24 mars, 2023

CPI et moraline

La Cour pénale internationale a émis un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine. Les présidents Zelensky et Biden s’en sont réjouis. Joe Biden a ainsi affirmé que ce mandat est « justifié » et que c’est « un signal très fort ». Zelensky y voit quant à lui une décision « historique, qui marque le début d’une responsabilité historique ».

À ceci près que ni les États-Unis ni l’Ukraine ne reconnaissent l’existence de la CPI. Comme la Russie et la Chine du reste. Autrement dit, et comme cela fut souligné à raison par le Kremlin, le mandat est nul et non avenu.

Seuls 123 États sur 193 ont ratifié le statut de Rome qui permet d’accepter les compétences de la CPI. Parmi eux, les pays de l’Union européenne, d’Amérique latine, le Canada, quelques pays d’Afrique, l’Australie. Mais pas la Chine et l’Inde ni une grande partie du Moyen-Orient. Le mandat d’arrêt envoyé depuis La Haye, le siège de la CPI, témoigne de l’enfermement de cette cour qui n’a guère de juridiction et de responsabilité au-delà des pays d’Europe. Loin de marquer un « moment historique », ce mandat témoigne surtout de la fin du monopole occidental et de la multipolarisation du monde.

Aux origines de la CPI

La CPI est fondée en 1998 par le Statut de Rome, un traité international ratifié par les États participants au congrès diplomatique tenu en juillet 1998. Le Statut de Rome entre en vigueur le 1er juillet 2002, après sa ratification par 60 États. C’est la date de fondation officielle de la CPI. Ses compétences n’étant pas rétroactives, elle ne peut juger que les crimes commis à partir de cette date.

Cette Cour va dans le sens d’une judiciarisation mondialisée qui tente de s’imposer à tous les pays. Mais les États-Unis refusant de soumettre leur droit à un droit étranger, ils refusent de ratifier le document. La CPI est une tentative de créer une structure internationale en vue d’établir « une paix perpétuelle », avec des juges et des fonctionnaires internationaux, ce qui pose un légitime problème de souveraineté. Les droits nationaux sont ainsi soumis à des organismes internationaux, dont les membres ne sont pas élus et dont le système de nomination est opaque. C’est un mythe de la paix universelle qui ne tient pas. Presque inconnue de tous, la CPI s’est offerte un coup d’éclat et un moment de publicité en lançant ce mandat contre Poutine, même si cela n’aboutit pas.

Effets nuls du mandat

En effet, à la suite de ce mandat, les pays signataires ont l’obligation d’arrêter Vladimir Poutine pour le remettre au tribunal. De facto, celui-ci ne peut donc plus se rendre en Europe. Il peut continuer à se rendre en Chine, en Turquie, en Iran, aux États-Unis et même en Ukraine, mais en Europe il se met sous la menace d’une arrestation. Ce faisant, les pays européens se privent d’être les lieux des négociations et des ratifications d’un éventuel traité de paix. Soit ils respectent et suivent le mandat de la CPI et donc arrêtent Poutine lorsque celui-ci viendra chez eux négocier ou ratifier le traité, soit ils ne l’arrêtent pas et donc ne respectent pas la CPI qu’ils ont fondée.

Portés par leur habituel sentimentalisme et leur absence de réflexion à long terme, les Européens se privent de leurs outils diplomatiques classiques et s’excluent de fait du grand jeu mondial. Ce mandat d’arrêt ne sert à rien ni pour mettre un terme au conflit ni pour arrêter d’éventuels criminels, mais il interfère dans le processus d’organisation de la diplomatie mondiale.

Moraline diplomatique

Ce mandat d’arrêt ne vise à rien, si ce n’est à s’acheter facilement une bonne conscience. Il ne vise aucun objectif précis et détourne de l’objectif véritable qui est le retour à la paix. C’est l’erreur habituelle de la moraline diplomatique, qui ne sert ni les États ni les peuples, mais uniquement les bons sentiments des plateaux de télévision. Aristote parlerait de témérité. Le téméraire est un homme dangereux, qui agit guidé par ses sentiments, incapables d’analyser avant ses actes les conséquences de ceux-ci. Le courageux, au contraire, est une personne qui analyse les situations et qui agit en fonction des buts qu’ils visent à obtenir. L’intention ne compte pas, c’est le résultat seul qui compte. Le courage consiste souvent à se taire, à laisser faire, à ne rien dire, afin d’obtenir le véritable bien que l’on s’est fixé. Quand le téméraire préfère l’agitation quotidienne, certes gratifiante, mais non seulement inutile, mais contre-productive. Ce mandat d’arrêt en est un parfait exemple : la cause supérieure de la paix et de la protection des peuples n’a pas avancé, les Européens ont au contraire accru leur isolement. Beaucoup plus de bruits que de réelles avancés « historiques ».

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

11 Commentaires

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  • Stefano

    30 mars 2023

    Comment sont nommés ces juges ? Une cour peut elle s’auto saisir ? Pour lancer un mandat d’arrêt il faut des motifs . Il a été prouvé que le massacre de Boutcha était de la même veine que celui de Timisoara. Décidément l’Occident est bien dans le toboggan de la décadence qui stupéfie « le reste du monde » , pour parler comme la va t en guerre Josef Borrell.

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  • Charles Heyd

    27 mars 2023

    Moraline est un terme gentillet! Hypocrisie serait déjà mieux; comment des pays qui n’ont même pas adhérés à cette autorité peuvent-ils se réjouir de ses décisions. Certes, on peut trouver des décisions justes même à ses pires adversaires, mais un peu de logique s’impose. Qu’ils adhèrent à la CPI et nous qu’on s’en sépare!

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  • Patrice Pimoulle

    27 mars 2023

    « Les magistrats sont mes ocfficiers charges de m’acquitter de mon devoir vraiment royal de rendre la justice a mes sujets ».
    Mutatis mutandis, la CPI est l’institution des 123 Etats parties a la convention chargee du devoir vraiment royal de rendre la justice aux sujets des Etats parties a la convention.

    Or le peuple russe n’est pas sujet des Etats parties a la convention.

    Comme dirait un avocat de mes amis, « qu’ils aillent se faire f… ».

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  • Gaspard des montagnes

    27 mars 2023

    La CPI c’est 2 poids 2 mesures : RIEN contre Bush Obama, Trump et Biden alors qu’ils ont 1 million de morts irakiens, syriens et kurdes depuis l’attaque de 2003 sans mandat de l’ONU (la fiole de Colin Powell, les armes de destructions massives). Cela ferait rire si ce n’était pas tragique, à croire que les gens ont une mémoire de poisson rouge !!
    Je me demande ce que vont fomenter les US pour contrer l’action de la Chine dans le rapprochement Iran Arabie Saoudite, un chantage à la CPI sur l’affaire Khashoggi ?

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  • rbt

    25 mars 2023

    Bonjour, c’est très instructif, et cela valide que l’Europe marche sur la tête.
    Ou va t’on ?

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    • Robert

      27 mars 2023

      L’ UE est totalement soumise aux américains, et cela ne fait que se renforcer quant aux conséquences de la guerre en Ukraine.
      Les institutions européennes sont une onéreuse fiction, le vrai patron est à Washington, et le gauleiter est à Berlin.
      La France dans tout cela ?
      Elle se voulait moteur, elle n’est plus que suiveuse, désormais couramment humiliée par l’ Allemagne comme le montrent les toutes récentes évolutions sur le nucléaire téléguidées par nos voisins d’ Outre-Rhin …

  • Nanker

    25 mars 2023

    «le retour à la paix»…
    Qui en veut? Pas Biden, lui qui installe des troupes ricaines en Pologne…

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  • Hermkens Philippe

    24 mars 2023

    En quoi une négociation avec la Russie est-elle utile ?
    Sauf défaite éclatante sur le terrain, le gouvernement russe et donc Vladimir Poutine continuera cette guerre d’agression particulièrement barbare
    Vladimir Poutine explique que l’Ukraine n’existe pas Comment négocier avec quelqu’un qui nie votre existence
    Votre vision soi-disant réaliste des relations internationales sous un angle dit géopolitique est en réalité parfaitement stupide
    Une politique doit être basée sur un rapport de force mais avec un système de valeurs adéquats Ici en Europe on n’envahit plus un État voisin pour l’annexer

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    • Marie

      26 mars 2023

      Vous n’avez jamais entendu parler du Kosovo?

  • breizh

    24 mars 2023

    Sans compter le motif de ce mandat…

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    • Laurette56

      25 mars 2023

      Exact. Ils sont arrivés au bout de ce qui leur est possible de faire. Ils ne sont même pas dans l’action, c’est de l’activisme sans réflexion, ils « s’agitent » en fait. Battent des ailes ou brassent du vent, au choix ! Nous savons qui est le téméraire et qui est le courageux 🙂 🙂 Bonjour Mr Gave, je vous suis sur YouTube depuis environ trois ans et j’aime bien vous écouter même si je ne suis pas d’accord sur tout mais c’est justement cela qui est intéressant n’est-ce pas, la différence.

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