Élections municipales obligent, chaque candidat ressort la machine à Père Noël, promettant monts et merveilles pour séduire ses électeurs qui, dans ce cas précis, sont ses voisins. La plupart des programmes peuvent se résumer en un slogan percutant, quoique difficile à tenir : « Plus de dépenses, mais moins d’impôts ». Ou bien, pour le dire avec le regard de l’école des choix publics théorisée notamment par James Buchanan : plus de dépenses pour mon électorat et plus d’impôt pour ceux qui ne votent pas pour moi. La contradiction est d’abord celle de l’électeur, qui est encouragé à demander beaucoup sans aucune responsabilité réelle sur le mode de financement des dépenses engagées.
Les municipales ne sont pas à un paradoxe près. Le maire est ainsi l’élu préféré des Français qui, en même temps, l’accusent de toutes les responsabilités quand quelque chose ne va pas. C’est toujours la faute de la mairie. Dans un précédent article, nous expliquions en quoi la complexité administrative brouillait la démocratie locale, notamment l’empilement des responsabilités entre la commune, la communauté d’agglomération, le département, la région. Aujourd’hui, les maires reçoivent les baffes, mais n’ont plus de pouvoir réel sur leur territoire. Le pouvoir est passé, pour une grande part, dans la communauté d’agglomération.
Un problème de représentativité
L’autre problème est la difficulté à recruter des gens talentueux et compétents pour occuper les charges municipales. C’est un travail qui est extrêmement chronophage et qui est très mal payé. L’élu perd un temps monstrueux en réunions, comités syndicaux, assemblées générales, remises de prix, etc. où son action est quasiment inutile, sauf pour la nécessité d’être vue. Le tout, pour une rémunération dérisoire, qui dépend du nombre d’habitants de la commune.
Nombre d’habitants / Indemnités brutes mensuelles
Moins de 500 : 661.20€
De 500 à 999 : 1 205.71€
De 1 000 à 3 499 : 1 672.44€
De 3 500 à 9 999 : 2 139.17€
De 10 000 à 19 999 : 2 528.11€
De 20 000 à 49 999 : 3 500.46€
De 50 000 à 99 999 : 4 278.34€
100 000 et plus : 5 639.63€
La charge de maire est incompatible avec une vie professionnelle et une vie de famille active : trop chronophage et pas assez rémunérée, même si beaucoup de maires cumulent en étant également vice-présidents des communautés d’agglo et de syndicats. Le problème est encore plus aigu pour les maires adjoints, qui doivent travailler beaucoup aussi, en cumulant rarement d’autres postes et pour une rémunération inférieure d’environ 60% à celui du maire. Pour une personne active, c’est une charge qui est quasiment incompatible. Ce faisant, les fonctions électives à responsabilité (maire adjoint et maire) ne peuvent être bien assurées que par des retraités ou par des professeurs de l’Éducation nationale, puisque ce sont les seuls à disposer de temps et d’une rémunération complémentaire.
La démocratie a un coût. Si l’on veut des élus compétents et qui y consacrent le temps nécessaire, il faut les rémunérer, sinon le risque est grand de confier les rênes des communes à des personnes qui ne peuvent pas tenir le poste. Ce qui ensuite engendre des catastrophes, notamment dans la gestion des finances publiques.
Un pouvoir de philosophie politique
Tel qu’elles sont organisées aujourd’hui, les collectivités locales ont un pouvoir potentiel de nuisance élevé et un pouvoir de bienfaisance faible : un mauvais maire pourra faire du mal à son territoire, mais un bon maire est limité dans sa bonne action. L’empilement des normes et des contraintes administratives réduit considérablement la liberté des élus locaux, qui ne sont souvent que des faire-valoir.
Cela pose un problème de philosophie politique, qui n’est pas cantonné qu’à la sphère locale. D’où vient l’autorité d’un élu ? De quel droit peut-il imposer une norme ou une loi au reste de la communauté, comment peut-il justifier son pouvoir ? Le suffrage universel ne confère pas ce droit de décider des libertés publiques, de restreindre ou de modifier les libertés fondamentales des personnes. La démocratie, bien souvent, par le biais du suffrage universel, est un prétexte pour justifier une tyrannie consentie. Le pouvoir politique exercé devient injuste, contrevenant aux libertés des personnes, notamment en matière éducative, familiale, économique, intellectuelle. Il faut sans cesse répéter que la pensée libérale n’est pas une réflexion économique, mais une pensée sur la tyrannie et le pouvoir et donc le droit. Que ce soit à l’échelle nationale ou à l’échelle locale, la démocratie, tel qu’elle s’exerce aujourd’hui, n’est nullement libérale, mais plutôt tyrannique.
À l’échelle communale, la question est posée de la légitimité de l’impôt, quand celui-ci ne sert pas la collectivité, mais des intérêts particuliers, par exemple les subventions accordées aux repas dans les cantines gérées par la commune ou bien aux associations. Ici, un bien collectif – l’impôt- est utilisé comme bien privé pour servir les intérêts de quelques-uns. Tour de passe-passe que l’on camoufle sous les termes de « justice sociale » et de « solidarité » alors qu’il ne répond pas aux critères de philosophie politique de ces derniers.
Sur quels fondements de la philosophie du droit une commune s’oppose-t-elle à l’ouverture d’une école indépendante ou à l’installation d’un magasin en centre-ville ? À force de se focaliser sur le moyen (le suffrage universel), on a perdu le sens fondamental de la politique : le droit comme rempart à la tyrannie. À cet échelon fondamental qu’est celui de la commune, plusieurs mesures devraient être prises pour affaiblir la tyrannie locale et restaurer la voie des libertés.
1/ Supprimer les subventions
Interdire aux communes, comme à toutes les collectivités locales et nationales, le versement de subvention aux associations. Ces dernières ne doivent être financées que par les cotisations de leurs membres, des dons et des prestations commerciales. Les subventions sont l’illustration jusqu’à l’absurde de ce que la vie politique est devenue : un vaste système d’achat de voix. Les associations arrosées ne le sont jamais par hasard, et ces versements répondent trop souvent plus à des logiques clientélistes qu’à des impératifs sociaux.
2/ Développer la subsidiarité
Les économies financières ne viendront pas du regroupement des communes, mais de la suppression d’un certain nombre de leurs prérogatives qu’elles sont incapables de faire bien. La subsidiarité est ici le meilleur moyen à mettre en place pour déconcentrer la tyrannie politique. Que ce soit la gestion des écoles et des crèches, le fonctionnement du parc immobilier, la gestion de plusieurs services, comme l’entretien des voiries ou les colonies de vacances, nombreux sont les secteurs qui pourraient être mieux gérés que par des services municipaux.
Le rôle d’une mairie devrait être uniquement d’organiser les appels d’offres et de gérer les contrats de prestation passés, sans s’immiscer dans la vie de ses citoyens et de décider à leur place.
Dans les programmes distribués actuellement, nombreux sont les candidats qui parlent de démocratie locale et de budget participatif. Cela ne change rien au fonctionnement global, mais s’apparente davantage à du marketing politique. Seule la subsidiarité est à même de redonner le pouvoir aux électeurs, qui est le pouvoir du consommateur qui acquiert sa liberté par ses choix. La subsidiarité a de plus le grand avantage de la responsabilisation des personnes.
Déresponsabilisation : le cas de l’école
Je suis toujours très surpris de constater que, dans le domaine scolaire, la seule chose qui intéresse réellement les parents c’est le prix du goûter, le montant des subventions accordées à la cantine et aux sorties scolaires et, depuis quelque temps, de savoir s’il y aura du bio au déjeuner. Je n’ai jamais vu, au cours de ces réunions, de parents s’enquérir du choix de la méthode d’apprentissage de la lecture, de la pédagogie utilisée pour apprendre les mathématiques, ou bien des marques de manuels choisis. La question éducative et scolaire est mise de côté, comme si l’élément premier et fondamental de l’école était d’abord de distribuer un goûter à 16h et un repas à la pause méridienne. Tout le monde veut du bio, sans augmenter le prix du repas, c’est-à-dire en le faisant payer par son voisin, sans se demander si le bio est vraiment meilleur et si, avant de s’inquiéter des quatre repas par semaine servis à l’école, il ne faudrait pas, d’abord, s’interroger sur les 17 repas servis à la maison, sans compter les goûters et les grignotages. Parmi ces parents qui demandent sans cesse du bio à la cantine, combien conduisent, de façon exagérée, leurs enfants aux fastfoods ? La déresponsabilisation supprime tout sens de la mesure.
Pour ne pas être le premier échelon d’un État providence tyrannique et spoliateur, la commune devrait donc opter pour un état de subsidiarité qui redonne responsabilité et liberté aux personnes. Mais pour que cela puisse se faire, il faut une modification d’en haut de la constitution ; ce qui n’est pas le moindre des paradoxes.
Auteur: Jean-Baptiste Noé
Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).
Amédée
12 mars 2020Communautés de communes ! Vous connaissez ?
Alors cessons d’élire des liste communales qui ne servent plus à rien, un étage de plus dans ce millefeuilles indigeste.
petitjean
12 mars 2020Mais les parlementaires, députés et sénateurs, perçoivent, toute indemnité confondue, environ 20 000 euros par mois !!
Est-ce que pour autant ils nous représentent vraiment ??
Ces parlementaires sont les godillots de l’exécutif et ne représentent plus le peuple
Ces parlementaires se battent comme des chiens pour se faire réélire et en quelques mandats deviennent millionnaires
Servir, ce n’est pas se servir et pourtant…..ils ne pensent qu’à se servir !…………
Garofula
9 mars 2020La France en 2020 : un peu moins de 35000 communes, un peu plus de 2070 cantons. Ne faudrait-il pas rebaptiser commune les cantons ? Non par goût immodéré pour la centralisation mais pour atteindre la masse critique nécessaire au bon fonctionnement d’une collectivité locale, trouver les compétences, optimiser les dépenses de fonctionnement, clarifier les responsabilités.
Steve
7 mars 2020Bonjour M. Noé
Très bon article encore une fois. Cependant, il ne marque pas assez la différence entre l’exercice d’une fonction d’élu local selon le budget de la commune: je doute que Mme Hidalgo, maire de Paris, soit réveillée personnellement à trois heures du matin par un parisien ayant trouvé une vache errant sur la chaussée comme cela arrive fréquemment en campagne. Dans ma commune, en raison du budget anémique, qui ferait crier d’horreur l’ancien maire de Blois par exemple, c’est le premier adjoint qui tond lui même les pelouses au centre du village, et souvent sans se faire rembourser l’essence.
Il y a bien un abîme désormais entre les maires de campagnes françaises et ceux des villes. L’élu local des villages va de plus en plus devoir s’inspirer de la vie du curé d’Ars ou de celle de St Vincent de Paul!
Etonnez-vous que les candidats se fassent rares!
Peut être devrait -on obliger les futurs hauts fonctionnaires à exercer au moins une mandature dans ces conditions avant de pouvoir prétendre à un poste plus gratifiant dans les métropoles ou dans les ministères.
Cordialement
Philippe
7 mars 2020Mr Noé , je vous propose de commenter les ouvrages de Jean-Paul Brighelli » la fabrique du crétin » A bonne école » » Une école sous influence » » Voltaire ou le Djihad et les ouvrages de Georges Bensoussan » les territoires perdus de la République et » Une France soumise » . Les deux prismes en question » education » et » immigration » sont des alarmes prophétiques .
Pierre Couëdelo
6 mars 2020Elu local moi-même, je ne peux que faire le constat de la justesse du propos.
Au-delà de la subsidiarité proposée et à laquelle je ne peux que souscrire, je souhaiterais mettre en lumière une tendance qui consiste pour certaines communautés de communes ou municipalités, à prendre des prérogatives qui n’ont, selon moi, rien à voir avec les missions des collectivités locales; En effet sont traités par certains élus des sujets tel la santé, les énergies renouvelables (au-delà de la chaudière du gymnase ou de la mairie), le tourisme (au-delà de l’office du tourisme), des festivals (souvent chers, peu qualitatif et clientéliste), le conseil juridique, la pollution, l’aide à l’acquisition de différents équipements (du composteur au broyeur de végétaux en passant par la couche lavable)…
Toutes les actions qui en découlent sont d’une part chronophages pour les élus et dispendieuses, elles s’exercent au détriment des missions de bases que l’on a par ailleurs de plus en plus de mal à financer. On remarquera aussi que ces nouvelles missions sont souvent de plus en plus intrusives dans la vie privée des citoyens.
Il est certes sans doute plus ludique de gérer l’organisation d’un festival des arts de la rue que des aménagements de voirie mais pour mener à bien leurs missions essentielles et bien gérer l’argent public il est plus que nécessaire que les élus locaux sachent rester dans le cadre de leurs mandats.
Jean-Baptiste Noé
6 mars 2020Tout à fait d’accord. Il y a en effet beaucoup à dire sur les festivals organisés, au milieu de chaussées trouvées…
petitjean
12 mars 2020il faut distraire le populo pour plaire et se faire réélire !
C’est pourquoi tant d’élus dépensent beaucoup d’argent pour organiser des fêtes et autres manifestations festives .
par contre, vous avez noté que les élus communiquent très peu sur les dépenses de la commune, sur son budget et sur la ventilation précise des dépenses
Vous me direz aussi que depuis 40 ans les impôts et les taxes augmentent en France sans que le peuple ne moufte !
Alors !…………..
Francis
6 mars 2020Toujours très bon. Merci. Déprimant car on ne voit pas d’où viendra l’impulsion pour changer la situation.
Armand
6 mars 2020Merci M. Noé de cet excellent article / point de vue.
Je suis d’accord avec vous et j’ajouterai qu’il faut donner envie aux jeunes cadres dynamiques d’être maire. Il faut ajouter des moyens comme vous le mentionnez, mais aussi un faire un travail intéressant.
Autre sujet, si cela fait partie de vos champs d’intérêt bien sûr, je serai curieux de lire un article signé de votre plume concernant l’hôpital public français. Rachat de dettes, injections de moyens et autres, qu’en pensez-vous?
breizh
6 mars 2020privatiser les hôpitaux.
Jean-Baptiste Noé
6 mars 2020Je ne connais pas assez l’hôpital pour en parler. Mais de ce que me raconte mes amis qui y sont, cela ressemble terriblement à l’Education nationale. Ce qui n’est pas très rassurant.
Atchoum
6 mars 2020Constat siderant mais peu surprenant quant a l’interet des parents sur l ecole.
En ce qui concerne les remunerations de la fonction publique, le probleme ne me semble pas tant les emoluments pour un poste que les cumuls et cumuls d’avantages (pensions, etc…).
Merci pour cet article.
Charles Heyd
5 mars 2020Je cite la conclusion de M. Noé: « Pour ne pas être le premier échelon d’un État providence tyrannique et spoliateur, la commune devrait donc opter pour un état de subsidiarité qui redonne responsabilité et liberté aux personnes. Mais pour que cela puisse se faire, il faut une modification d’en haut de la constitution ; ce qui n’est pas le moindre des paradoxes. »
M. Noé cela n’est pas un paradoxe, c’est tout simplement la clé du problème;
le paradoxe est pour ceux qui ne veulent pas (ou qui ne peuvent pas!?) comprendre!
A partir du moment ou le constat est posé il faut agir et ne pas se laisser abuser par des paradoxes!