Les premières recettes de ketchup sont publiées en Angleterre au XVIIIe. Ce sont des sauces destinées à être mises en bouteille et à se conserver très longtemps. Elles sont à base de champignons, d’anchois ou des deux, mais jamais de tomates. Elles peuvent inclure du vin ou de la bière. Elles comprennent de nombreuses épices pour assurer une conservation destinée à atteindre 20 ans dans le cas de la recette d’Hannah Glasse pour les capitaines de vaisseau (1747).
Le terme de ketchup serait originaire du dialecte chinois, dit Amoy. Il aurait désigné ces sauces à base de poisson fermenté répandues dans toute l’Asie du Sud-Est : nước mắm(Vietnam) nam pla (Thaïlande) et autres « fish sauces ». Les marchands anglais ou hollandais auraient importé cette dénomination et l’auraient peut-être appliquée à des sauces pré-existantes. Certains ont aperçu une relation avec le liquanem ou le garum romain mais la filiation n‘est pas prouvée.
Les recettes à base de champignons, anchois et noisettes seront reprises jusqu’à la fin du XIXe. Alexandre Dumas père mentionne dans son Grand Dictionnaire de la Cuisine (1872) une recette de « ket-chop » à base d’essence de champignons, d’anchois pilés et de brou de noix. Elle est destinée à être servie avec le poisson.
Lord Byron mentionne la ketchup dans son célèbre poème Beppo (1817). Il recommande vivement aux voyageurs se rendant à Venise pendant le carême, d’emporter dans leurs bagages des sauces pour accompagner les poissons – selon lui – si mal accommodés en Italie:
And thus they bid farewell to carnal dishes
And solid meats, and highly spiced ragouts,
To live for forty days on ill-dress’d fishes,
Because they have no sauces to their stews ;
…
And therefore humbly I would recommend
« The curious in fish-sauce », before they cross
The sea, to bid their cook, or wife or friend
Walk or ride to the Strand, and buy in gross
…
Ketchup, Soy, Chili-vinegar, and Harvey[1]
La ketchup de Lord Byron est certainement la ketchup aux champignons ou aux anchois.
Aux Etats-Unis, la recette de la ketchup évolue et devient celle d’une sauce à la tomate. Ce fruit y est introduit à la fin du XVIIIe. Les recettes deviennent rapidement populaires et le nombre de recettes publiées dans les livres de cuisine augmente très rapidement. Elles comprennent de nombreux ingrédients (vinaigre de vin ou de cidre, ail, oignons, échalotes, gingembre, raifort, jus de citron, etc.). La cuisson peut varier de quelques minutes à plusieurs jours.
La production commerciale de ketchup à la tomate commence aux Etats-Unis au milieu du XIXe siècle. Les conserveries se développent rapidement durant la guerre civile américaine (1861-65) pour nourrir les armées. Le goût américain pour la tomate ne cesse d’augmenter tant pour les tomates fraîches que pour les tomates en conserve. Les tomates sont mises en boîte à la fin de la saison – septembre à mi-octobre – lorsque leur prix est au plus bas. Les résidus sont utilisés pour faire des ketchup (ou catsup).
Progressivement la qualité des tomates s’améliore afin d’assurer une meilleure hygiène et partant une meilleure conservation. Les consommateurs deviennent aussi plus exigeants. Ces ketchup sont caractérisées par un ajout important de sucre destiné à assurer la conservation et à contrebalancer l’acidité des tomates souvent récoltées vertes. Des préservateurs et des colorants sont utilisés jusqu’au début du XXe. Après il n’y en a plus. Ceci est permis par une sélection sévère des tomates et une utilisation de tomates rouges à maturité. Au XXIe les fruits sont généralement des hybrides dont chaque fleur doit être fertilisée manuellement.
La maison Heinz se développe rapidement après une première faillite et dès 1890 adopte sa célèbre bouteille octogonale. De nombreuses autres marques sont présentes mais l’industrie se concentre rapidement et Heinz devient le premier producteur de ketchup avec plus de cinq millions de bouteilles en 1905 et douze millions en 1907. L’industrie naissante continue de croître au début du XXe et est protégée des importations anglaises de ketchup de champignons et de noisettes par un tarif douanier de 40%.
En Europe la tradition de la ketchup aux champignons dure et existe encore en Angleterre à la fin du XXe. Mais les recettes de ketchup disparaissent des livres de cuisine dès Gouffé (1877) et Escoffier (1902). La distribution de la ketchup à la tomate s’accroît rapidement, peut-être en effet indirect de la présence de troupes américaines en Europe au cours de la seconde guerre mondiale.
En 2013, Warren Buffett (Berkshire Hathaway) et 3G Capital (Brésil) achètent H. J. Heinz – Heinz Beanz, Heinz Salad Cream, Heinz Ketchup et Worcestershire sauce – pour $28 milliards. Ils vont l’enlever de la cote et privatiser la société de Pittsburgh. 3G a déjà une position majoritaire dans Burger King, la chaîne de restauration rapide. Pour 3G c’est bien normal de s’intéresser aux sauces et d’investir dans Heinz qui produit 650 millions de bouteilles de ketchup!
Faites comme Warren Buffett, ayez votre propre ketchup ! Voici une bonne recette de tomato ketchup aux pommes publiée par Fergus Henderson, architecte, chef et propriétaire du célèbre restaurant St. John à Londres. Ouvert en 1995, il a eu une grande influence en promouvant la nouvelle cuisine anglaise et les produits locaux traités très simplement.
Pour préparer votre ketchup, faites mijoter 3,5kg de tomates, 1kg de pommes fruits, 6 oignons, 800g de sucre, 1 litre de vinaigre de malt (obtenu à partir du jus d’orge germée, il sert à aromatiser le fish and chips au Royaume-Uni), cayenne, poivrons, poivre de la Jamaïque et clous de girofle. Filtrez et mettez en bocaux stériles, attendez quelques jours et cette ketchup est prête à consommer. Ne la gardez pas trop longtemps une fois ouverte car notre expérience familiale suggère une conservation limitée !
En préparant vous-même votre ketchup, vous ferez ce que toutes les ménagères américaines pratiquaient au début de XIXe siècle aux Etats-Unis !
L’achat de Heinz par Warren Buffett consacre le triomphe de la « tomato ketchup » américaine sur la ketchup anglaise aux champignons. Un Empire a définitivement chassé l’autre. Le prochain combat des sauces sera celui de la ketchup américaine et de la salsa mexicaine qui ne cesse de monter. Il se vend plus de ketchup que de salsa en volume mais le prix unitaire de la salsa est supérieur et le volume des ventes aurait déjà dépassé celui de la ketchup.
François Brocard
4 mars 2013
[1] Sauce Harvey: mélange traditionnel de ketchup, soja indien, vinaigre, aïl, anchois, cayenne et rouge cochenille.
Auteur: François Brocard
Gastronome amateur. HEC et Harvard (MBA). Investment Banking à New-York, Paris puis Londres (Morgan Stanley 1968-1986 ; BNP 1986-1997). Passionné par la cuisine et l’histoire de la gastronomie française. Membre de clubs gastronomiques (Club des Cent, Académie de la truffe et des champignons sauvages, etc.). Contributions au Oxford Symposium on Food & Cookery (conférence sur « Authenticity and gastronomic films » 2005) et au Oxford Companion to Food (article « Film and Food » 2006).
touzinaud
17 juin 2017la cochenille, petit insecte, est utilisé dans le ket chup et dans la maturation des anchois
Von Inanitas Crastinus
12 mars 2013Ketchup vient de « ket chop » ? Ou de « catch up » ??
Apicius
30 août 2013Plutôt une origine chinoise suivant les auteurs. En fait je pense qu’on ignore et que l’on continuera d’ignorer l’origine. Hannah Glass écrivait déjà « Ketchup » dans « The Art of Cookery made plain and easy by a Lady » publié en 1747 à Londres (Chapitre XI, page 121).