22 avril, 2021

La souveraineté économique : enjeu fondamental de la puissance

Sur quels critères peut-on dire qu’une entreprise est française ? Sur quels critères également peut-on évaluer la contribution d’une société à la puissance française ? L’apport économique, en valeur et en impôt, est l’un de ces critères, mais il n’est pas le seul à être pertinent. Le cabinet Vélite a tenté de répondre à cette question en réalisant une étude sur le palmarès de la souveraineté économique. Plusieurs paramètres ont été retenus, qui ont ensuite été appliqués aux entreprises du CAC40. Cela donne des résultats parfois surprenants sur la place de ces grands groupes dans l’économie française.

 

L’économie n’est pas que finance. La puissance d’une entreprise ne peut donc pas se mesurer uniquement par son bénéfice ou son cash flow. D’autres critères sont importants : la capacité à innover et à produire de la technologie, la contribution à la puissance économique (le hard power en géopolitique), la contribution au rayonnement du pays (le soft power), l’indépendance à l’égard des puissances étrangères, la contribution à la vitalité territoriale (géopolitique des terroirs et intelligence territoriale). Ce panel, lui-même subdivisé en différents indicateurs, permet d’approcher l’utilité et la puissance réelle d’une entreprise multinationale en France.

 

Qu’est-ce que la souveraineté économique

Les auteurs de l’étude proposent la définition suivante de la souveraineté économique : « La souveraineté économique consiste à augmenter et protéger la puissance économique d’un État, de telle sorte qu’elle bénéficie à l’ensemble de sa population et de ses territoires. »

La souveraineté économique a donc trois dimensions : offensive, défensive et contributive. Parmi ces trois dimensions, l’on trouve les catégories suivante :

 

Offensive : dépôts de brevet, R&D, capacité d’investissement, conquête de marché et achat d’entreprise à l’international, promotion de la langue et de la culture française, réputation du groupe.

 

Défensive : capacité de résistance aux OPA, sensibilisation aux enjeux de l’intelligence économique et de la guerre économique, nationalité du top management, géographie de la détention du capital.

 

Contributive : création d’emplois en France, liens avec les PME, contribution à la vitalité économique des territoires.

 

L’intérêt de cette étude est quel met des mots et des exemples sur des concepts qui sont souvent employés, mais sans être définis de façon juste. On parle beaucoup de souveraineté économique et d’indépendance, mais sans véritablement définir ce que cela signifie. Or la souveraineté, ce n’est pas uniquement maintenir des positions, mais aussi en conquérir. Les entreprises doivent sans cesse innover et inventer pour demeurer les leaders de leur marché. Les entreprises multinationales ont toutes de fortes implantations locales, parfois dans des petites villes. Or le lien entre développement local et conquête global de marché est souvent mal perçu par les économistes et les acteurs politiques. Fos-sur-Mer pour la raffinerie, le port de Lyon pour la chimie fine, la vallée de la Loire pour la pharmacie, l’Île-de-France pour l’industrie et la finance, etc. Les choix et les développements des acteurs globaux se retrouvent au niveau local. C’est en cela que l’analyse géopolitique est essentielle parce qu’en variant les échelles, en réfléchissant sur des cartes plus ou moins globales, elle permet de mettre à jour les interactions des acteurs et les facteurs de développement.

 

L’autre point essentiel est la prise en compte de ces enjeux. Il y a du mieux par rapport à la situation d’il y a dix ans, mais les réalités de la guerre économique et les nécessités de l’intelligence économique et de la géopolitique locale ne sont pas encore assez pris en compte par les grandes entreprises. Ni par les PME, qui sont pourtant elles aussi concernées.

 

Thalès : le chef de la souveraineté

 

Les différents indicateurs ayant été intégrés et pondérés, le classement Vélite de la souveraineté économique met Thalès, Safran et Total sur le podium. Vient ensuite Orange, LVMH, Michelin, Dassault, Engie, le Crédit Agricole, PSA et Bouygues parmi les 10 premiers. En bas du classement on trouve Teleperformance, ST et Arcelor Mittal.

 

Ce classement démontre donc que les secteurs aéronautique et défense, énergie et automobile sont les piliers de la puissance économique française. Le secteur du luxe arrive après, même si c’est celui qui a le plus d’impact en matière de structuration des paysages.

 

En matière d’innovation, PSA, Safran et Airbus arrivent en tête. Dans la catégorie « rayonnement de la France », le trio de tête est composé de Total, PSA et L’Oréal. Pour l’indépendance à l’égard des puissances étrangères, ce sont Thalès, Dassault et Orange qui se placent dans le trio de tête et Airbus, STMicro et Arcelor Mittal qui sont dans le trio de queue.

L’indicateur de la vitalité économique est intéressant, car il place beaucoup d’entreprises bancaires en tête du classement, notamment BNP Paribas, la Société Générale et le Crédit Agricole. C’est là un rôle inattendu, mais néanmoins très important joué par les banques.

 

La véritable RSE

 

À travers ces critères et ces exemples, on comprend que le dossier est plus complexe qu’il n’y parait. Là, réside en revanche la véritable RSE « responsabilité sociale des entreprises » et non pas dans les gadgets communicationnels développés dans les ministères et les entreprises de com. Il est intéressant de noter à cet égard la place de Danone, qui arrive en 22e position dans l’étude, soit dans la deuxième partie du tableau. Sa force d’innovation technologique est faible, de même que sa contribution à la puissance économique et à la vitalité économique des territoires. Score faible sur ce dernier point (2.8/10) alors que compte tenu de son type de production il aurait dû être beaucoup plus élevé. La presse a beaucoup glosé sur le départ d’Emmanuel Faber. Les actionnaires ne lui ont pas reproché d’avoir fait de Danone une « entreprise à mission », mais de l’avoir fragilisé par rapport à ses concurrents, notamment Nestlé, et d’avoir contribué à gâter l’ambiance du top management, qui s’est soldé par de très nombreuses démissions au niveau du siège. Au regard de son bilan humain et financier, Faber n’a pas été un bon PDG de Danone. Or la première « mission » d’une entreprise est de fournir du travail et un salaire à ses employés. Et ensuite de fournir des services et des produits de qualité à ses clients. Les deux étant liés par ailleurs, car sans client il n’y a pas de salarié, et sans salarié de qualité, il n’y a pas de client satisfait. Voulant philosopher sur le rôle d’une entreprise, Faber est passé à côté de sa mission première chez Danone.

 

Ces critères de souveraineté démontrent l’agilité des entreprises et illustrent en creux le rôle de l’État : faire le moins possible, afin de ne pas empêcher les entreprises de se développer et de se muscler. La fiscalité confiscatoire, les empilements de normes et de réglementations, les travaux d’infrastructures non fait ou non entretenu sont autant de limitation à la souveraineté et de domaines où l’État est légitime à jouer un rôle. Le saccage actuel de Paris, sa saleté, son insécurité sont ainsi des freins puissants au développement de la souveraineté française. La capitale est toujours l’image d’un pays, à l’égard de ses habitants et à l’égard de l’étranger. La congestion continue de Paris n’est pas seulement un problème pour les Parisiens, mais pour l’ensemble de la France. Jamais aucun chef d’État n’avait laissé sa capitale se dégrader sans intervenir. Si le maire de la ville n’est pas capable de gérer sa commune, c’est à l’État central de le révoquer et de placer la ville sous tutelle. Ici, la question de la souveraineté et de la puissance économique passe par l’aménagement du territoire et l’embellissement de la ville capitale.

 

Pour que les entreprises puissent innover, inventer, embaucher, encore faut-il qu’elles ne soient pas empêchées par des impôts confiscatoires et des normes trop tatillonnes. Le cas échéant, c’est l’ensemble du pays qui en souffre.

 

L’étude complète est à retrouver ici :

https://palmares.cabinet-velite.com/

 

 

 

 

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

6 Commentaires

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  • Steve

    23 avril 2021

    Bonjour M. Noé
    En ce qui concerne Danone, je ne vous suis pas complètement: si ce que vous dites du mismanagement de Faber est vrai, il n’en reste pas moins un c’est un fonds d’investissement étranger, nglo saxon, pesant 3% de l’actionnariat qui a été à la manoeuvre pour l’évincer. Et si Faber a donné la corde pour se pendre, il ne fut pas oublier que la mentalité anglo-saxonne pour ce qui concerne l’entreprise c’est l’argnet pour les actionnaires, ps pour payer des salaires…. Ce qui laisse penser à un conflit philosophique masqué par des contingences matérielles.
    Il ne faut pas oublier que les grands fonds d’investissements gèrent les plans 401 des américains et qu’il sont besoin d’un rendement de 8,5 à 10 %: donc les salariés européens sont pressés et les « billevesées » des socialistes français sur les entreprises citoyennes doivent être combattues et brisées dès que possible.
    Sur la souveraineté économique, il faudrait donc aussi examiner la part des grands fonds, Blackrock, Vanguard, Capital Research Management & assets, State Street Funds etc qui possèdent tous des parts significatives dans les entreprises du CAC 40….
    D’ailleurs, selon l’analyste stratégique Guy Philippe Goldstein, les Etats occidentaux nont plus pour rôle que de protéger les bénéfices de leurs multinationales.
    La souveraineté s’est déplacée. Si vous vous souvenez de Fondations, d’Asimov , essai de prospective géopolitique à l’échelle galactique, vous savez qu’il y fût question d’une phase de pouvoir des Princes Marchands. N’y entrons nous pas, maintenant que tout est à vendre, y compris nos organes et nos codes génétiques?
    Cordialement

    Répondre
    • ilmryn

      25 avril 2021

      Si les fond d’investissement US sont une martingale, il suffit que tous les français investissent dedans. Avec une épargne a 5000 milliards, le pays engrangerait 500 milliards par an avant même de s’être levé le matin.

      Bref, c’est absurde, vous devriez vraiment vous débarrasser des slogans socialistes: ils sont tous faux, le socialisme est un cancer et ce ne sont pas les fonds US ou les multinationales qui tuent la France.

    • breizh

      26 avril 2021

      ben oui, pas de capital, pas de puissance économique.

      le CAC 40 est pour la moitié entre des mains étrangères…

      vu comment le capital est taxé en France (IFI, droits de succession…), la France ne peut être une puissance économique.

  • breizh

    23 avril 2021

    « La souveraineté économique consiste à augmenter et protéger la puissance économique d’un État, »

    j’aurais préféré la Nation à l’état…

    Par ailleurs, on constate au sommet du podium : que des vieilles entreprises, finalement très (trop) liées avec l’Etat…

    Dans quelle mesure la puissance de celles-ci ne vient pas de la connivence avec l’Etat, de situation quasiment monopolistique, de copinage (ENA, sciences po)… ?
    voir la promotion TITANIC de l’ENA (http://pratclif.com/economy/LIVRE_NOIR_ENA.pdf)

    Et du coup, est-ce une vraie puissance ?

    Répondre
  • michel hasbrouck

    23 avril 2021

    La première mission d’une entreprise est de gagner de l’argent. Sinon, comment payer les salaires dont vous parlez comme d’un préalable, alors que c’est seulement une conséquence ?

    Répondre
    • idlibertes

      25 avril 2021

      Je suis d’accord.

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