Cette affirmation n’a jamais ete confirmee par l’experience.
Gérard BIGOT.
10 décembre 2022>Se sont transmises les techniques de soin, de dressage, de montage,
Ou, plutôt de monte.
Personne ne pense assembler le dromadaire comme un lego, j’imagine.
J’aime le parallèle entre le chameau et le dromadaire, par ailleurs. C’est dommage de se louper comme ça vers la fin.
Denis Griesmar
3 février 2023La présence de la mouche tsé-tsé en Afrique centrale a évité l’élevage bovin, donc la présence de populations spéciqlisées (Peuls), donc la présence d’un mal incurable : l’Islam.
Dominique
9 décembre 2022L’avion a supplanté le chameau.
Une géopolitique du néant en pleine guerre mondiale…
Philippe
10 décembre 2022Une grenouille vit un boeuf, qui lui sembla de belle taille
Elle qui n’était pas grosse en tout comme un oeuf
Envieuse s’étend , et s’enfle et se travaille….
S’enfla si bien qu’elle en creva.
Jean de la Fontaine
Eventer le vide , brasser des banalités
Lapalissade ne fait point façade …
Philippe