6 octobre, 2023

La Corse et l’espace français

En annonçant, devant l’Assemblée de Corse, qu’il voulait accorder une autonomie à l’île et reconnaitre l’existence d’un « peuple corse », Emmanuel Macron a repris à son compte la rhétorique nationaliste, qui est loin d’être partagée par tous les habitants de l’île. Ce discours ouvre plusieurs problèmes et manque singulièrement de hauteur de vue.

La reconnaissance d’un peuple corse tout d’abord. Comment le définir ? Est-ce le fait d’être né en Corse, de parler le corse, d’être de « race » corse ? On notera la contradiction qui consiste à penser qu’il existe un peuple corse (donc l’essence d’un peuple) et en même temps que tout le monde peut devenir Français (donc qu’il n’y aurait pas d’essence française). S’il y a reconnaissance d’un peuple corse, pourquoi ensuite ne pas reconnaitre l’existence d’un peuple alsacien, breton, aveyronnais, mais aussi comorien, algérien, malien. La chose est possible, mais elle est en contradiction flagrante avec l’idée républicaine d’universalisme.

Deuxième problème, la question de l’autonomie. Chacun aura compris de quoi il s’agit puisque, in fine, ce sont toujours les questions d’argent qui l’emportent. L’autonomie c’est « les Corses décident, les Français payent ». Il n’est pas évident que cela soit accepté par les Français du continent. Avec 350 000 habitants, la Corse est aussi peuplée que la ville de Nice, mais bien moins que la métropole niçoise (près de 900 000 habitants). C’est aussi l’équivalent du 15e et du 16earrondissement parisien, mais pour une surface géographique beaucoup plus grande et beaucoup plus complexe à aménager. La Corse, comme toutes les régions françaises exceptées Rhône-Alpes et l’Île-de-France, reçoit plus d’argent de l’État qu’elle n’en donne. En moyenne, au titre de la redistribution et de l’aménagement du territoire,  chaque Corse reçoit 1 138€ par an. Ce qui ne met pas la Corse parmi les régions qui reçoivent le plus (Mayotte, La Réunion, la Martinique, le Limousin sont largement devant), mais ce qui signifie malgré tout que, dans le rapport des transferts financiers, la Corse reçoit plus qu’elle ne donne. Ce que comprennent bien les nationalistes qui savent qu’ils ne peuvent pas se passer de l’argent de la communauté nationale.

Fractures des autonomistes

Après avoir longtemps été opposé aux autonomistes, Emmanuel Macron a finalement décidé de soutenir Gilles Siméoni, le président de l’Assemblée de Corse, en validant l’ensemble de son discours. Mais c’est faire fi d’une fracture de plus en plus forte au sein des autonomistes entre l’ancienne et la nouvelle génération.

L’ancienne génération est restée sur un logiciel mental tiers-mondiste, associant l’État français à une puissance coloniale contre laquelle il convient de lutter. Pour cela, il est possible de s’associer avec les autres peuples opprimés par des puissances coloniales. D’où le fait que Siméoni soit favorable à l’accueil des migrants passant par la Méditerranée et que bon nombre de ses idées sont reprises du logiciel intellectuel d’extrême gauche. Un positionnement politique que l’on retrouve chez les nationalistes bretons, eux aussi d’extrême gauche, y compris en matière migratoire.

La nouvelle génération est au contraire sur une ligne plus identitaire, considérant que le migrant musulman ou subsaharien est davantage un adversaire que le touriste du continent. La fracture est apparue au grand jour lors de l’assassinat d’Yvan Colonna par un Camerounais djihadiste qui avait fait le coup de feu en Afghanistan. Pour les nationalistes seniors, le coupable était l’État français. D’où les nombreux tags apparus sur les routes de Corse « État français assassin ». Pour les nationalistes juniors, le coupable était un djihadiste, d’où leurs manifestations devant des mosquées. Cette divergence d’interprétation a donné lieu à plusieurs scissions, intellectuelles d’abord, politiques ensuite.

Le panier de la ménagère

En insistant sur l’autonomie, Emmanuel Macron camoufle les véritables problèmes de la Corse. C’est toujours l’idée, souvent fausse, que les problèmes politiques seront résolus par des réformes de structure.

Les vrais enjeux de la Corse, c’est l’accès à l’eau potable, l’accès à une énergie abondante et peu chère (toujours compliqué pour une île), la présence médicale pour accéder à des soins importants (mieux vaut aller se faire soigner à Nice ou à Paris qu’à l’hôpital d’Ajaccio), la gestion des déchets, les transports (il y a de nettes améliorations, mais les communications demeurent difficiles en zone montagneuse). Bref, le quotidien de la vie des populations.

L’accès au logement est un autre sujet. Les résidences secondaires des « Parisiens » sont toujours accusées d’être responsables de la montée des prix de l’immobilier, oubliant que la plupart des résidences secondaires sont possédées par des Corses vivant sur l’île (typiquement des habitants d’Ajaccio et de Bastia qui ont une maison de famille dans la montagne ou dans un village du littoral). Ou bien des Corses vivants sur le continent (à Nice, Marseille ou Paris) et qui conservent une résidence familiale secondaire pour les vacances. S’il y a un problème d’accès au logement, il faut pouvoir construire plus de logements et non pas rationner le parc existant.

Emmanuel Macron n’a rien dit non plus sur la violence qui frappe l’île. L’augmentation du trafic de drogue, les dérives mafieuses de certains politiques, les gangs criminels. Il n’y a pas de raison que cela soit une spécificité corse et les Corses eux-mêmes doivent pouvoir vivre dans un état de droit.

Rien non plus sur la culture, avec seulement une mention sur la langue. La grande idée des nationalistes c’est que la culture corse se limite à la langue corse. Ce qui est bien évidemment faux. D’une part parce qu’il n’existe pas une langue corse, mais des langues corses : le corse diffère selon les régions, les vallées, les villes. La langue parlée à Bonifacio n’est pas celle de Sartène ou de Corte. Réduire la langue corse à un singulier c’est nier sa richesse et sa diversité. La langue corse doit s’apprendre dans les familles et non pas à l’école qui a tendance à l’uniformiser et à assécher sa richesse.

Deux jours après la visite d’Emmanuel Macron, un autre événement d’envergure avait lieu pour les Corses, la création comme cardinal de l’évêque d’Ajaccio. Cela faisait cinq siècles qu’il n’y avait pas eu de cardinal titulaire en Corse, d’où la grande joie qui a saisi toute l’île. Tous les élus importants de l’île se sont rendus à Rome pour l’occasion, accompagnés de nombreux Corses et de nombreuses confréries. Cela a permis de rappeler les liens séculaires entre la Corse et Rome, le pape ayant longtemps eu une garde corse comme il a aujourd’hui une garde suisse. Au-delà des discours, c’était la manifestation vivante et vécue de la véritable culture corse. La cérémonie s’est achevée dans l’église des Corses, située dans le quartier du Trastevere, où fut chanté le Dio vi salvi regina, officiellement adopté comme hymne de la Corse en 1735.

Absence de vision stratégique

Dans son discours à l’Assemblée, Emmanuel Macron n’a pas pris trop de risque puisque le changement de statut est conditionné à un référendum ou un vote du Parlement et il sait bien qu’il n’aura pas la majorité. Il a donc fait une promesse qu’il ne peut pas tenir. Il eût été plus malin de présenter un véritable projet pour la Corse et de réfléchir à la dimension géopolitique que l’on veut donner à cette île française en Méditerranée. Mais comme pour la Nouvelle-Calédonie ou les Antilles, il n’y a aucune vision globale, seulement un traitement social des problèmes politiques, c’est-à-dire par l’octroi de subventions. Des subventions qui permettront aux autonomistes d’acheter des relations, via les emplois publics et la redistribution. Ce qui va toujours à l’encontre du développement et de l’état de droit.

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

2 Commentaires

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  • JEAN-FRANCOIS TORRESI

    29 octobre 2023

    Macron est un fumiste

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  • Robert

    11 octobre 2023

    Il n’ y a actuellement aucune vision géopolitique d’envergure pour la France, comment voulez-vous qu’il y en ait une pour la Corse ?
    Le statut et l’ évolution de l’ île sont un problème récurrent qui ne sera pas réglé alors que le pays lui-même s’ enfonce dans le déclin dans des domaines régaliens : la santé, l’ éducation notamment…

    Répondre

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