8 septembre, 2023

Géopolitique du rugby

Chaque profession a ses biais cognitifs et ses habitudes de pensée ; une façon de voir le monde, qui le distingue des autres professions. Le géopolitologue a ainsi pour déformation quasi professionnelle de tout vouloir mettre en carte et de penser les phénomènes à l’aune des représentations territoriales et des logiques spatiales.

La coupe du monde de rugby, qui se tient pour la première fois exclusivement en France, offre un bon terrain de jeu pour cette cartographie.

Le célèbre hebdomadaire du rugby Midi Olympique, a publié sur son site Rugbyrama la liste des clubs formateurs des 33 sélectionnés de la coupe du monde. Une liste instructive pour dresser une géographie du rugby, non pas celle des grands clubs de l’élite, mais celle des clubs plus modestes qui jouent néanmoins un rôle fondamental dans la formation de la jeunesse[1]. Ce sont les clubs où tout a débuté pour ceux qui ont aujourd’hui l’honneur de porter le maillot français.

Cette liste dessine plusieurs pôles du rugby français.

Un pôle Pyrénées (Baille, Ollivon, Dupont, Lucu, Hastoy) ;

Un pôle région toulousaine (Marchand, Aldegheri, Cros, Ramos) ;

Un pôle Languedoc (Wardi, Vincent) ;

Un pôle Gers (Bourgarit, Jelonch, Alldritt) ;

Un pôle Pacifique, qui inclut la Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna, la Nouvelle-Zélande (Mauvaka, Atonio, Falatea, Jalibert) ;

Un pôle Provence (Gros, Fickou, Jaminet) ;

Un pôle Île-de-France, incluant Massy, Bobigny, Paris (Woki, Macalou, Danty) ;

Un pôle Isère (Taofifenua, Bielle-Biarrey) ;

Des personnalités à part, formées dans d’autres pays ou régions (Belgique, Afrique du Sud, Angers, Lyon, Limoges, Brive, Calvados).

Sans surprise, le grand sud-ouest, des Pyrénées au Languedoc, a formé 14 des 33 joueurs, soit 42% de l’équipe. Si on y ajoute tous les joueurs formés au sud de la Loire, le total des sudistes monte à 20 joueurs, soit 61% du XV de France. Hormis Gabin Villière, formé dans le Calvados, les nordistes viennent du pôle Grenoble, dont le club a longtemps été en Top 14 et de l’Île-de-France, c’est-à-dire Paris et environ. Le rugby est plus que jamais un sport du sud. Aucun joueur n’est originaire de Bretagne (alors même que plusieurs clubs se débrouillent bien), d’Alsace, de Picardie, du Val de Loire (hormis Angers). En France, la géographie du rugby ne recoupe pas celle du football : ce ne sont pas les mêmes régions, les mêmes sociologies, les mêmes centres de formation.

Une géographie historique

Cela s’explique en partie par l’histoire. Les premiers clubs de rugby français sont créés dans le nord, sous l’influence des Anglais : Le Havre (1872), le Racing club de France (1882), le Stade français (1883). Puis Bordeaux (1885), toujours sous l’influence de l’anglomanie. Vient ensuite le Stade toulousain (1899). Le rugby est un sport d’étudiant qui se diffuse dans les universités, à une époque où seule l’élite de la nation va à l’université. Ernest Wallon (1851-1921), qui a donné son nom au stade de Toulouse, était juriste et professeur de droit à l’université de Toulouse. Pour la saison 2021/2022, le maillot de Toulouse pour la coupe d’Europe s’inspirait de l’esthétique de la toge universitaire, avec col et rabat dessiné sur l’avant.

Alors que le football s’est diffusé dans les villes ouvrières, souvent à l’initiative des patrons afin d’encourager leurs ouvriers à pratiquer du sport et à s’aérer, le rugby fut le club de l’élite intellectuelle et des milieux universitaires. D’un côté, Saint-Étienne, Sochaux, Lens, Auxerre, de l’autre Bordeaux, Racing, Toulouse. Deux histoires, deux sociologies, deux trajectoires différentes. Puis le rugby s’est de plus en plus diffusé dans les campagnes, par opposition au football qui était un sport des villes. Mais là aussi, bien souvent, les clubs de rugby sont issus de clubs sportifs créés dans les lycées ou par des notables. C’est le cas notamment de Perpignan et de Lourdes, qui a dominé le rugby des années 1950-1960.

Marqué par une dimension identitaire régionale et par une culture propre, le rugby a fait oublier ses origines urbaines et nordistes pour être associé aujourd’hui au sud et au terroir, ce qui n’est pas tout à fait conforme à son histoire. Il a pourtant la prétention de rassembler tous les Français, ce que semble confirmer les très bons scores d’audience des derniers matchs du XV de France. Il serait néanmoins intéressant de connaitre les audiences par région pour voir si ce sport intéresse aussi en dehors de ses zones historiques.

Une nouveauté : le rugby du Pacifique

Depuis une quinzaine d’années, le rugby français est caractérisé par l’arrivée massive de joueurs venus du Pacifique, notamment Wallis-et-Futuna et la Nouvelle-Calédonie. Quatre au total dans ce XV de France, auxquels ont peu ajouté Romain Taofifenua, certes formé en Isère, mais issu de Wallis. Le cas Jalibert est intéressant : son père étant militaire, il a passé son enfance en Nouvelle-Calédonie où il a découvert ce sport et commencé à le pratiquer.

C’est Willy Taofifenua, qui est le premier de la famille à être venu en métropole, en 1989, pour jouer au Stade montois. Il fut ensuite rejoint par un frère cadet puis des cousins. Les enfants du clan « Tao » sont aujourd’hui une dizaine à jouer en Top 14, dont plusieurs ont honoré des capes nationales. À quoi s’ajoutent d’autres joueurs du Pacifique, repéré dans leur jeunesse et venu en métropole pour leur formation, comme Peato Mauvaka. D’un point de vue rugbystique, ces joueurs apportent leur gabarit imposant et leur puissance. D’un point de vue politique, même si ce n’est pas un élément qu’ils actionnent et mettent en avant, ils sont les représentants de la France polynésienne. Cette partie de la France ignorée de bien des Français, dont les péripéties de l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie n’ont passionné presque personne et dont les territoires sont souvent inconnus. Le sport doit rester le sport et il est toujours très malsain de vouloir y introduire de la politique. Néanmoins, leur présence dans le XV de France contribue à mieux insérer ces territoires dans la nation française et à leur donner une visibilité. La tradition rugbystique diffusée à partir de la Nouvelle-Zélande vers les Tonga et les Fidji a ainsi touché les territoires français de Polynésie. C’est donc un curieux cocktail de local et de global, de terroir et d’international qui compose ce XV de France. Reste à espérer qu’il réussisse le à dominer le monde.

[1] https://www.rugbyrama.fr/2023/08/21/coupe-du-monde-de-rugby-2023-xv-de-france-decouvrez-les-premiers-clubs-formateurs-des-33-francais-selectionnes-par-galthie-11406724.php

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

5 Commentaires

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  • Philippe

    11 septembre 2023

    Quand les politiques français se mélent de rugby ils sont les champions du monde du ridicule ; Clementine Autain trouve le Haka trop masculin ; elle ignore que les joueuses du XV fémini de NZ poussent le meme Haka. Le LFI Louis Boyard a trouvé que l’equipe de France n’etait pas assez créole a ses yeux ! Les polynésiens ne sont pas maghrébins et tant pis pour les oeuilléres de LFI . Macron qui nous sature depuis trop longtms a reçu des sifflets … fallait pas etre malin pur le prévoir . La pseudo-droite comme d’habitude est nulle , absente , transparente, elle a honte de ses racines . Le bon temps de Pompidou recevant Dauga et Spanghero et le XV du 1er grand chelem est oublié.

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  • LAFFONT

    11 septembre 2023

    Bonjour Jean-Baptiste,
    La région d’OC est une terre d’ovalie. La culture du rugby est très forte et la population a conservé son identité et son accent.
    Comme le souligne Daniel HERRERO, le football est un sport de gentlemen joué par des voyous alors que le rugby est un sport de voyou, joué par des gentlemen!

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  • H.

    9 septembre 2023

    Bonjour,

    Intéressant. Vous oubliez de préciser que jusqu’à la seconde guerre mondiale, le vrai rugby, c’est le rugby à 13, le jeu à 15 étant réputé être celui des ploucs et des cils-terreux. Dans les années 30, l’équipe de France (jeu à 13) a effectué une belle et longue tournée, bateau oblige, dans l’hémisphère sud. C’est sous Vichy que le jeu à 15 a été imposé, le jeu à 13 se voyant même interdire l’emploi du terme rugby. Il n’en reste pas moins que ces jeux restent auréolés d’un aura de bonnes manières dont le football pourrait largement s’inspirer.

    Bonne journée

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  • Philippe

    8 septembre 2023

    Le rugby actuel n’a plus rien a voir avec le jeu merveilleux aéré , inspiré , fluide et spectaculaire des années 50 a 80. Le rugby actuel est une lutte de terrassiers qui creusent une tranchée pour s’approcher de la ligne d’essai . Des gros paquets de bovins bourrés d’hormones de croissance, font se mouvoir des monstres de 130 kg a batailler 80% du temps dans un carré de 4 x 4 m . Il reste 20% du temps pour envoyer la balle aux arriéres qui ont de 5 a 8 metres pour courrir, percuter, fixer, regrouper les boeufs et recommencer . Guerre d’usure, guerre de tranchées , un coup de pied habile peut donner le ballon en bout d’aile , ou un 3/4 fluet de 110 kg fera un plongeon pour marquer . Le professionnalisme a tué l’esprit du rugby , les règles anglo-saxonnes de l’IRB ont achevé d’enterrer le joli jeu. Le rugby actuel n’ est pas encore du football américain grace au passage en arrière mais cela aussi devra disparaitre . Si les dirigeants du rugby actuel avaient deux grammes de jugeotte , ils devraient créer des ligues d’ équipes selon les catégories de poids sur le modèle de la boxe ; de 60 a 80 kg- de 80 a 100 – 100 et plus . Et aussi limiter à trois rucks successifs les phases de jeu. Assez de tranchées , donner de l’air a ce ballon .

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  • Jepirad

    8 septembre 2023

    Très intéressante votre géopolitique du rugby. Merci. Maintenant faut mesurer la performance de notre élite.

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