19 septembre, 2019

La criminalité, outil essentiel de l’analyse

 

 

Lorsque je me rends dans un pays étranger, il y a deux lieux que je visite en priorité pour essayer de comprendre celui-ci : les supermarchés et les librairies. Les premiers permettent de comprendre comment les personnes vivent, les seconds comment elles pensent. Les rayons achalandés, les produits vendus, alimentaires et sanitaires, l’organisation même des supermarchés fournissent beaucoup d’informations sur la façon dont les personnes de ce pays ou de cette ville vivent et s’organisent. Quant aux librairies, elles permettent de comprendre les débats actuels, de voir quelles thématiques culturelles sont importantes, bref de prendre le pouls des débats d’idées. Leur présence plus ou moins nombreuse, ou leur absence est déjà un indicateur de la vivacité des échanges intellectuels.

 

Lecture de la presse locale et outils statistiques

 

Mais supermarchés et librairies, tout en offrant un panorama unique sur la société étudiée, restent limités à la face officielle, au monde visible. Il y a tout un pan de la société qui nous échappe alors, la face obscure, criminelle. Raison pour laquelle, pour compléter la compréhension d’un territoire donné, il faut aussi analyser la face sombre de celui-ci, par le biais de l’analyse de la criminalité. Crimes, meurtres, trafics de drogue, proxénétisme, mafias, etc. autant de thèmes souvent désolant, mais néanmoins essentiel pour appréhender une société. Aux supermarchés et aux librairies s’ajoute donc la nécessité de visiter les commissariats et les urgences des hôpitaux pour prendre la dimension de l’autre face de la société. Ces visites sont rarement possibles, mais d’autres outils permettent d’appréhender la criminalité d’un territoire.

 

Les journaux locaux sont ainsi beaucoup plus riches d’information que la presse nationale. Violences conjugales, crimes de sang, arrestation pour trafics, émeutes et caillassages de véhicules, la lecture de ces entrefilets peut devenir déprimante, mais c’est essentiel pour comprendre l’autre vie des sociétés, d’autant que ces faits sont rarement rapportés dans la presse nationale.

 

Brésil, paradis du crime

 

Autre élément statistique important, le nombre de décès par armes à feu et le nombre d’homicides, en valeur absolu et pour 100 000 habitants. Le site gunpolicy.org fournit ainsi tous ces renseignements, qu’il collecte auprès des pays. La limite de cet exercice est que ne figurent ici que les crimes recensés. Il est tout à fait probable qu’un certain nombre d’homicides ne soit pas déclaré, surtout dans les pays où le maillage statistique est moins dense. On peut néanmoins y apprendre beaucoup. Au Brésil, sous la présidence de Lula et de ses épigones (2003-2017), le nombre d’homicides est passé de 51 534 à 62 517. Ce qui donne un ratio pour 100 000 habitants de 28.39 à 30.37. Il y a davantage d’homicides au Brésil que dans un pays en guerre comme la Syrie. Ces données montrent l’échec de la politique de Lula, qui en plus d’avoir endetté son pays et bloqué son développement économique, a provoqué un accroissement sans précédent de la criminalité. Là réside la cause essentielle de la victoire de Jair Bolsonaro. Il a fait campagne sur la promesse de rétablir la paix civile et la sécurité dans les zones infestées par les meurtres. Lui-même a d’ailleurs manqué de peu d’être assassiné durant la campagne électorale.

 

Inutile de crier au complot et d’imaginer une confédération mondiale des populistes regroupant Orban, Salvini, Trump et Bolsonaro. Les Brésiliens n’ont pas voté en regardant l’Italie ou la Hongrie, mais leur rue : puis-je sortir sans me faire agresser ? C’est la demande normale de populations qui souhaitent d’abord que leurs hommes politiques assurent la protection des biens sur le territoire. Que Bolsonaro arrive ou non à rétablir la sécurité est un autre problème. Mais le facteur de la criminalité est essentiel pour comprendre l’état de déshérence du Brésil.

 

Un autre pays se porte mal : l’Afrique du Sud. Alors que le taux d’homicide pour 100 000 habitants était tombé à 33.22 en 2009, il ne cesse de croître depuis lors, atteignant 37.08 en 2017. Il y a plus de 20 000 homicides par an dans le pays.

 

Que ce soit au Brésil, en Afrique du Sud et ailleurs, les homicides ne sont pas tout. Il y a tout un spectre de la criminalité qui va de l’agression, avec ou sans coup, au viol et aux blessures graves. Ces agressions peuvent être très fortement traumatisantes pour les victimes et les poursuivre toute leur vie. Ces éléments ne rentrent pas dans les outils statistiques, mais ce sont autant de blessures faites à la société, sans compter la peur qui s’emparent des populations et qui limite ensuite leurs déplacements. Le coût économique et social de la délinquance est très fort pour les sociétés.

 

Le crime nuit au développement des pays et effraie les investisseurs potentiels. Ainsi, les dix villes les plus violentes au monde, c’est-à-dire celles où il y a le plus d’homicides, se trouvent toute en Amérique latine. Caracas, Acapulco, San Pedro (Honduras) sont les trois premières. En Inde, le prix de la violence a été estimé à 1 200 milliards de $, soit environ 600 $ par habitant et 9% du PNB. Aux États-Unis, la violence par armes à feu coûte 229 milliards de dollars, soit 12.8 millions par jour. Ces dépenses regroupent les traitements médicaux, les frais de justice, les frais de police, les incarcérations, etc. Il est en revanche difficile de chiffrer le manque à gagner de toute la richesse qui aurait été créée en l’absence de violence.

 

Criminalité numérique

 

Tout un nouveau pan de la criminalité concerne la criminalité numérique. Cela regroupe les arnaques en tout genre et les fishing incitant à donner de l’argent. Nous avons probablement tous reçu ces messages émanant d’amis qui nous expliquent qu’ils sont coincés dans un pays étranger après avoir perdu leurs papiers et qu’il faut leur envoyer de l’argent. Un beau cas d’escroquerie, assez efficace.

Il y a également le vol de données, soit par piratage soit par intrusion dans un ordinateur. Les salariés devraient être beaucoup mieux formés à ces questions, car ils font souvent preuve, par ignorance, d’une légèreté qui peut être très dangereuse. Par exemple le fait d’utiliser une adresse gmail ou outlook comme adresse professionnelle. Cela signifie que tous les messages sont stockés dans des serveurs américains et entrent donc sous le coup de l’extraterritorialité américaine. Même les messages supprimés continuent d’être stockés. Il existe pourtant des messageries qui proposent des adresses cryptées non basées aux États-Unis. Le fait de se connecter n’importe où avec son ordinateur en utilisant le réseau public est là aussi très dangereux, car il est facile de pénétrer dans l’appareil et d’en voler les données. L’usage d’un VPN, qui cache les adresses IP et sécurise les connexions est fortement conseillé. Il y a encore trop de personnes qui se connectent sur le réseau des gares et des aéroports, livrant leur smartphone à un potentiel vol de données. De la même façon que l’on apprend aux enfants à traverser la rue et à ne pas suivre les étrangers, il faut apprendre aux professionnels les risques de la cybersécurité et les façons de s’en prémunir.

 

Politique de la ville et criminalité

 

Les villes se gardent bien de communiquer leurs chiffres de la délinquance, surtout quand ils sont mauvais. Grenoble est ainsi devenue la première ville du crime en France. Plaque tournante du trafic de drogue et des armes, c’est là qu’il y a le plus de morts par balle en France, devant Marseille. Les violences contre les personnes ont augmenté de plus de 20% en 2018, à tel point que les syndicats de policiers ont parlé de la ville comme d’un « Chicago français ». En 2017, le procureur de la République, Jean-Yves Coquillat, avait eu des mots très directs : « Je n’ai jamais vu une ville de cette taille aussi pourrie et gangrenée par le trafic de drogue. […] Pas un quartier n’est épargné par ces trafics qui sont à l’origine de la violence qui sévit ici. »

 

Irénisme de certains maires, pour d’autres refus idéologiques de lutter contre les causes de la délinquance, de nombreuses villes de province, autrefois calmes, sont en train de sombrer. C’est le cas de Nantes où, sont l’effet Notre-Dame des Landes, le centre-ville est en train de devenir une ZAD. L’accueil de migrants dans des gymnases et des tentes plantées en centre-ville n’a pas amélioré la situation. Comme le trafic de migrants est, pour une grande partie, organisé par les mafias, celles-ci profitent de l’implantation de ces populations pour développer leurs activités très lucratives. Drogue, proxénétisme, vols, tout cela prospère sur un terrain favorable, au détriment des populations locales. Ainsi vont les choses aussi à proximité de l’ancienne jungle de Calais, qui a certes été démontée, mais qui est toujours en activité, de façon informelle. Les populations locales subissent les nuisances des dégradations et des mafias. Les pouvoirs publics ont plutôt bien réussi à juguler la grande criminalité (il n’y a ainsi plus d’attentat en France), mais ils ont échoué dans le contrôle de l’insécurité quotidienne, qui ne cesse de croître. Or ces coups de canif répété et régulier contre la sécurité finissent par déchirer un tissu social français qui est déjà fort fragile.

 

 

 

 

 

 

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

4 Commentaires

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

  • Jerome Pedreno

    27 septembre 2019

    Comme disait Bastiat il y à ce qui se voit et ne se voit pas, et comme avec un iceberg il me semble que 90% des effets sont souvent logés sont dans la partie qui ne se voit pas.

    En l’occurrence la criminalité engendre une perte de confiance dans la loi qui crée comme une pente naturelle mentale et culturelle vers le bas. Cet effet invisible agît comme un cercle vicieux qui empêche de nombreuses sociétés de s’élever, génération après génération.

    Et ceci pose donc la question d’une hiérarchie culturelle, à laquelle le relativisme repentant des gauchistes occidentaux se heurte de plein fouet. Pour ma part je n’ai aucune de ses pudeurs, et je préfère nettement être né et vivre en France qu’en Somalie. L’occident est la pire des civilisations à l’exception de toutes les autres, comme disait le duc de Marlborough, et l’étude de la ciminalité le montre de façon flagrante.

    Et c’est aussi pour cela que je suis fort mécontent de voir la Somalie par trop venir à nous..

    Répondre
  • vasionensis

    25 septembre 2019

    Article intéressant mais, dans le titre, « paramètre » aurait mieux convenu qu' »outil ».

    Répondre
  • Kerdrel (de) Arnaud

    20 septembre 2019

    Bravo pour ce papier de qualité ! Quand ferez-vous un papier sur l’art et la manière de sauver la confidentialité des données d’un smartphone. Par exemple où héberger son carnet d’adresses pour pouvoir en cas de perte du smartphone pouvoir les récupérer après rachat d’un nouveau smartphone. Que prendre comme messagerie mail qui soit infracturable etc…Bref un bon papier sur l’art et la manière de se sortir des mains des « marlous » de toute espèce.

    Répondre
  • Dyr'

    19 septembre 2019

    Grenoble…
    Ma ville natale et je veux y retourner, pas nécessairement Grenoble même mais tant je ne me sens pas en sécurité ni chez moi à Lyon, plus exactement à Villeurbanne, ceux qui connaissent diront que tout est dit. Et encore, j’habite dans le quartier juif, celui où l’immobilier monte.

    Un autre baromètre que j’y ajoute pour démasquer le maquillage des chiffres de la délinquance est l’immobilier et le cas de Grenoble est intéressant:
    L’agglomération a vu le prix de l’immobilier accuser une baisse de 13% de 2007 à 2017. Mais c’est une moyenne sur l’agglomération, à Meylan et Corenc la belle banlieue, ça a continuer à monter. Ce qui veut dire qu’il y a des endroits où ça a baissé plus que de 13%. Et je peux vous assurer que ces endroits sont des quartiers d’Echirolles, Saint-Martin d’Hères, etc, et notamment le quartier Mistral où des émeutes ont eu lieux en mai suite à la mort de deux délinquants qui se sont tués sur un scooter volé pour en tentant d’échapper à un contrôle de police…

    Mais là où la situation passe de intéressante à passionnante, c’est quand on fait rentrer dans l’équation la hausse de l’immobilier EN DEHORS de l’agglomération proche. Il est ainsi aussi cher si ce n’est plus de se loger dans la vallée du Grésivaudan qu’à Grenoble même, Idem avec l’Est Lyonnais et le Nord Isère.

    L’insécurité remet de temps à autre la question de la Légitime Défense en France, qui est complètement à la rue et outrageusement en faveur des agresseurs. Le port d’arme citoyen aiderait beaucoup car il transformerait le citoyen victime potentielle en primo-intervenant, mais ceci est un autre sujet et je ne me fait pas d’illusion, les dictatures désarment leur peuple.

    En même temps que j’écris ces lignes, je réécoute l’émission BFM de Nicolas Doze avec Charles du 7 octobre 2016. Les intervenants rappellent « le poids astronomique du tourisme dans l’économie française » et que les questions de sécurité nous reviennent dans la face.

    Concernant « les coups de canifs », il y a une doctrine terroriste très bien rodée en ce sens, loin de moi l’idée que l’insécurité soit du fait de Al-Quaïda ou daech, c’est la stratégie des milles entailles.
    Plutôt que de déployer une logistique impressionnante pour faire de grands attentats qui peuvent être mis en échec durant leur préparation sur de micro-détails, on ordonne à des « loups solitaires » (comme disent les israéliens) de frapper ici et là partout en tout temps, un nombre suffisant de coups, fera à terme s’effondrer la bête.

    Répondre

Me prévenir lorsqu'un nouvel article est publié

Les livres de Charles Gave enfin réédités!