Depuis l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre dernier, beaucoup a été dit et souvent des choses très justes. Pour éviter le double écueil de répéter ce qui a déjà pu être dit de bien ailleurs et de commenter une actualité pour laquelle on manque encore de recul puisque les événements sont en cours, il me semble intéressant de désaxer la réflexion pour évoquer le cas de l’Égypte, qui est particulièrement concerné par la guerre en cours à Gaza. Or ce pays n’est que trop peu évoqué depuis samedi. Le propre de l’analyse géopolitique est de réfléchir à plusieurs échelles. Si on prend ici une échelle régionale, l’Égypte apparait comme un maillon faible à surveiller de près.
Le voisin de Gaza
Il n’aura en effet échappé à personne que l’Égypte dispose d’une frontière avec la bande de Gaza, d’environ 11 km. Petite frontière certes, mais lourde de conséquences. L’Égypte est donc aux premières loges des affrontements en cours et pourrait en subir des dégâts collatéraux. La bande de Gaza est peuplée de 2.3 millions d’habitants dont une partie va probablement fuir les bombardements israéliens et la guerre terrestre projetée par Tsahal. Le seul pays où ces populations peuvent fuir, c’est l’Égypte, qui doit donc se préparer à accueillir des réfugiés dans une zone géographique, le désert du Sinaï, qui est aride et peu accueillante. Or le pays ne dispose pas des capacités humanitaires et techniques pour recueillir une vague migratoire de réfugiés de Gaza. Les migrants palestiniens ont déjà déstabilisé tous les voisins d’Israël : la Jordanie, où ils se sont installés en masse après 1948 et qui aboutit au conflit de septembre noir en 1970, quand la monarchie hachémite voulut reprendre le contrôle de ses territoires ; au Liban, où une partie des réfugiés ont fondé le Hezbollah et ont contribué à accroître la fragmentation d’un pays déjà enfoncé dans la guerre civile. L’Égypte n’a nullement envie de recevoir sur son sol des dizaines de milliers de Gazaouites fuyant les combats, qui pourraient ensuite créer des camps d’abord provisoires puis définitifs, avec exportation de l’idéologie islamiste et des troubles politiques et sociaux des Arabes de Palestine.
Depuis samedi, les contrôles militaires ont été renforcés dans le Sinaï et au Caire, les patrouilles sont beaucoup plus nombreuses. Il faut dire que la situation politique de l’Égypte est fragile et pourrait facilement se renverser.
Un pharaon aux pieds d’argile
L’image est facile et souvent trop employée, mais il n’empêche que l’Égypte est un géant aux pieds fragiles. Sa population ne cesse de croître, ayant dépassé les 100 millions d’habitants aux débuts des années 2020. Une population qui s’entasse essentiellement le long du Nil et dans les villes d’Alexandrie et du Caire, que le gouvernement est en train de réaménager en profondeur pour tenter de contrôler l’extension continue de la capitale.
Comme les autres pays, l’Égypte subit une forte inflation qui renforce la pauvreté et accroît le mécontentement social. Or des élections devraient bientôt se tenir, qui pourraient voir une opposition populaire se structurer contre le maréchal al-Sissi. L’armée égyptienne, qui contrôle le pays depuis les années 1950, n’a aucune envie de renouveler l’expérience dramatique du gouvernement par les frères musulmans (Mohammed Morsi, 2012-2013). Morsi avait été démocratiquement élu dans le contexte des printemps arabes et du renversement de Moubarak. Son gouvernement fut bref : pour éviter la prise de pouvoir par les islamistes, l’armée égyptienne organisa des manifestations populaires à son encontre puis le renversa un an à peine après sa prise de fonction. Ni al-Sissi ni les dirigeants égyptiens ne veulent voir revenir les frères musulmans à la tête du pays. Or le Hamas fut fondé en 1987 par des membres des frères musulmans et, même si l’organisation est financée par l’Iran et le Qatar, elle conserve de solides liens en Égypte.
Outre l’inflation des matières premières et du pétrole, la guerre à Gaza pourrait se révéler nuisible pour le tourisme en Égypte, l’un des piliers essentiels de son économie. Dimanche, un policier égyptien a ainsi abattu deux touristes israéliens et leur guide égyptien à Alexandrie. Un attentat qui pourrait faire fuir les touristes généralement très présents en automne, quand les températures sont plus clémentes. Outre Alexandrie et les sites historiques de la vallée du Nil, c’est aussi le Sinaï qui est fragilisé, la région concentrant de nombreuses stations balnéaires, notamment pour la plongée. Il serait gravissime pour l’Égypte que l’activité touristique cesse. Ce serait un coup très dur contre son économie et un facteur majeur de montée du chômage et donc de la pauvreté. Et donc un boulevard pour les frères musulmans, qui pourraient en plus s’appuyer sur les réfugiés de Gaza pour maximiser leur retour au pouvoir. Autant dire que le gouvernement égyptien suit cela avec une très grande vigilance.
La question de la frontière de Gaza
On en saura probablement plus dans quelques semaines sur la façon dont le Hamas a conduit son opération du 7 octobre, qui a démontré une très grande capacité d’organisation et de coordination. Il a non seulement réussi à déjouer la sécurité et l’armée israéliennes, mais il a de plus conduit une opération sur plusieurs fronts, ce qui est toujours difficile, avec parachutages en ULM et infiltration via la mer, la terre et les airs. Nous sommes très loin d’une petite organisation terroriste. Le Hamas a réussi une opération militaire digne d’un État structuré et organisé, disposant d’une réserve militaire profonde et de stratèges capables de concevoir un plan d’attaque et de s’y tenir. Les massacres des civils et des enfants démontrent sa cruauté mais aussi sa compréhension de l’émotion internationale et des ressorts de celle-ci. Le combattre est donc autrement plus ardu que lutter contre des groupes terroristes au Sahel.
La surprise et l’effroi passé, il faudra que les armées occidentales, et notamment la France, étudient le mode opératoire du Hamas tant il y a à apprendre pour déjouer des attaques futures. Mais le Hamas n’a pu agir seul. Se pose alors la question de ses financements et de ses approvisionnements. Et c’est là que l’Égypte redevient importante. Il est tout à fait possible qu’une partie de l’armement soit passée via la frontière égyptienne. Si cela était le cas, cela signifierait qu’elle n’est pas correctement gardée, ou bien que l’Égypte a vu, mais a laissé faire. Tsahal a d’ailleurs bombardé le poste-frontière entre Gaza et l’Égypte pour débuter le blocus de la bande, prélude à son attaque terrestre. Les services secrets égyptiens ont d’ailleurs prévenu les Israéliens d’une attaque prochaine du Hamas, ce qui n’a pas été suivi d’effet. Le Hamas dispose d’un bureau de liaison au Caire qui a déjà, par le passé, servi pour des échanges discrets et des négociations avec Tel Aviv. L’Égypte pourrait de nouveau servir de courroie de relais même s’il est peu probable, au moins dans un premier temps, que des négociations soient envisagées.
Compte tenu de sa démographie, de sa fragilité économique, de sa situation géographique, l’Égypte est donc un pays inquiétant à surveiller et à soutenir. Il serait catastrophique pour le Proche-Orient, la Méditerranée et l’Europe, que le pays s’effondre sous l’effet des conséquences de la guerre à Gaza. Or c’est aujourd’hui le pays qui suscite le plus de crainte et qui doit donc susciter le plus d’attention.
Auteur: Jean-Baptiste Noé
Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).
JIM
15 octobre 2023le HAMAS , DAESH , AL NOSTRA sont ou ont été financés et équipés par la CIA et le Mossad.
Ils sont les alliés objectifs d’ISRAEL pour nous cliver avec les musulmans modérés et exporter ainsi l’intifada en occident .
En AFRIQUE çà ne marche plus , car les gouvernements locaux ont compris que les occidentaux ne luttaient pas vraiment contre l’EI, et donc ils nous virent !
Tout ceci afin d’aboutir au gouvernement mondial.
On entend de ci de là des porteurs de bonne parole préconiser une instance supérieure (cf Th. de MONTBRIAL au micro de S. MABROUK sur Europe 1) et d’autres , tous liés au Bilderberg bien sûr.
Blondin
18 octobre 2023@JIM vous avez oublié les extra-terrestres, le Protocole des Sages de Sion, les Illuminati et la IIIème internationale 😉
Philippe
14 octobre 2023Ce deuxième conflit régional après l’Ukraine s’inscrit dans l’extension mondiale de cette 3eme guerre mondiale . Biden joue sa reélection ou celle de son successeur démocrate ( Gavin Newsom de Californie ) donc il est nécessaire pour lui de soutenir fortement Israel faut de quoi il sera accusé d’avoir flanché comme en Afghanistan. Le conflit ne menacera pas l’Egypte ou le président Al Sissi incarne la volonté de l’armée de rester au pouvoir . L’Egypte a aussi le souci de la pénétration turque en Libye. Non le mailllon faible c’est le Liban qui est gangrénè par l’Iran et le hizbollah . De fait c’est l’Iran qui va décider ou pas de faire passer ce conflit de Gaza a la dimension régionale avec une attaque contre israel depuis le Liban . La Russie a tout interet a créer un second conflit régional pour diviser les pays de la région entre pro-occident et attentistes . Si Biden est determiné a soutenir Israel pour éliminer le hamas et libérer les gazaouis de leur géoliers islamistes il peut renverser le dèclin de l’influence américaine dans le moyen-orient . De fait la réussite tactique de l’incursion de Hamas a été annulée au plan politique par ses crimes atroces sur les femmes, enfants et civils pris en otages .Après ces crimes Israel a carte blanche morale , pour en finir une fois pour toutes avec Hamas .Pour le moment le porte avions Gérald Ford débarque des munitions a Haifa et le secretaire a la défense Lloyd Austin est a Tel Aviv . Si Biden fléchit c’est tout le moyen-orient qui va glisser du coté Russie-Chine . La mise sur le tapis est stratégique , qui perd ici perd toute la région . L’Iran le sait et pourrait se lancer dans la surenchère contre Israel. Armageddon serait proche . Biden a t’il bien saisi la portée de l’enjeu ?
Michel Higuet
14 octobre 2023Quelle générosité ces pays occidentaux d’avoir donner en 1948 le pays d’un autre pour créer l’Etat d’Israel… de 5% à 85% aujourd’hui et ce n’est pas fini… « Les migrants palestiniens ont déjà déstabilisé tous les voisins d’Israël » faut oser l’écrire…
Philippe
14 octobre 2023Le pays d’un autre ? Sans blague , lisez Constantin de la Giraudais, Marquis Volney » voyage en Egypte et Syrie » 1823 .
Dr Slump
15 octobre 2023Quelle pitié de devoir répéter, encore et encore, au point que c’en devient harassant que historiquement la palestine n’est pas un pays, n’est pas une nation, et les palestiniens pas un peuple « historique ». La Palestine, c’est à l’origine une région, faiblement peuplée, un quasi-désert dont on ne parlait même pas. Parler de peuple palestinien c’était à l’origine comme parler de nation de la Creuse : une idiotie.
Maintenant, aujourd’hui, le problème palestinien n’en est pas moins réel, mais a été complètement fabriqué et instrumentalisé pour conduire au chaos inextricable dans lequel sont plongés des habitants pour la plupart innocents, et aspirant à vivre en paix.
Steve
13 octobre 2023Bonsoir M. Noé
Peu de commentateurs ont cité l’accord conclu en juin 2023 entre Israël, l’Autorité Palestinienne et l’Egypte pour l’exploitation du gisement de gaz naturel situé au large de Gaza , qui de ce fait appartient juridiquement aux Palestiniens.
Ce gisement peut largement suffire aux besoins énergétiques de la Palestine et en plus donner lieu à des exportations vers l’Europe…..
Quand on sait que le Hamas et l’Autorité Palestinienne se détestent férocement et qu’Israël a longtemps favorisé le Hamas pour saper l’Autorité Palestinienne, on prend conscience de ce que Charles de Gaulle pouvait vouloir signifier par « l’Orient compliqué »
Cordialement
Théo
13 octobre 2023Après le chaos sanitaire, le chaos financier, voici venu l’heure du chaos géopolitique. Ils le veulent ce grand reset, et par tous les moyens.
mempamal
15 octobre 2023le Hamas en guest star á Davos, ça aurait de la gueule.