Deux ans après le coup d’État qui a remis la junte militaire en selle, la Birmanie connait une nouvelle série de crises politiques et des problèmes sociaux et économiques majeurs. La contestation contre les militaires dépasse le simple cadre de la capitale et des rivalités ethniques classiques. Même au sein des Birmans, des fractures apparaissent pour demander le changement de régime, ce qui accroît la répression et l’emprise militaire de la junte.
Prise de pouvoir
En 2020, les élections ont donné une large victoire au parti d’Aung San Suu Kyi et à ses alliés et ont soldé la défaite du parti de la junte militaire. Un échec qui a certes contraint l’armée à composer et à s’entendre avec ses opposants, mais qui n’a pas mis un terme à leur contrôle de l’État. Tout bascule le 1er février 2021 quand l’armée lance son coup d’État, renverse le gouvernement et paralyse le Parlement pour prendre le contrôle du pouvoir. Ce jour-là, le général Min Aung Hlaing fait arrêter Aung San Suu Kyi, bloque le Parlement, empêchant les députés de s’y rendre, déclare l’état d’urgence et s’installe à la tête d’un conseil d’administration de l’État. Après ses élections perdues, la junte a repris le pouvoir en éliminant ses opposants, donnant une fin de non-recevoir aux développements démocratiques.
Face aux manifestants, la junte a répliqué avec brutalité, multipliant les arrestations et les exécutions. Depuis lors, le pays est plongé depuis deux ans dans une terreur politique dont nul ne perçoit l’issu possible. Quant à Aung San Suu Kyi, elle a été condamnée à 33 ans de prison pour corruption. Un motif bien commode pour se débarrasser d’un opposant politique.
Certains opposants ont néanmoins réussi à s’échapper, formant un gouvernement d’unité nationale qui a été nommé à la représentation de la Birmanie à l’ONU. Une façon pour les instances internationales de délégitimer la junte et de montrer son soutien aux opposants. Mais si ceux-ci peuvent parler depuis New York, leurs liens avec l’intérieur du pays sont de plus en plus faibles du fait de la rupture des communications.
La drogue comme moyen de vivre
Alors que la junte avait longtemps combattu la production de drogue et les trafiquants, cette politique semble connaitre un revirement. Un rapport de l’office de l’ONU contre la drogue a ainsi montré que la production d’opium avait été multipliée par deux entre 2021 et 2022. L’ONUDC estime ainsi que la production est montée à 790 tonnes, approchant le plus haut historique du début des années 2010. De l’opium qui sert ensuite à produire l’héroïne qui est consommée sur les marchés européens.
La production de pavot se concentre essentiellement dans les régions du nord-ouest, situées à proximité d’une frontière (Chine, Thaïlande, Laos), ce qui permet une exportation plus aisée. Fait inquiétant : la productivité est elle aussi en hausse. Alors qu’en 2005 un hectare produisait environ 8 kg d’opium, c’est aujourd’hui 20 kg ; preuve que les moyens de production et de raffinage se sont améliorés. Ce qui n’augure pas un avenir radieux.
Du coup d’État à la guerre civile
À la suite des répressions conduites par la junte, plusieurs Birmans se sont regroupés en groupes militaires, entrainés et organisés par leur ethnie d’origine. Dans les montagnes et les forêts, ces groupes harcèlent les militaires, multipliant les actions de guérillas et de guerre de subversion. Le regroupement de ces mouvements a pris le nom de Force de défense du peuple (FDP), bien décidé à taire les rivalités pour chasser la junte actuelle de Rangoon. C’est toute la Birmanie qui a ainsi basculé dans la guerre et pas seulement la capitale. L’armée attaque régulièrement des villages soupçonnés d’abriter des membres du FDP, aggravant d’autant la situation humaine et le nombre de morts.
L’armée nationale dispose d’une supériorité technique indéniable. À elle les chars, les avions et les pièces d’artillerie, achetés grâce aux revenus issus des hydrocarbures et de la drogue. Face à elle, le FDP ne peut compter que sur des moyens bien faibles et limités. Même si l’histoire récente, notamment dans le cas de la guérilla, a démontré que les armées les plus puissantes ne sont pas nécessairement les vainqueurs.
Deux ans après le début des affrontements, la situation militaire est mitigée. L’armée officielle peine à recruter et à payer la solde. Pour ce faire, elle a accru la masse monétaire, aggravant d’autant l’inflation. Face à elle, le FDP manque de munition et de système de défense et connait l’usure des résistants qui n’arrivent pas à percer. D’autant que le régime est soutenu par la Chine quand le FDP manque d’aide internationale.
À ces problèmes militaires s’ajoute une crise sociale majeure. Entre les personnes déplacées, les maladies qui se développent, notamment dans les camps insalubres, les pénuries alimentaires et pharmaceutiques, la population birmane connait une hausse de la pauvreté et de la mortalité. La junte compte aussi sur cela pour imposer son pouvoir et mater les opposants.
Face à cela, l’UE et la Communauté internationale réagissent comme à l’accoutumée, c’est-à-dire avec des sanctions économiques. Lesquelles sanctions n’ont jamais montré une quelconque efficacité. Certes il est possible de bloquer les comptes bancaires des généraux, d’établir un embargo sur la vente d’armes, de contrôler les ventes de diamants et de rubis, mais cela ne sert pas à grand-chose, comme en témoigne le fait que la junte soit toujours au pouvoir deux ans après son coup d’État. Des sanctions que ni la Russie, ni l’Inde, ni la Chine n’ont ratifiées, corroborant une fois de plus la fracture du monde entre les Occidentaux et les autres. Quant à la junte, au pouvoir depuis près de 60 ans, elle a témoigné d’une grande capacité de réorganisation et d’adaptation, tout en opprimant violemment sa population. Et pour l’instant, rien ne semble devoir changer.
La pauvreté encourage la population à se remettre à la culture du pavot, moyen pour elle de subsister et de s’insérer dans l’économie mondiale. Une culture qui fait florès dans la région du Triangle d’Or, à la frontière du Laos et de la Thaïlande que parcourt le Mékong. Les vieilles habitudes ont repris, ce qui est inquiétant non seulement pour la Birmanie, mais aussi pour ses pays voisins. Entre drogue et guerre civile, les problèmes birmans risquent en effet de déteindre sur l’ensemble de l’Asie du Sud-Est.
Auteur: Jean-Baptiste Noé
Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).
Sildalist
19 février 2023J’étais en Birmanie pour un traitement il y a quelque temps. Dommage que les choses ne fassent qu’empirer là-bas.
Dominique
18 février 2023Le renversement de la fantoche politicienne créée et mise en place par Washington fut nécessaire pour que la Birmanie ne devienne pas un proxy américain.
Luc
18 février 2023Dans ce pays l’armée a toujours eu beaucoup de pouvoir et meme geré certains aspects diplomatiques. En thailande c’est moins le cas, mais il y a eu des coups d’etats aussi, il ya pas si longtemps
De plus il ne faut pas oublier les guerillas de minorités jamais integrées (kachin state etc) et qui veulent une autonomie de facto. La democratie a l’occidentale c’est bien mais l’asie c’est deja different. tenir le pays face a des volonté secesionniste dures c’est difficiles
Norbert
18 février 2023Quelle tristesse! J’avais visité ce merveilleux pays à l’histoire mouvementée en 2017.
Et visité des sites culturels époustouflants laissés à l’abandon. Rien ne laisse présager une issue positive à moyen terme.
olivier Cane
18 février 2023J’ai eu la chance d’aller plusieurs fois à Yangoon ces dernières années, juste avant la prise de pouvoir de la Junte. C’était un pays en pleine modernisation et expansion. La prise de pouvoir par la junte a complètement détruit les quelques progrès de ce pays, qui est en train de revenir 30 ans en arriere. c’est bien dommage.
Philibert
17 février 2023Merci Monsieur Noé pour cet article très intéressant.
par contre il me semble me souvenir qu’en 2020 quand les mouvements populaires ont éclaté et que la jeune militaire a repris le pouvoir, il y avait sous-jacente une pression forte de la Chine en ce sens, se d. Autant qu’à l’époque me semble-t-il des organisations non gouvernementales liées à G. Soros étaient en train d’agir afin de provoquer justement ce que l’on pourrait appeler une révolution colorée. vous n’en parlez pas, quel est votre point de vue sur cette information qui à l’époque avait été recoupé par plusieurs sources entre autres le réseau international.
D’autre part il semble également me souvenir que l’on avait rapporté qu’avec la présidence de Mme krany il y avait une augmentation du commerce et de la culture du pavot à l’époque peut-être liée comme cela est d’ailleurs le cas en Amérique du Sud et en Afghanistan avec une activité annexe de la cia qu’en est-il selon vous ?
merci d’avance
cordialement
Jacques Peter
17 février 2023Merci de nous avoir rappelé la triste réalité qui frappe ce pays.