19 février, 2021

Chapeaux et identités

Un des éléments qui caractérise le monde d’aujourd’hui est le développement et l’essor de l’indigénisme, c’est-à-dire le retour des cultures anciennes et typiques qui sous l’effet de la mondialisation recherchent leur histoire et veulent se réaffirmer dans leurs traditions. Cet indigénisme, ce retour aux traditions locales, se manifeste partout, que ce soit en Amérique latine, en Afrique et en Asie. Or il y a des objets qui fixent la culture et qui l’associent à des lieux et à des identités précis. C’est notamment le cas de la gastronomie, de la musique et du vêtement, qui indiquent d’où viennent les personnes, à quoi elles se rattachent, à quelle culture elles appartiennent. Ces trois objets, nourriture, musique, vêtement, sont à la fois très typique et en même temps le fruit d’échanges et de mélanges, parfois avec des cultures fort lointaines. Dans le mouvement d’indigénisation auquel nous assistons, il est curieux de voir ainsi des vêtements présentés comme très typiques être en réalité d’une origine complètement différente, ce qui est notamment le cas des coiffes et des chapeaux.

 

Le melon des Indiens

 

Lorsqu’Evo Moralès prend la présidence de la Bolivie en 2006, il axe sa politique sur l’indigénisme et la défense des peuples précolombiens. Cela se manifeste notamment par le port du vêtement traditionnel, marqué chez lui par une longue veste brodée. En Bolivie, nombreuses sont les femmes indiennes à porter un chapeau melon, ce qui est à la fois très traditionnel dans leur tenue et en même temps très surprenant dans la mesure où ce chapeau n’a rien d’indien puisqu’il est originaire d’Angleterre. Difficile de savoir pourquoi ces peuples ont adopté le melon tant les légendes s’entremêlent. L’histoire officielle et reconnue dit que des ingénieurs anglais seraient venus au XIXe siècle pour créer une ligne de chemin de fer dans les Andes. Des exemplaires du chapeau auraient été laissés sur place, vite adoptés par les femmes indiennes. Il est vrai que le melon a l’avantage d’être robuste et résistant puisqu’il fut pensé par le chapelier Thomas Bowler en 1849 pour équiper les gardes-chasse d’Edward Coke. Voici comment un chapeau typiquement anglais est devenu aujourd’hui un symbole culturel pour les Indiens de Bolivie. Les guides touristiques regorgent de photos où l’on voit ces femmes indiennes dans les plateaux de la Cordillère, leur chapeau melon sur la tête, témoin de leur appartenance nationale. Curieux chassés-croisés de l’histoire : le melon est associé à la fois à l’Angleterre et aux champs de courses où il est encore porté et aux Indiens de Bolivie.

 

Le chapeau grec des Afghans

 

En 2001, après les attentats du 11 septembre, l’attention mondiale a été portée sur l’Afghanistan, ses vallées profondes et ses peuples divers. Le commandant Massoud a été la figure de la résistance aux taliban. Surnommé le « Lion du Pandjchir » du nom de la vallée du Pandjchir où il combattit et repoussa les Soviétiques, Massoud fut l’un des chefs pachtouns opposés tant aux Soviétiques qu’aux taliban. Son assassinat le 9 septembre 2001 par deux Tunisiens venant de Bruxelles et se faisant passer pour des journalistes, ouvrait la porte à un contrôle plus étroit de l’Afghanistan par les taliban et Ben Laden. Massoud devint donc l’antithèse des taliban et son assassinat lui donna la stature d’un héros. Coiffé du fameux pakol, un béret en laine de couleur beige sable, il contribua à populariser cette coiffe en Occident. Au cours de l’automne-hiver 2001 on vit de nombreuses personnes à Paris et dans les capitales européennes revêtir le pakol en signe d’hommage et de reconnaissance à Massoud. Porter cette coiffe était une façon de revendiquer son soutien au combat du Lion du Pandjchir et témoigner de son opposition aux taliban que la coalition occidentale était en train de combattre. Le chapeau afghan typique, celui de Massoud et de ses hommes, devenait ainsi un symbole identitaire et de reconnaissance dans les capitales européennes. Mais comme l’histoire est toujours construction et déviation, on vit beaucoup de femmes porter cette coiffe alors même que c’est un chapeau d’homme qui n’est pas porté par les femmes en Afghanistan. Et pour cause, ce chapeau est celui des soldats et plus exactement des soldats macédoniens d’Alexandre. Loin d’être un chapeau afghan dans ses origines, le pakol est l’héritier de la causia macédonienne. La causia est un béret porté par le monarque et les soldats de sa garde rapprochée. On le trouve représenté sur des statuettes et des peintures murales, coiffant la tête des soldats et de leur chef. Les armées macédoniennes, sous la conduite d’Alexandre le Grand et de ses successeurs, ont été en Afghanistan où elles formèrent la civilisation gréco-bactriens. Le musée Guimet à Paris possède notamment des statues de bouddhas aux traits européens et des peintures ornées de visages blonds aux yeux clairs. Les Grecs ont conquis et transmis l’hellénisme dans ces vallées asiatiques, raison pour laquelle l’apôtre Thomas y a porté l’évangélisation aux premiers temps du christianisme, se rendant jusqu’en Inde. De cette trace grecque demeure leur chapeau, adopté par les élites locales comme symbole d’adhésion et d’assimilation. Porter le couvre-chef des soldats et des rois de Macédoines était une façon d’être grec comme les Grecs. Les taliban ne s’y trompèrent pas, qui interdirent le port du pakol quand ils dirigèrent l’Afghanistan au motif que ce chapeau était étranger et non islamique. De la même façon qu’ils firent détruire les bouddhas de Bamyan, ils ôtèrent le pakol de la tête des Afghans. Porter le pakol, pour Massoud et ses hommes, était donc un véritable signe de résistance à la politique talibane, sans savoir, peut-être, qu’ils se rattachaient ainsi à Alexandre et aux Grecs. L’arrivée du pakol dans les rues parisiennes à l’automne 2001 était donc un bien curieux retournement de l’histoire. L’Occident qui n’a jamais adopté cette coiffe des Grecs s’est retrouvé à la porter comme symbole de Massoud et de ses combats. Ce faisant, sans le savoir, la mode de Saint-Germain-des-Prés avait renoué avec Alexandre et l’hellénisme.

 

Chapeaux interdits, chapeaux revendiqués

 

Lorsque Mustafa Kemal prit le contrôle de la nouvelle Turquie, il voulut ancrer son pays à l’Occident pour entrer dans la modernité. Son rejet de l’islam ancien alla de pair avec une interdiction du costume traditionnel turc et du fez. Ce chapeau de forme conique tronquée, en feutre rouge orné d’un gland noir appelé aussi tarbouche en arabe. Il fut porté par les Grecs, les Arméniens, les Albanais et les Turcs, se faisant le chapeau traditionnel des Balkans et du Levant. Atatürk en interdit le port et obligea de porter le chapeau de forme occidentale : haut-de-forme, melon ou hombourg. Là aussi, le port d’un chapeau donne une indication non seulement politique, mais aussi identitaire et symbolique de l’action politique menée.

 

Aujourd’hui il ne reste plus grand-chose de ces chapeaux traditionnels et identitaires, hommes et femmes allant nu-tête dans la rue. Demeure la casquette de base-ball portée par les joueurs de basket-ball et partant par les rappeurs, autrefois portée à l’envers et désormais sur le côté, dont la forme de la coiffe n’a cessé de s’agrandir. Rappeurs et joueurs de la NBA s’identifient à une même culture et un même combat politique en portant cette casquette. Un peu passé de mode, mais très populaire dans les années 1990-2000, le keffieh, porté en hommage à Yasser Arafat et aux Palestiniens, est aujourd’hui tombé en désuétude, de la même façon que le conflit israélo-palestinien fait moins les unes de l’actualité.

 

Salvador Dali fit quant à lui sensation en se rendant à New York coiffé de la barretina, un bonnet long de laine rouge orné d’un liseré noir à sa base. La barretina est la coiffe typique de Catalogne, portée notamment par les marins de Barcelone. On la trouve dans de nombreuses villes de Méditerranée du Nord : à Valence, en Corse, en Sicile et à Naples, où la garde municipale continue de la porter. En coiffant sa tête de ce chapeau dans la capitale de l’art contemporain américain, Dali ne donnait uniquement dans la provocation provinciale. Il marquait aussi son attachement à sa terre et à sa région d’origine, au moment où il se rendait dans la ville symbole de la mondialisation et du dépassement des cultures et des frontières.

 

Compte tenu du réveil des identités, il ne serait pas surprenant que les anciennes coiffes ressurgissent et que les nouvelles générations s’approprient ce que les anciennes abandonnèrent. Chapeaux régionaux breton, savoyard ou provençal, béret, chapeaux celtes et russes, chapeaux asiatiques et africains ; le monde qui va vers de plus en plus d’unité et d’uniformisation pourrait peut-être retrouver de la diversité et de l’identification dans le renouveau des coiffes et des chapeaux.

 

 

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

14 Commentaires

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  • Steve

    24 février 2021

    Chapeau l’article!

    Qui se souvient encore du chapeau de Zozo, c’était un chapeau rigolo , l’avez vous vu récemment? Non? Pourtant nombre de politiques s’efforcent encore chaque jour de le faire porter le plus possible à leurs adversaires!
    Et voilà pourquoi nous allons tête nue désormais : nous n’y sommes pour rien et on paye nos impôts, donc nous ne voyons pas pourquoi nous devrions en plus porter le chapeau!

    Cordialement

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  • Julien

    22 février 2021

    Bonjour, intéressant. Mais Massoud n’était pas pachtoun ,mais tadjik 😉

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  • Eloïse GUSTARIMAC

    22 février 2021

    Merci pour cet article d’une très grande richesse pédagogique qui vous a demandé certainement un travail de recherche d’une grande rigueur ! Bravo !

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  • Béret vert

    22 février 2021

    Le couvre-chef en extérieur, bref à la campagne quand vous passez la journée dehors, est confortable. Dans une atmosphère citadine, à part le style, je n’y vois pas d’intérêt.

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  • Mayaelle

    21 février 2021

    Merci pour cet excellent article !

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  • Dominique

    19 février 2021

    L’  » indigénisme  » est un concept créé par des révolutionnaires pour attaquer la civilisation occidentale, comme d’autres mouvements accompagnant le mondialisme, et il n’a rien à voir avec la nostalgie et la revendication de cultures anciennes. Les  » indigénistes  » n’ont jamais existé pas en tant qu’ethnies ou races. Il est donc illusoire de vouloir leur rattacher une quelconque histoire ou des traditions. Ils n’en revendiquent d’ailleurs pas, leurs seuls objectifs est de détruire la civilisation occidentale gréco-chrétienne dont ils attaquent les valeurs et les symboles.
    Les indigènes sont précisément les occupants d’un pays. En France, les « Gaulois » (
    ou Français-de-souche ) sont des indigènes. Aux EUA d’où nous vient ce concept d’indigénisme, les indigènes sont les indiens qui forment des tribus, ont une histoire, des traditions et des coutumes, des vêtements etc.
    Loin d’être lié à des réveils d’identités ( lesquelles ? ) le mouvement indigéniste vis à détruire l’ identité d’un peuple, d’une nation auquel il s’atraque. C’est pourquoi il y a, par exemple, des blancs parmi les Black Lives Matter américains ou français.
    En portant le bonnet phrygien, et en obligeant le bon roi Louis XVI à le porter, les révolutionnaires ne revendiquaient des origines ancestrales, ils entendaient seulement détruire le régime de monarchie.
    Rien n’a donc changé dans cette Révolution française éternelle. Nous avons exportée cette idéologie mortifère, satanique, et elle nous revient.

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    • Charles Heyd

      19 février 2021

      … et elle nous revient en boomerang!
      Pour moi, et je vais peut-être en choquer quelque uns, l’indigénisme est la culture des indigènes; jusque là tout va bien; mais où, qui et quand parle-t-on des indigènes? Mais sous notre III, IV et puis V républiques quand on parle de nos colonies et de leurs population autochtones!
      Et maintenant ce sont les descendants de ces indigènes qui nous parlent, ici en France, d’indigénisme; mais les mots sont importants, Zemmour le rappelle très souvent.
      Et effectivement, en France les indigènes sont tous simplement nos « ancêtres les Gaulois »! Mais les quelques gravures qu’on peut voir nous les montrent le plus souvent la longue chevelure au vent! Et encore heureux qu’ils choisissent leurs couvre-chefs comme ils veulent; nous nous habillons plus comme eux mais je croise souvent des descendants d’indigènes qui sont habillés et coiffés comme les indigènes d’il y a 60ans dans les pays africains (nord-africains surtout).

  • Elisabeth

    19 février 2021

    Article très intéressant ! Merci beaucoup !

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  • michel hasbrouck

    19 février 2021

    On ne voit jamais notre seigneur Jésus-Christ avec un chapeau

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  • Esposito

    19 février 2021

    Merci pour ce voyage inattendu. J’ai été étonné, en visionnant des documentaires filmés dans les années 1920, d’observer qu’en France, comme en Russie, les hommes portaient des couvres chefs.

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  • sangmelima

    19 février 2021

    Quand un mouvement, de mode de surcroit, tend à uniformiser, comme ce n’est pas un mouvement naturel (l’uniformisation), le Vivant réactive les diversités, phénomènes qui le caractérise justement.

    A Paris, un certain nombre de jeunes gens ont troqué la fameuse casquettes de baseballe américaine pour la « nantaise », cette casquette qui évoque souvent les marlouts des années 30.

    Côté femme, le chapeau à mi-chemin entre le bords larges type « chasseur » et la modèle citadin semble revenir en force. Il possède un liseré en tissu à la base du fut, certaines le remplace par un tissu personnalisé (comme par exemple un imprimé façon panthère !). D’autres l’agrémentent d’une plume qui rappelle un peu le bords courts des tyroliens.

    Plus le système nous forcera vers l’uniformisation indisctinct et plus les peuples renoueront avec leurs traditions, leurs folklores, leurs modes. Le Vivant est une intrication complexe de diversités et de recombinaisons. Tout sauf la flaque grise dont rêvent les multinationales qui y voient bien entendu un « nouvel homme » profilé et profitable pour leurs plus grand profits.

    C’est la raison pour laquelle je reste convancue que la mondialisation ne tiendra pas longtemps. le Vivant, dont tous les hommes diversifiés font partie, reprend toujours ses droits.

    A terme et plus vite qu’on ne le suppose, les multnationales s’affronteront entre elles pour des raisons d’obsession prédatrice exclusive. Tout fond de pension, toute multinationales veut être l’unique bénéficiaire d’un profit maximal.

    Microsoft et Apple ont quasiment fusionné. A terme, l’un des deux engoufrera l’autre. Le bicéphale est une chimère et ne vit pas longtemps. Quand il n’y aura plus qu’un seul vendeur d’ordinateurs et de sytèmes informatiques dans le monde, d’autres entreprises entreront dans la danse. La Chine est déjà fort bien placée en ce domaine. A la différence de la France, toujours à la remorque et soumise aux yankees et à Bruxelles, Chine et Russie ont tout compris.

    A terme, et dans pas très longtemps là encore, il y aura un « google », un « swift », des satellites, des réseaux sociaux, des « nobles » et autres distinctions mondiales sino-russes. C’est ce que le dernier discours de Poutine au dernier Davos évoque clairement… et j’en suis ravie.

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    • Elisabeth

      19 février 2021

      J’espère que l’avenir vous donnera raison!

  • Francois Brocard

    19 février 2021

    Le port du béret dans l’Alsace rattachée at Reich fut aussi interdit dans les années 1940 comme signe de protestation contre l’occupation.

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  • Grandga

    19 février 2021

    Shoking !
    Quel manque de goût !
    Le Melon se porte à la City, à Epsom un Gentleman porte le ‘Haut de Forme’…

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